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Kosovo

Dialogue direct entre Serbes et Albanais

Le Premier ministre du Kosovo, Bajram Kosumi (au centre) et Zarko Korac, ancien vice-premier ministre de Serbie (à g.), le 14 juin au Grand Hôtel de Pristina.(Photo: AFP)
Le Premier ministre du Kosovo, Bajram Kosumi (au centre) et Zarko Korac, ancien vice-premier ministre de Serbie (à g.), le 14 juin au Grand Hôtel de Pristina.
(Photo: AFP)
La rencontre avait valeur d’événement. Le Comité Helsinki pour les droits de la personne de Serbie a réuni durant deux jours à Pristina des dirigeants politiques et des représentants des sociétés civiles de Serbie et du Kosovo. De telles rencontres directes n’avaient pas eu lieu depuis la fin des années 1990, les bombardements de l’Otan et l’établissement du protectorat international au Kosovo.
De notre envoyé spécial à Pristina

L’ancien gouvernement serbe du Premier ministre démocrate Zoran Djindjic, assassiné le 12 mars 2003, a failli se reformer le temps d’un voyage. Les anciens vice-Premiers ministres Zarko Korac et Cedomir Jovanovic, l’ancienne Présidente par intérim de la République de Serbie, Natasa Micic, ont embarqué à bord de l’autobus affrété au départ de Belgrade par le Comité Helsinki, en compagnie de grandes figures de la scène intellectuelle serbe engagées de longue date dans la résistance au nationalisme et la lutte contre le régime de Slobodan Milosevic.

Les tabloïds à scandale de Belgrade n’ont pas manqué de dénoncer «le voyage des traîtres», tandis qu’un conseiller de l’actuel Premier ministre, le nationaliste Vojislav Kostunica, ne manquait pas de souligner que ces personnalités n’avaient «pas de représentativité». De fait, les courants politiques serbes prêts à s’engager dans un dialogue direct avec les Albanais du Kosovo demeurent tout à fait minoritaires.

«Un moment historique»

De même, côté albanais, il a été difficile de dépasser les formalités et les exposés de principes. Bajram Kosumi, le Premier ministre du Kosovo, Bajram Rexhepi, l’ancien chef de la guérilla de l’UCK, le général Agim Ceku, ou encore Hashim Thaçi, ancien porte-parole de la guérilla et président du Parti démocratique du Kosovo (PDK, opposition) sont venus exprimer leurs positions durant la conférence organisée à l’hôtel Grand de Pristina. Dans ses conclusions, Bajram Rexhepi a ainsi souligné que la région se trouvait à «un moment historique», une opinion largement partagée puisque les négociations sur le futur statut du Kosovo devraient s’ouvrir dès l’automne.

Par contre, seuls des figures relativement marginales se sont véritablement engagées dans la discussion, comme les anciens dirigeants communistes albanais du Kosovo déposés par Slobodan Milosevic en 1988, Azem Vllasi et Kaqusha Jashari, ou le philosophe et analyste politique Shkelzën Maliqi. Annoncé comme orateur, le président du Kosovo, Ibrahim Rugova, s’est fait excuser, probablement par crainte de s’afficher aux côtés de représentants serbes.

Respecter les droits de la minorité serbe

L’historienne Latinka Perovic a souligné que «le processus d’éclatement de l’ancienne Yougoslavie n’était pas terminé», tandis que des représentants croates et monténégrins ont souligné l’enjeu régional du problème. Dirigeante d’un petit parti d’opposition et vice-présidente du Parlement croate, Vesna Pusic s’est basée sur l’expérience pour rappeler que la formation d’un État n’était qu’une première étape, et qu’une véritable démocratisation des sociétés était un processus beaucoup plus long et difficile. Tous les participants ont également souligné l’importance d’un regard critique sur le passé et sur les crimes commis par tous les camps, pour sortir enfin du cycle infernal de la violence.

Une déclaration commune a été adoptée à l’issue des rencontres, soulignant que «le statu quo actuel n’est pas possible, et qu’il est contraire aux intérêts de la Serbie, du Kosovo et de toute la région». Cette déclaration appelle à partir «de la situation réelle qui prévaut au Kosovo», mais souligne que toute résolution du statut du territoire devra respecter les droits de la personne et des minorités, notamment de la minorité serbe.

Naturellement, la délégation de Belgrade a insisté sur l’importance essentielle du droit au retour des 200 000 déplacés serbes ou roms, qui résident principalement en Serbie, ainsi que sur le respect des minorités dans un Kosovo qui accèderait à l’indépendance.

Des discussions passionnées se sont poursuivies dans les bistros

Représentant de la communauté rom au Parlement du Kosovo, le député Hadjiju Fimerdjija, a cependant déploré que la rencontre se soit trop largement focalisé sur les relations serbo-albanaises, oubliant les autres petites communautés minoritaires du Kosovo, comme les Rroms, les Bosniaques, les Turcs ou les Goranci, qui représentent ensemble environ 10% de la population du Kosovo et font figure de grands oubliés de l’histoire.

Les Serbes du Kosovo étaient également peu représentés à la conférence. Les représentants de la communauté serbe du Kosovo sont profondément divisés et, depuis le boycott des élections parlementaires de l’automne 2004, aucun d’entre eux ne dispose d’une véritable légitimité. Les participants à la conférence ont pourtant appelé les dirigeants de Belgrade à ne plus manipuler les Serbes du Kosovo, mais la voix de ces derniers aura bien du mal à se faire entendre.

De telles rencontres des oppositions serbe et albanaise n’étaient pas exceptionnelles dans les années 1990, mais pour beaucoup de membres de la délégation serbe ce voyage à Pristina a pris l’allure d’émouvantes retrouvailles. Le philosophe Obrad Savic avait ainsi enseigné en 1998 à l’Université clandestine albanaise de Pristina, mais n’était pas revenu au Kosovo depuis la guerre. En marge du programme officiel, des discussions passionnées se sont poursuivies très tard dans les bistros et les restaurants de la capitale du Kosovo.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 15/06/2005 Dernière mise à jour le 15/06/2005 à 20:20 TU