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Turquie – Union européenne

Accord incertain

Des partisans de l'entrée de la Turquie dans l'UE manifestent à Ankara, en décembre 2004.(Photo: AFP)
Des partisans de l'entrée de la Turquie dans l'UE manifestent à Ankara, en décembre 2004.
(Photo: AFP)
Une nouvelle version du texte d’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne a été transmise à Ankara lundi en fin d’après-midi. La proposition européenne est en cours d'examen. Après une journée marquée par une incertitude pesante, la dernière ligne droite aura été laborieuse et traduit la crise profonde que traverse l’esprit communautaire.

Les dernières heures se seront écoulées dans une atmosphère de plus en plus pesante, à mesure que les européens se révélaient incapables de ramener, dans les délais impartis, l’Autriche aux positions unanimement adoptées en décembre 2004 lorsque Vienne, avec les 24 autres, a signé le document communautaire indiquant clairement que «l’objectif commun des négociations est l’adhésion», bien que le résultat ne soit pas garanti. Jusqu’au bout, l’Autriche (forte de ses 80% d’opposants à l’entrée de la Turquie dans l’Union) s’est accrochée à l’idée d’introduire le principe d’un «partenariat privilégié», plutôt qu’une adhésion pure et simple, dans l’objectif des négociations.

Lundi 3 octobre, à la date et l’heure prévues pour l’ouverture solennelle des négociations, l’Union européenne (UE) aura donc donné le spectacle de son impuissance à honorer clairement ses propres décisions politiques. Au cours de ces derniers jours, les instances communautaires auront siéger de façon quasi permanente pour tenter de respecter les délais. Et, à mesure que l’échéance se rapprochait, les déclarations indiquaient une dramatisation des enjeux et l’embarras de la présidence britannique de l’Union face à ce blocage inattendu de dernière minute.

L’affaire n’avait toujours pas abouti à 15 heures TU

Démarré dimanche, l’ultime marathon des 25 ministres des Affaires étrangères s’est tout d’abord soldé par un échec les obligeant, après une courte nuit, à reprendre leurs discussions lundi. Mais, en dépit des propos rassurants prononcés par le porte-parole de la présidence britannique sur l’existence de «progrès réels» dans les discussions, et malgré l’optimisme affiché par le chef de la diplomatie européenne Javier Solana, l’affaire n’avait toujours pas abouti à 15 heures TU, l’heure prévue pour l’ouverture solennelle des négociations d’adhésion. L’avion du ministre turc des Affaires étrangères n’avait toujours pas décollé d’Ankara, signe que malgré la volonté britannique d’en finir les Européens n’avaient toujours pas trouvé la voie du compromis acceptable pour toutes les parties.

Les Turcs se sont contentés de camper sur les positions de principe élaborées lors de la préparation du dossier. Selon eux, la discussion sur le cadre des négociations a déjà eu lieu et il n’y a plus rien à d’autre à négocier que les 35 chapitres retenus par les 25. Mais au cours de ces derniers jours, et de ces dernières heures, les déclarations prononcées en Turquie ont révélé toute l’amertume provoquée par l’attitude des Européens, en particulier celle des Autrichiens qui se déclarent aujourd’hui les porte-parole des peuples d’Europe, majoritairement réticents à l’ouverture de l’Union à la Turquie.

La Croatie a pollué le débat

Officieusement, c’est la question de l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Croatie, qui a pollué le débat et a fourvoyé les 25 dans des directions qui n’ont rien à voir avec le sujet, à ce stade de la négociation. L’Autriche, voisine de la Croatie, soutient la candidature de Zagreb. Et Vienne, soucieuse de forcer la main de ses partenaires, aurait exigé une simultanéité dans l’examen des deux candidatures. Or le dossier croate est plus complexe en raison d’une enquête en cours du Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie (TPIY), chargé de juger les criminels de la guerre de démembrement de ce pays (1991-1995).

L’enquête porte sur la protection supposée accordée par Zagreb à l’un des généraux croates de cette période, Ante Gotovina, considéré comme un héros dans son pays et comme un criminel de guerre par la communauté internationale. Les 25 devaient examiner lundi matin un rapport déterminant pour la suite du processus d’adhésion de la Croatie de la procureure du TPIY, Carla Del Ponte. La présidence britannique avait décidé de reporter ce rendez-vous afin d’échapper à une confusion des genres de nature à jeter le soupçon de marchandage et à discréditer l’Union. Mais, dans l’après-midi, la procureure annonçait que, désormais, «la Croatie coopérait pleinement» avec le tribunal. Bien qu’il n’y ait officiellement pas de relations entre les deux affaires, la nouvelle est de nature à apaiser les différends.

«Le prix devra être payé »

Pourtant les déclarations de la présidence britannique trahissaient sa très vive inquiétude, tant sur la possibilité de sortir rapidement de cet imbroglio que sur le signal envoyé par les Européens, comme si une dynamique de l’échec était inexorablement en marche. Après le fiasco constitutionnel et celui de l’adoption du prochain budget, ce dernier épisode renforce le sentiment que l’UE traverse une crise institutionnelle et politique extrêmement profonde puisque les Européens se montrent à la fois incapables de respecter leurs propres règles du jeu et de montrer le minimum de hauteur de vue que la construction du chantier européen devrait leur suggérer.

«Oui, nous sommes proches (d’un accord), mais nous sommes aussi au bord du précipice», déclarait à la mi-journée le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, selon qui un échec serait «catastrophique pour l’Union européenne». Il n’en est donc officiellement pas question : l’Union ne peut pas se permettre une crise d’une telle envergure sans se discréditer durablement, tant sur le plan intérieur que face à ses partenaires extérieurs. C’est ce que suggérait dans la journée le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan en déclarant : «Je dis ceci : le prix résultant de tout cela devra être payé par eux-mêmes».

En fin d’après-midi, toutefois, on apprenait que la version finale du texte des négociations avait été transmise à Ankara pour lecture et approbation. Selon l’agence britannique Reuters, la finalité demeure l’adhésion pleine et entière. Vienne n’aurait donc pas obtenu satisfaction.


par Georges  Abou

Article publié le 03/10/2005 Dernière mise à jour le 03/10/2005 à 18:12 TU

Audio

Quentin Dickinson

Journaliste à RFI

«Si dans la journée aucun aucun accord à 25 ne devait se dégager, l'irritation de la partie turque serait à la mesure de l'impuissance de l'Union à s'exprimer d'une seule voix.»

Dominique de Courcelles

Journaliste à RFI

«La Turquie suscite une multitude de peurs. Ce nouvel arrivant serait un pays pauvre, et le plus peuplé après l'Allemagne.»

Louis Michel

Commissaire européen, ancien ministre belge des Affaires étrangères

«Il est dans l'intérêt de l'Union européenne de maintenir la perspective d'adhésion de la Turquie. La Turquie est un marché de 80 millions de personnes. »

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