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Kosovo

Les tensions s’accumulent

Ibrahim Rugova, le président du Kosovo, a annoncé qu’il souffrait d’un cancer des poumons.(Photo: AFP)
Ibrahim Rugova, le président du Kosovo, a annoncé qu’il souffrait d’un cancer des poumons.
(Photo: AFP)
La maladie d’Ibrahim Rugova est désormais officielle. Hospitalisé à la fin du mois d’août dans un hôpital militaire américain en Allemagne, le président du Kosovo, de retour à Pristina, a annoncé lundi soir qu’il souffrait d’un cancer des poumons. Son éventuel retrait de la vie politique interviendrait au pire moment pour le Kosovo, alors que les négociations sur le statut futur du protectorat international ont de fait déjà commencé.

Souvent présenté à l’étranger comme un modéré, Ibrahim Rugova est un nationaliste albanais, qui n’envisage pas d’autre perspective que celle de l’indépendance complète du Kosovo. Fondateur de la Ligue démocratique du Kosovo, devenu président de la République autoproclamée en 1992, figure tutélaire de la lutte contre le régime serbe de Slobodan Milosevic tout au long des années 1990, Ibrahim Rugova est devenu président du Kosovo en janvier 2002, après les premières élections organisées dans le territoire placé sous protectorat des Nations unies.

 

Même si la LDK demeure le premier parti du Kosovo, l’étiage électoral du parti d’Ibrahim Rugova ne cesse de baisser depuis 2000 et le «petit homme au foulard» s’attire de nombreuses critiques au sein de la société albanaise. Pour beaucoup d’intellectuels comme pour les principaux acteurs de la société civile kosovar, il symbolise une approche politique de notable, clientéliste et paternaliste. Beaucoup de déçus de la LDK dénoncent aussi l’affairisme et les pratiques autoritaires du «clan Rugova», ainsi que l’absence de toute possibilité de débat au sein du parti.

De leur côté, les forces politiques issues de l’ancienne guérilla de l’UCK ne sont toujours pas prêtes à pardonner à Ibrahim Rugova ses collusions secrètes du passé avec le régime de Milosevic. Malgré cela, le prestige d’Ibrahim Rugova demeure vif auprès d’une bonne part de la population, et lui seul paraît capable de faire accepter aux Albanais des compromis qui n’iraient pas dans le sens de l’indépendance souhaitée du Kosovo.

Le Kosovo se trouve en effet dans une période bien incertaine de son histoire. Depuis l’été, l’ONU est censée évaluer l’évolution d’un certain nombre de «standards» concernant notamment le respect des droits des minorités non-albanaises. Un rapport positif est, en théorie, la condition indispensable pour entamer les discussions sur le statut «futur» du Kosovo. Il est en effet acquis que l’on ne parlera pas du statut «final» de la province, qui reste donc condamnée à une situation provisoire et transitoire.

Le rapport sur les «standards» se fait attendre depuis juillet et le meurtre de deux jeunes Serbes, à la fin du mois d’août, a réveillé les craintes d’une nouvelle flambée de violence intercommunautaire. Cependant, les négociations, de facto, ont déjà commencé. L’ONU a nommé au printemps un émissaire spécial chargé de négocier ce statut, le diplomate norvégien Kai Eide. Ce dernier a multiplié les navettes entre Belgrade et Pristina, en particulier pour parvenir à un consensus sur l’épineux dossier de la décentralisation. Les Serbes du Kosovo, appuyés par Belgrade, cherchent en effet à obtenir la reconnaissance de formes élargies d'auto-administration locale dans les zones où ils sont regroupés. Pour éviter la reconnaissance officielle de cantons ethniques, le gouvernement du Kosovo suggère d’élargir ces zones serbes aux villages albanais des alentours afin de dessiner des zones plus ou moins mixtes.

Ainsi que le note l’analyste albanais Besnik Pula, les protagonistes nagent dans l’hypocrisie. La décentralisation est en effet présentée comme une question «technique», quasiment administrative, alors qu’il s’agit bien évidemment du statut du Kosovo qui commence à se définir. Selon lui, faute de pouvoir obtenir une partition totale du Kosovo, la Serbie essaie au moins d’arracher une très large autonomie pour les zones serbes. En contrepartie, Belgrade pourrait accepter la reconnaissance d’une forme de «semi-souveraineté» du Kosovo.

Rugovar dans le rôle du temporisateur

La communauté internationale exclut en effet toujours l’option d’une indépendance totale et inconditionnelle. Le scénario le plus probable serait donc de renforcer les compétences des institutions du Kosovo, tout en maintenant une importante tutelle internationale. L’Europe serait probablement amenée à jouer le rôle aujourd’hui assumé par les Nations Unies.

Malgré les habituelles querelles qui déchirent la scène politique serbe, Belgrade semble avancer avec une stratégie à peu près cohérente. Toutes les incertitudes se trouvent dans le camp albanais, où aucun leader ne peut publiquement envisager une autre option que l’indépendance. L’ensemble des médias participent également à ce conditionnement de l’opinion publique.

Alors que des attentats sans grande gravité se sont multipliés ces derniers mois contre des cibles internationales, notamment le siège des Nations unies à Pristina, les craintes ne cessent de grandir d’une confrontation ouverte entre la communauté internationale et la population albanaise du Kosovo. On comprend dans ces conditions que l’état de santé du président Rugova soit un enjeu majeur. Malgré ses convictions nationalistes, l’homme au foulard n’a jamais été partisan de méthodes violentes. Il pourrait encore une fois jouer un rôle de temporisateur.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 08/09/2005 Dernière mise à jour le 08/09/2005 à 12:08 TU