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Union européenne

Les négociations d’adhésion de la Turquie sont ouvertes

Dans une rue d'Istanbul, le 30 septembre 2005.Photo : AFP
Dans une rue d'Istanbul, le 30 septembre 2005.
Photo : AFP
Après un marathon inédit en matière d’adhésion, les 25 pays membres de l’Union européenne ont finalement, dans la nuit de lundi à mardi, déclenché le processus concernant la Turquie, mais aussi la Croatie. L’inflexible Autriche a tout fait pour lier les deux entrées. Plusieurs journaux européens soulignent également le rôle des Etats-Unis dans la négociation de Luxembourg.

La presse russe souligne ce mardi le rôle de «troisième force» joué par les Etats-Unis pour débloquer le sommet de Luxembourg convoqué pour entériner le démarrage des pourparlers d’adhésion de la Turquie. Le quotidien en ligne Gazeta.ru titre : «L’Amérique a fait entrer la Turquie dans l’Europe». Le journal russe évoque les appels de la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice aux dirigeants turcs afin qu’ils acceptent le compromis proposé par l’Union européenne pour l’adhésion. Toujours selon ce journal russe publié sur Internet, «la sortie de l’impasse a été possible grâce à une pression sans précédent sur l’Autriche, par les Etats-Unis et le Royaume-Uni».

D’autres journaux russes soulignent que plus tard, la Turquie pourrait peut-être, malgré cet accord obtenu à l’arraché, renoncer à son entrée dans l’Union en raison de certaines conditions, comme la reconnaissance de Chypre. Faisant écho à cette analyse, le ministre turc des Affaires étrangères, toujours présent à Luxembourg, déclare que la position de la Turquie sur Chypre ne changera pas tant qu’un règlement de paix permanent n’aura pas été obtenu sur ce dossier. « Il n’y aura pas de changement de notre position aujourd’hui jusqu’à un règlement durable sur Chypre », a déclaré Abdullah Gül. L’UE veut que la Turquie reconnaisse le gouvernement chypriote grec qui dirige la moitié de l’île.

«Un compromis sur le dos de Chypre»

La presse grecque, concernée au plus au point par l’avenir de Chypre, souligne le rôle qu’a tenu la secrétaire d’Etat américaine dans la négociation de Luxembourg. «La Turquie a obtenu son billet européen avec un visa américain», titre Elefthéros Typos, journal progouvernemental de droite qui affirme qu’Ankara «a utilisé, avec l’aide américaine, le dossier chypriote comme maillon faible». Du côté de la presse de gauche, Ethnos souligne que «la Turquie a insisté jusqu’à la fin sur son droit de veto sur la participation de Chypre à l’Otan. Elle s’est pliée, c’est clair, après l’intervention de Condoleezza Rice et a accepté ce que lui demandaient les 25». Ta Nea, journal socialiste d’opposition, affirme encore plus clairement que «le compromis a été fait sur le dos de Chypre».

Quelques heures après le dénouement, «Le vrai travail vient juste de commencer» déclare le Premier ministre turc devant les membres de son parti, le parti de la Justice et du développement (AKP). «L’application (des réformes démocratiques) en particulier nous mettra à l’épreuve, et il y aura une grande bataille pour appliquer complètement»  ces réformes, a déclaré Recep Tayyip Erdogan, au lendemain d’une longue crise diplomatique qui s’est terminée par un oui à l’ouverture des négociations d’adhésion de son pays.

Ces négociations devraient maintenant s’étaler sur une dizaine d’années, temps nécessaire, selon les technocrates européens, pour qu’Ankara mette sa législation en conformité avec l’«acquis communautaire».  A Bruxelles, on a divisé la négociation en 35 chapitres dont le contenu est réputé non négociable.  De la liberté de circulation des biens et des personnes à la politique étrangère en passant par la sécurité alimentaire, l’éducation ou la culture, le champ communautaire est vaste. L’avancée des pourparlers sera rythmée par la capacité des différentes administrations turques d’absorber les réformes. D’ailleurs elles ont déjà commencé, notamment concernant les droits de l’Homme, le recours à la torture, la peine de mort, les droits des minorités.

