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République démocratique du Congo

Violence, affairisme et politique au Katanga

Au sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), le Katanga continue de soulever des appétits concurrents. L’ex-province du Shaba (1972-1997) est en effet une corne d’abondance qui finance, bon an, mal an, 50 à 80% du budget national. Ressources agricoles, au Nord, et richesses minérales, au Sud, se partagent les 518 000 kilomètres carrés de sol et de sous-sol katangais. Cette répartition naturelle aiguise de longue date une compétition Nord-Sud. Celle-ci s’ajoute à la concurrence entre «originaires» et «non-originaires», legs de l’exploitation coloniale belge. La guerre de 1996-1998 a provoqué une troisième fracture, qui oppose aujourd’hui milices tribales et armée nationale. Et comme par le passé, affairistes et politiciens soufflent sur les braises, souligne un rapport d’International Crisis Group (ICG).
(Carte : Hélène Maurel / RFI)
(Carte : Hélène Maurel / RFI)

«Katanga: la crise oubliée du Congo», titre le rapport publié le 9 janvier par l’organisme voué à la prévention des conflits, International Crisis Group, ICG. Certes, le Katanga n’a pas connu d’affrontements majeurs depuis 2001, notent les rapporteurs. Mais il serait dommageable pour la paix de le lâcher des yeux comme l’a fait la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), pour se concentrer sur l’Ituri ou le Kivu. Jusqu’à fin 2005, 150 casques bleus seulement étaient déployés à Kalemié, au bord de la passoire du lac Tanganyika, pour assurer la protection des installations onusiennes. Et, selon ICG, aucune mission bien précise n’est pour le moment confiée aux 800 hommes qui viennent d’être envoyés dans la métropole régionale du cuivre, Lubumbashi, ainsi que dans la base militaire gouvernementale de Kamina. Pourtant, les fantômes du passé sont de retour. Ils sont même déjà en ordre de bataille avec les nouveaux-venus à Kinshasa, pour affronter la saison électorale 2006, s'inquiètent les rapporteurs d'ICG.

De sueur et de sang, depuis la tutelle belge (1884-1964) et ses déportations de main-d’œuvre rwandaise ou kasaïenne, l’histoire du Katanga suit les cours des matières premières minérales et les lignes de chemin de fer qui sillonnent la région, de Congo en Angola, en passant par la Zambie et jusqu’en Afrique du Sud. Le lac Tanganyika sert pour sa part de cordon ombilical avec la côte tanzanienne. Autant de routes vers l’Occident, et désormais de plus en plus vers la Chine, pour le cuivre, le cobalt et tous les autres minerais dont regorge le sous-sol katangais. Depuis l’indépendance, la foire d’empoigne n’a jamais cessé, de la sécession de Moïse Tshombé à l’assassinat de Patrice Lumumba et à l’avènement du maréchal Mobutu. Elle est repartie de plus belle en 1997, à l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila, un Katangais du Nord, mais aussi avec sa sortie brutale, en 2001.

Le populiste Kyungu contre le Kasaïen Tshisekedi

Toujours en prison, le cerveau présumé de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, Eddy Kapend est un Katangais du Sud, rappelle ICG, un «descendant» des fameux Gendarmes katangais de Tshombé, exilés en Angola depuis 1963. 2 000 d’entre eux auraient participé à la marche de Kabila sur Kinshasa. Mais au fil de son avancée, Kabila père aurait pris soin de décapiter les «Tigres du Katanga», se défaisant par la suite de la majorité des Katangais d'Angola, au profit d’une hiérarchie militaire tout droit sortie du Nord Katanga. Son fils Joseph n’a pas renié l’héritage. Selon ICG, il s’est en outre attaché les services d’un activiste de l’épuration ethnique sous Mobutu, l’ancien gouverneur du Katanga, Gabriel Kyungu Wa Kumwanza. A la fin des années quatre-vingt, lorsque la faillite de la Gécamines nationale avait laissé quelque 20 000 chômeurs sur le carreau des puits abandonnés, le populiste Kyungu avait fait le plein pour son Union fédéraliste des républicains indépendants (Uferi) et lancé la chasse aux «non-originaires».

En 1991-1992, pendant la Conférence nationale souveraine qui le mettait aux prises avec le Kasaïen Etienne Tshisékédi (le chef de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS)), Mobutu s’était donné un Premier ministre katangais, Nguza Karl I Bond. Au Katanga, les «non-originaires» pourchassés par l’Uferi étaient justement ces nombreux travailleurs venus du Kasaï voisin, et, en particulier de son très négligé Sud-Est. Et cela depuis l'indépendance qui les a vu entrer en masse dans l'administration minière. La plupart d'entre eux appartiennent à la communauté des Baluba. A cheval sur la frontière provinciale, celle-ci se poursuit au nord du Katanga, avec les Balubakat dont se réclament les Kabila et qui sont eux-aussi dans la compétition pour l'emploi au Sud du Katanga. En 1992 et 1993, la campagne de Kyungu contre les «voleurs d’emplois» avait pour coeur de cible tout indiqué les Baluba du Kasaï. Les jeunes miliciens de l’Uferi ont fait quelque 5 000 morts kasaïens (ou assimilés) au Katanga, en particulier dans la cité minière de Kolwezi, et 1,350 million de déplacés. Les ONG ont dû faire un tapage énorme pour que 75 000 personnes détenues dans des conditions effroyables sortent des prisons katangaises. Depuis lors, selon ICG, «de nombreux kasaïens sont revenus à Lubumbashi et à Likasi, évitant Kolwezi et s’inscrivant en nombre à l’UDPS». Gabriel Kyungu n’a pas désarmé.

