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Kosovo

Le président Ibrahim Rugova est mort

Ibrahim Rugova est décédé samedi, quelques jours avant des négociations sur le statut final de la province serbe du Kosovo.(Photo : AFP)
Ibrahim Rugova est décédé samedi, quelques jours avant des négociations sur le statut final de la province serbe du Kosovo.
(Photo : AFP)
Soigné à son domicile de Pristina, sous la supervision de médecins américains, depuis le diagnostic d’un cancer du poumon en septembre dernier, le président Ibrahim Rugova est mort ce 21 janvier, quelque jours avant l’ouverture de négociations sur le futur statut de la province du sud de la Serbie. Après de premiers pourparlers en novembre dernier, un nouveau round devait en effet commencer le 25 janvier prochain, à Vienne, en Autriche, sous l’égide des Nations unies représentées par leur émissaire spécial, l'ancien président finlandais Martti Ahtisaari. Véritable icône indépendantiste, Ibrahim Rugova s’était imposé au Kosovo ces seize dernières années. Sa disparition laisse un vide politique et si les consultations sur le destin du Kosovo vont devoir continuer, le round de Vienne pourrait être reporté à février.

«Le président du Kosovo, Ibrahim Rugova, dirigeant du Kosovo dans les années cruciales du processus de marche du pays vers l'indépendance, s'est éteint aujourd'hui, samedi 21 janvier, à11h38», indique le communiqué officiel. L’homme qui portait comme un talisman son foulard de soie rouge et noir, les couleurs albanaises, Ibrahim Rugova, ne verra jamais se lever de drapeau sur l’indépendance kosovar qui reste confrontée au refus serbe. Administré par les Nations unies depuis l'arrêt des bombardements de l'Otan à la mi-1999, le Kosovo fait en effet toujours partie intégrante de la Serbie. Celle-ci n’est pas disposée à concéder davantage que l’autonomie jadis confisquée. Et si du côté des partis albanais, une majorité sans appel réclame l’indépendance, la disparition d’Ibrahim Rugova laisse une chaise vide. Il n’a pas de successeur désigné, à la tête de sa Ligue démocratique du Kosovo (LDK), déchirée par des dissensions.

Ancien étudiant de la Sorbonne parisienne, le très francophile écrivain Ibrahim Rugova a enseigné la littérature, avant de devenir la figure de proue de la résistance à la crispation serbe sur sa province natale. En 1974, sous le maréchal Tito, la Constitution yougoslave avait pourtant octroyé au Kosovo le statut de province autonome. Mais en 1989, le président de la Serbie, Slobodan Milosevic l’avait abrogé, prononçant la dissolution des institutions provinciales, l’année suivante. Ibrahim Rugova avait alors fondé la LDK et boycotté chacun des scrutins organisés par Belgrade. La LDK avait aussi organisé l’installation d’écoles, de centres de santé et même de centres de perception des impôts à l’intention de la majorité albanaise du Kosovo (90% de la population), Ibrahim Rugova tissant des liens avec l'Occident et, en particulier, avec les Etats-Unis.

Le père de la Nation n'a pas réglé sa succession

D’infrastructures en institutions parallèles, en 1991, les Albanais du Kosovo ont proclamé une République, se donnant en 1992 un Parlement et un président de la République, le «père de la Nation», Ibrahim Rugova. Ce dernier avait été réélu dans ce contexte en 1998, sans davantage de reconnaissance internationale, ni bien évidemment, celle de Belgrade. Mais le paysage allait changer avec la répression serbe des Albanais du Kosovo. Pour contraindre Milosevic à régler la question par des négociations, l’Otan a en effet procédé, en mars 1999, à des bombardements contre la République fédérale de Yougoslavie (RFY). L’intervention militaire internationale s’est terminée en juin 1999, avec le retrait des troupes serbes, mais aussi avec la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies reconnaissant la souveraineté de la RFY sur le Kosovo promis à nouveau à une «autonomie substantielle».

Depuis la fin des hostilités, les forces de l’Otan ont déployé 17 000 hommes au Kosovo, dans le cadre de la Kfor, et une Mission des Nations unies au Kosovo (Minuk) administre la province. De leur côté, les 5 000 combattants de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) ont été dépouillés de leurs uniformes dans un Corps de protection civile et les institutions de la «République du Kosovo» ramenées au statut de présidence, de parlement et de gouvernement autonomes. Dans ce nouveau cadre, Ibrahim Rugova et son parti ont continué à faire le grand chelem, à la présidentielle de 2002 et aux législatives en octobre 2004. Parallèlement, le Kosovo a réorienté ses relations commerciales vers la Macédoine, qui compte elle aussi des Albanais.

Le «Gandhi du Kosovo», Ibrahim Rugova devait diriger la délégation albanaise aux prochaines négociations. La bataille pour sa succession a déjà commencé. Selon la Constitution provisoire du Kosovo, le président du Parlement, Nexhat Daci, le remplacera jusqu'à l'élection d’un nouveau président. Adepte d’une résistance passive, très séduisante en Occident, Ibrahim Rugova s’était quelque peu discrédité au Kosovo avec une poignée de main donnée à Slobodan Milosevic, le 1er avril 1999, à Belgrade, pendant les bombardements de l'Otan. Les anciens guérilleros kosovar l’ont aussi critiqué pour ses propos sur leur mouvement désavoué comme un groupe «formé probablement par Belgrade pour discréditer la politique pacifiste des Albanais du Kosovo».

Ibrahim Rugova se maintenait sur le devant de la scène tandis que les co-fondateurs de la LDK prenaient du champ, les uns après les autres, en dénonçant son autocratisme. «Il incombe désormais à tous les responsables politiques d'assumer la lourde tâche de reprendre son héritage et de mener à bien le processus de négociation dans l'esprit de réalisme, de tolérance et de dialogue qui était le sien», a déclaré le président français, Jacques Chirac, en rendant hommage «au rôle historique et au courage politique qui animèrent Ibrahim Rugova».


par Monique  Mas

Article publié le 21/01/2006 Dernière mise à jour le 22/01/2006 à 09:05 TU