Kosovo
Début des négociations sur le futur statut
(Photo: AFP)
Une nuance sémantique de taille est cependant apparue : on ne parle plus de statut «final» du Kosovo, mais de statut «futur»du territoire placé sous protectorat des Nations unes depuis juin 1999. De même, il semble acquis qu’une présence civile et militaire internationale sera maintenue, sous une forme nouvelle qui laissera probablement plus de responsabilités à l’Union européenne. Pour le reste, on ne sait encore rien des propositions qui pourraient émerger, ni même du calendrier précis et des modalités des négociations.
Du côté albanais, les positions sont claires : toutes les forces politiques réclament l’indépendance, et une équipe de négociateurs, qui inclut des représentants de la majorité parlementaire et de l’opposition, est formée depuis deux mois. Une seule inconnue demeure : la santé d’Ibrahim Rugova. Le Président du Kosovo, atteint d’un cancer, conserve une grande autorité morale, et pourrait peut-être faire accepter à l’opinion albanaise une solution qui ne serait pas l’indépendance totale et immédiate. Une éventuelle disparition d’Ibrahim Rugova aurait de sérieux effets déstabilisateurs, puisque sa succession à la tête de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) n’est pas assurée, tandis que des groupes armés radicaux se sont multipliés ces derniers mois.
Alors que tous les politiciens albanais insistent depuis des années sur la revendication d’indépendance, l’opinion n’est pas prête au moindre compromis. Depuis l’été, les murs des villes du Kosovo sont couverts de graffitis proclamant : «Non aux négociations, autodétermination !» Ce mouvement, initié par l’ancien dirigeant étudiant Albin Kurti, rencontre un succès croissant. De même, interviewé samedi par un quotidien monténégrin, le vieux dirigeant indépendantiste Adem Demaci, connu pour ses 27 années de séjour dans les prisons yougoslaves, a souligné que les Albanais «ne devaient pas se faire d’illusions sur le soutien américain» et «compter sur leurs propres forces pour arriver à l’indépendance».
«Carotte européenne»
Côté serbe, la confusion est bien plus grande encore. Officiellement, tous les partis politiques serbes rejettent toute idée d’aliénation territoriale, et s’en tiennent à la lettre de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui garantit la souveraineté serbe sur le Kosovo. En privé, de nombreux dirigeants politiques serbes reconnaissent pourtant que la Serbie aurait peut-être tout intérêt à se débarrasser du «boulet» du Kosovo.
Dans une longue interview au quotidien Danas, l’ancien responsable du dossier du Kosovo pour le gouvernement de Belgrade, Nebojsa Covic, passé à l’opposition, dénonce les «manipulations politiques» autour du Kosovo, et accuse l’actuel Premier ministre Vojislav Kostunica de chercher «un alibi» pour s’en débarrasser.
En visite à Moscou la semaine dernière, le Président de la République Boris Tadic a évoqué de nouveau l’hypothèse d’une partition du Kosovo, une option qui a été longtemps rejetée par la communauté internationale, mais qui pourrait revenir au-devant de la scène si un compromis serbo-albanais se révélait impossible.
Une des questions majeures est celle du droit au retour des quelque 200 000 Serbes et autres citoyens non-albanais qui ont fui le Kosovo depuis 1999. Alors qu’un nouvel exode des 100 000 Serbes qui vivent encore dans le territoire est fort probable en cas de reconnaissance de l’indépendance, Belgrade doit essayer d’obtenir des garanties sur ce sujet.
On ne sait pas encore qui fera partie de l’équipe de négociateurs représentant la Serbie, et surtout, on ne sait pas comment les Serbes du Kosovo pourraient être représentés. Ces derniers temps, ceux-ci ont multiplié les marques de défiance envers Belgrade. Une aile «réaliste», conduite par Oliver Ivanovic, député au Parlement du Kosovo et proche de Nebojsa Covic, pourrait essayer de s’imposer dans les négociations.
L’équation proposée par l’Europe serait la suivante : en échange d’une attitude conciliante sur le dossier du Kosovo, Belgrade pourrait espérer une intégration à marche forcée. Mais rien ne garantit que cette «carotte européenne» puisse satisfaire l'opinion serbe. Les risques de déstabilisation régionale liés à l'ouverture des négociations ne doivent pas non plus être sous-estimés. Tout comme les Serbes du Kosovo, les Albanais de la Vallée de Presevo, un petit territoire du sud de la Serbie, réclament ainsi d'être associés directement aux négociations.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 21/11/2005 Dernière mise à jour le 22/11/2005 à 08:58 TU