Turquie
Restrictions sur l'alcool

(Photo : Jérome Bastion)
De notre correspondant à Istanbul
Les «zones rouges» sont formellement entrées en vigueur le 10 décembre dernier. Un vote du conseil municipal de l’arrondissement d’Üsküdar, sur la rive asiatique d’Istanbul, a en effet défini où seront désormais confinés les établissements munis d’une licence de débit de boissons alcoolisées. Sur un plan de sa commune, le maire Mehmet Çakir (du parti de la Justice et du Développement, AKP, au gouvernement) détaille les rues coloriées en rouge, en affirmant qu’il ne s’agit que d’une «actualisation» des réglementations actuellement en vigueur.
«Cela va mener à l’interdiction progressive et totale de toute vente d’alcool vers 2010», craint le conseiller municipal Harun Cömert, qui a demandé au gouverneur d’annuler cet arrêté. Pour ses adversaires, persuadés que l’AKP a un «programme d’islamisation secret» de la société turque, le masque est en tous cas tombé. «Le gouvernement pro-islamique tente d’emmener la Turquie vers des horizons sombres, parce que pour lui, l’Islam, c’est l’interdiction de l’alcool, c’est l’interdiction de tout, c’est la négation des libertés, il prône le retour en arrière», explique à
Le tollé est général, et l’affaire a pris un tour résolument politique, avec des risques de conséquences fâcheuses pour le tourisme, première industrie pourvoyeuse de devises du pays: «Prétendre promouvoir l’activité touristique et interdir l’alcool sont incompatibles, nous devons suivre les règles du tourisme international», défend le président de l’Association turque des guides touristiques (TUREB). Alors que la Turquie vient d’engager ses discussions d’adhésion à l’Union européenne (UE), cette intégration même parait menacée, selon le rapporteur pour la Turquie au Parlement européen: «Si cette interdiction est motivée par des raison religieuses, cela est inacceptable. Ce serait le signe que la Turquie s’écarte des standards européens», commente Camiel Eurlings. Le gouvernement se défend pourtant d’avoir imposé une quelconque limitation dans la vente d’alcool.
L’AKP prépare peut-être de prochaines élections
«Au contraire, nous avons simplifié et accéléré les procédures d’attribution ou de renouvellement des licences», affirme le ministre de l’Intérieur Abdülkadir Aksu. Mais le scandale est bien arrivé avec la publication d’une circulaire de ses services appelant les administrations locales à statuer, à la faveur d’une loi de décentralisation passée en juillet dernier. Circulaire que le Barreau d’Ankara a décidé de contester devant le Conseil d’Etat.
Si à Antalya, capitale du tourisme, le conseil provincial a refusé d’approuver la mise en place des «zones rouges», la presse rapporte que plus d’une dizaine de mairies d’arrondissement d’Istanbul ont déjà mis en pratique des limitations de fait, parfois sous prétexte de règlementation sur l’urbanisme. Après la décision prise à Üsküdar, le maire de la municipalité métropolitaine a immédiatement appelé les maires de quartier à ne pas suivre cet exemple et promis qu’il ferait annuler cet arrêté municipal. Mais la confiance semble rompue entre une opinion publique qui saluait la gestion jusque-là irréprochable du gouvernement, malgré ses racines religieuses, et un parti, l’AKP, qui prépare peut-être de prochaines élections et semble pousser les feux sur des sujets chers à sa base électorale, comme le voile à l’Université, l’enseignement confessionnel ou la morale publique.
par Jérôme Bastion
Article publié le 27/12/2005 Dernière mise à jour le 27/12/2005 à 12:21 TU