Avec des titres comme «le rêve de l’UE est devenu réalité» ou encore «la valse viennoise», la presse turque se montre dithyrambique après que le sommet soit sorti de l’impasse. Cependant les journaux ne sous-estiment pas les difficultés qui attendent la Turquie pour atteindre les critères fixés par Bruxelles. Les journaux turcs savent également que les opinions publiques en Europe ont tendance à être toujours plus réticentes à l’entrée de ce grand pays musulman au sein de l’Union.

Des réticences en Europe

Connaissant justement les réticences d’une partie de l’opinion publique française, le ministre français des Affaires étrangères explique que la France accepte l’élargissement de l’Union à la Turquie pour des raisons géopolitiques. «Il vaut mieux que ce pays qui est à nos portes aujourd’hui puisse regarder de notre côté, vers la démocratie et les libertés fondamentales, plutôt que de tourner les yeux de l’autre côté, vers l’intégrisme ou le fondamentalisme », déclare Philippe Douste-Blazy. Jacques Chirac a défendu avec fermeté et flamme la candidature de la Turquie, déclarant, à l’issue du sommet franco-italien à Paris : «Au nom de quoi, de quelle tradition humaniste, européenne, nous pourrions dire à des gens qui nous disent nous voulons avoir les mêmes valeurs que vous, on ne vous veut pas ? Au nom de quoi ?».  

Le député français Patrick Devedjian, conseiller de Nicolas Sarkozy à l’UMP, affiche une position plus radicale, estimant que «le processus d’adhésion est réversible» et que la Turquie est «très loin du compte» pour entrer dans l’Union. Le député des Hauts-de-Seine est d’origine arménienne, il souhaite que la Turquie reconnaisse le génocide arménien de 1915.

Cet élargissement est depuis longtemps controversé en France, et il intervient quelques mois seulement après le refus de la nouvelle constitution européenne. L’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, le père de cette constitution, regrette de voir s’éloigner «le grand projet français d’une union politique de l’Europe au profit d’une grande zone de libre-échange. On s’aperçoit qu’on a refusé de donner des institutions à l’Europe et qu’on a laissé faire deux élargissements supplémentaires qui vont manifestement transformer l’Europe en grande zone de libre échange. Voilà mon regret», commente VGE, au lendemain de l’accord de Luxembourg.

Le président de la Commission européenne se félicite de l’ouverture des négociations, estimant qu’Ankara doit maintenant «gagner les cœurs et les esprits des citoyens européens car ce sont eux, en définitive, qui décideront de l’adhésion de la Turquie». Rappelons qu’en France, tout nouvel élargissement doit être soumis aux électeurs par référendum.

La Croatie boostée

Les Français seront-ils consultés à propos de l’entrée de la Croatie dans l’UE ? Cet élargissement n’était pas prévu au programme. Mais à Luxembourg, l’Autriche a obtenu de lier les deux dossiers, turc et croate. Le bras de fer diplomatique entre l’Autriche, soutien de la Croatie, et les ministres des Affaires étrangères de l’Union, solidaires de la présidente du Tribunal pénal international, ce bras de fer a disparu. Lundi, Carla Del Ponte a finalement déclaré que Zagreb «coopérait pleinement» avec le TPI.

Au lendemain de ce sommet en tous points exceptionnel, on apprenait que le général croate Ante Gotovina, inculpé de crimes de guerre contre les Serbes de Croatie, serait prêt à se rendre. Seule condition, que son dossier soit transféré à la justice croate. Cette information a été donnée par l’un des avocats du général, en fuite depuis son inculpation en 2001. Et si la presse croate s’est montrée enthousiaste concernant l’adhésion, elle est également lucide. Jutarnji List écrit :  «La Croatie doit encore faire la preuve qu’elle est capable de devenir un Etat de droit». Et le quotidien Novi List de préciser : «Nous n’avons pas encore rempli la condition qui nous a été imposée… le général Godovina est toujours en fuite».


par Colette  Thomas

Article publié le 04/10/2005 Dernière mise à jour le 04/10/2005 à 16:41 TU