Libye
«Le procès du sida» en appel
(Photo : AFP)
Quarante-sept enfants sont morts des suites de la contamination par le sida qui a commencé à frapper des bébés à l’hôpital Al-Fatih de Benghazi (au Nord), en 1998. Autorisés en 1999 à enquêter sur place après avoir fait venir pour examen certains enfants en Europe, le professeur Montagnier, des collègues italien et suisse, mais aussi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avaient conclu que l’hôpital constituait le vecteur de l’infection. Mal tenu et insuffisamment doté, l’établissement se distinguait par une hygiène toute approximative, pratiquant en particulier la réutilisation de seringues jetables, impropres à une seconde stérilisation. En outre, à l’occasion d’une seconde mission en 2003, le professeur Montagnier a établi que la diffusion du virus avait commencé entre 1994 et 1997, avant l’affectation des accusés, et que l’établissement avait accueilli dans cette période au moins un enfant porteur du sida.
Théorie du complot
En 1999, Tripoli a répondu à l’émotion des parents des victimes en désignant le personnel étranger de l’hôpital El-Fatih, des Bulgares en particulier; 23 d’entre eux avaient d’ailleurs été arrêtés au tout début de l’affaire. Restait à trouver le mobile qui aurait pu les pousser à inoculer un virus mortel aux enfants hospitalisés dans l’établissement libyen, où ils s’étaient expatriés pour améliorer leurs revenus. Sans hésiter, Tripoli avait développé une théorie du complot toute trouvée, associant les prévenus à la CIA américaine et au Mossad israélien. Ses affaires diplomatiques s’arrangeant sur la scène pétrolière, le chef de la jamahariya s’était ensuite orienté vers une autre piste avec son dauphin Seif Al-Islam, et l’entremise de sa fondation Kadhafi. La seconde version suggérait un Docteur Mabuse en proie à un délire expérimental. Des flacons de sang contaminé auraient été saisis chez une infirmière. Ils n’ont jamais été présentés à un spécialiste indépendant.
Mardi, le président de l’audience a annoncé que le verdict «sera rendu le 31 mai». En attendant, mise en scène et tractations vont bon train. Les malheureux parents des victimes sont venus manifester devant le tribunal, derrière des pancartes disant «Mort aux meurtriers d'enfants». L’Agence France presse signale également la présence d’enfants contaminés en tenue militaire, pistolets factices sur la hanche. La semaine dernière, au sommet arabe d’Alger, Mouammar Kadhafi avait fait monter la tension en dénonçant comme des pressions iniques les démarches «des responsables occidentaux qui viennent réclamer la libération [des] Bulgares qui ont tué nos enfants». «Nous leur avions expliqué que le jour où le tribunal avait condamné à mort les infirmières, des manifestations de soutien ont eu lieu à Benghazi. L'Occident nous a alors répondu : l'opinion de votre peuple ne nous intéresse pas», a-t-il ajouté, avant de conclure «l'Occident nous a dit que le monde ne supporterait pas l’exécution [des condamnés à mort bulgares et palestinien]…Nous leur avons demandé que dire des enfants? Ils nous ont répondu, c'est un drame humanitaire, nous vous donnerons un peu de médicaments…».
Calculette en tête
L’Union européenne a en effet fait savoir que ces condamnations à mort font obstacles à la normalisation de ses relations avec Tripoli. De son côté, Washington les a qualifiées «d'inacceptables». Reste que l’imprévisible chef d’Etat libyen se soucie sans doute quand même un peu de ne pas transformer en nouvelle glaciation le très cher payé retour en grâce internationale que lui valent, depuis l’année dernière, sa rupture proclamée avec le nucléaire et le terrorisme, mais aussi les dédommagements versés aux familles des victimes des attentats contre la discothèque la Belle, en Allemagne, en 1986 (35 millions de dollars), contre l’avion de la Pan Am qui avait explosé au-dessus de Lockerbie en Ecosse, en 1988 (2,7 milliards de dollars) et contre le DC-10 d’UTA, en 1989, au-dessus du Niger (170 millions de dollars).
Au lendemain du sommet d’Alger, calculette en tête, le colonel Kadhafi a invité le président bulgare, Gueorgui Parvanov, pour marchander la libération des infirmières en échange de compensations qui épongeraient tout ou, au moins, une grande partie de celles qu’il a payées pour Lockerbie. La Bulgarie rejette officiellement ce genre de compromis, qui reviendrait à reconnaître la culpabilité des condamnés à mort. Sofia n’a pas non plus les moyens de racheter l’innocence de ses ressortissantes au tarif Kadhafi. Ce dernier ne serait pas peu satisfait de voir l’UE contrainte de mettre la main à la poche. Visiblement, les autorités bulgares hésitent sur la conduite à tenir.
Dimanche, depuis les Etats-Unis où il séjourne, le chef de la diplomatie bulgare a fait savoir qu’il avait parlé de cette affaire avec le secrétaire d'Etat américain, Condoleezza Rice, et qu’il verrait aussi le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Mais à Sofia, le Parlement a renonçé à une déclaration solennelle, le Premier ministre, Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, déclarant vendredi à propos du procès : «Moins nous parlons et moins nous le politisons, plus grandes sont les chances» d'acquittement. En la matière, le colonel Kadhafi garde une poire pour la soif, d’innocence ou de culpabilité. La Cour correctionnelle de Tripoli a renvoyé au 26 avril le procès de dix officiers libyens, accusés d'avoir torturé les accusés pour leur arracher des aveux.
par Monique Mas
Article publié le 29/03/2005 Dernière mise à jour le 29/03/2005 à 17:12 TU