Le rapport d'ICG s'attarde sur l'itinéraire de Kyungu depuis 2001 et sa création d'une Union des nationalistes et des fédéralistes congolais (Unafec), en marge des négociations intercongolaises de Sun City, en Afrique du Sud. Il s'agissait pour l'ancien gouverneur du Katanga de refonder en quelque sorte l'Uferi en s'appuyant notamment sur les Balubakat et les Bahemba qui «représentent 30% de la population du Katanga», explique ICG. Mais en mai 2004, à défaut d'être renommé gouverneur, «Kyungu a annoncé qu'il ferait campagne contre Joseph Kabila à la présidentielle», exerçant des mois durant tout un chantage jusqu'à ce qu'en «septembre 2004, Kyungu annonce au contraire qu'il conduirait la campagne de Kabila au Katanga». Selon ICG, l'alliance avec Kyungu aurait provoqué des disputes au sein du parti de Joseph Kabila, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Mais l'Unafec et ses jeunes miliciens seraient désormais au Katanga un machine de guerre présidentielle contre l'UDPS, mais aussi contre Solidarité katangaise de Jean-Claude Muyambo, une ONG particulièrement bien implantée parmi les Babemba, les Balemba et les Balala du Katanga. ICG prête aussi à Jean-Claude Muyambo des amitiés avec Olivier Kamitatu, président de l'Assemblée national de transition et membre indécis du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, l'ancien chef rebelle de l'Equateur, vice-président de la transition.

Les maï maï et les Tigres katangais

Pour illustrer le climat qui prévaut dans la pré-campagne électorale qui bat son plein au Katanga, ICG cite les propos télévisés de certains leaders de l'Unafec contre Muyambo, surnommé «l'albinos» pour ses ascendances hollandaises, un «drôle d'oiseau» que ses adversaires proposent au bon peuple de «piéger, cuire et manger». Selon ICG, le pire n'est pas seulement dans la propagande ou le jeu local des contre-vérités, mais surtout dans les réseaux parallèles, animés depuis Kinshasa par Joseph Kabila, et qui oeuvrent en sous-main au Katanga sur les terrains politique, militaire et économique. Cela expliquerait nombre de péripéties katangaises, souvent incompréhensibles au premier abord. Outre la perpétuation du pillage du Katanga via une kyrielle de petites sociétés, ICG souligne également le danger que représentent les milices tribales activées par les Kabila père et fils pour empêcher les amis congolais du Rwanda de mettre la main sur les mines katangaises. Depuis le début de la transition, ces maï maï sont devenus des concurrents pour les soldats de l'armée nationale en cours de restructuration dans un DDR (démobilisation-désarmement-réintégration) que la Monuc peine à mettre en oeuvre. Là-aussi, des activistes locaux cherchent à mettre la main sur un futur électorat docile en pratiquant un DDR à leur manière.

Quant aux chefs maï maï, achetés ou abusés par Kinshasa, et qui faisaient le coup de feu avec des combattants de l'ancien régime rwandais basés à Lubumbashi, certains ont déjà oublié leurs troupes livrées à elles-mêmes quand d'autres restent sur le qui-vive, terrés dans leur fief local. Et pour corser le tout, ICG évoque la première visite de Joseph Kabila au Katanga, peu après l'arrestation, fin avril 2005 d'André Tshombé, le fils de Moïse, à Lubumbashi. Le 9 mai 2005, à la surprise générale, souligne ICG, Kinshasa l'accusait de tentative de sécession. Aucune preuve n'a par la suite été présentée, ajoute ICG, qui indique qu'André Tshombé préside un parti politique important au Katanga, la Confédération congolaise nationale (Conaco). Mais, surtout, note ICG, «Tshombé a des liens avec les Tigres du Katanga dont 14 000 seraient toujours en Angola» où «il les aurait contacté à plusieurs reprises en 2004 pour les encourager à rentrer, de la part de Kabila». Selon ICG, il aurait en fin de compte décidé de rouler pour son propre compte, comptant «sur le soutien de partis belges pour sa campagne 2006 au Katanga». Au total, il s'avère difficile de suivre le jeu compliqué des politiciens en compétition au Katanga. Pour sa part, le rapport d'ICG brosse un tableau qui augure des batailles électorales à hauts risques. 


par Monique  Mas

Article publié le 11/01/2006 Dernière mise à jour le 16/01/2006 à 11:05 TU