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Territoires palestiniens

Le Hamas face aux vertiges des urnes

A l'heure du vote des Palestiniens, l’ampleur de la percée à venir du Hamas reste une complète inconnue.(Photo : Manu Pochez/RFI)
A l'heure du vote des Palestiniens, l’ampleur de la percée à venir du Hamas reste une complète inconnue.
(Photo : Manu Pochez/RFI)
Les Palestiniens votent pour désigner leurs représentants au Conseil législatif. A quelques heures d’une révolution intégrale attendue dans l’histoire de leur mouvement, les dirigeants islamistes ne savent pas s’ils doivent se réjouir ou avoir peur.

De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Quelle part des 132 sièges du Conseil législatif palestinien le Hamas aura-t-il remporté ce soir ? Un tiers, la moitié, ou plus encore ? Alors que 1,5 millions de Palestiniens se rendent aux urnes aujourd’hui, la question du score des islamistes est sur toutes les lèvres. Les sondages à cet égard ne sont pas d’un grand secours. Ils indiquent tous que l’écart entre le Fatah et son grand rival se tasse mais ils divergent sur l’ampleur exacte de l’avance dont disposerait le parti au pouvoir. Ces derniers jours, cette marge a varié selon les études entre moins de 1%, autour de 2% et près de 8%.

Ces estimations sont d’autant plus sujettes a caution qu’elle ne prennent en compte qu’un seul des deux scrutins qui forment l’élection d’aujourd’hui. Or pour élire leurs députés, les Palestiniens devront déposer deux bulletins dans l’urne. Ils devront départager d’une part onze listes en compétition pour 66 sièges dans le cadre d’un scrutin proportionnel à l’échelle nationale et d’autre part designer leurs représentants à l’échelon du district, dans le cadre d’un scrutin majoritaire, où les 66 sièges restant sont en jeu. Le premier type de scrutin, qui est celui analysé par les sondages, est censé davantage favoriser le Fatah que le second, où le Hamas est plus à son aise.

A l'entrée d'un bureau de vote.(Photo : Manu Pochez/RFI)
A l'entrée d'un bureau de vote.
(Photo : Manu Pochez/RFI)


Fonction protestataire

On le voit : l’ampleur de la percée à venir du Hamas reste une complète inconnue. A 25%, le mouvement islamiste pourrait se contenter de constituer un bloc d’opposition au sein du Parlement. «Dans ce cas notre rôle sera très important, dit Salah Bardawi, un professeur de littérature et porte-parole du mouvement qui se présente à Khan Younes, dans le sud de la bande de Gaza. En formant une coalition avec des députés proches de nos idées, nous nous efforcerons d’encadrer l’action du gouvernement. Nous superviserons le vote du budget, nous tenterons d’activer toutes les lois qui ont été votées, mais qui n’ont jamais été appliquées, et nous participerons au processus de désignation des ministres. Même si nous sommes en minorité, nous ne serons pas une petite minorité». De l’avis de certains observateurs, cette situation constituerait le scénario idéal pour le Hamas. Elle le placerait en position d’influer sur le cours de l’Autorité palestinienne sans tremper dans les inévitables compromissions idéologiques qui découleraient de sa participation au gouvernement. Ce faisant, le Hamas pourrait conserver la fonction protestataire qui est la sienne depuis dix ans.

Au delà d’un tiers des sièges, le Hamas peut envisager de mettre un pied dans l’Autorité, surtout si les petites listes font de bons scores qui limitent la marge de manoeuvre du Fatah. Dans ce cas, la logique voudrait que le Hamas cherche à obtenir des portefeuilles «sociaux», comme la Santé, l’Education ou les Affaires sociales, qui cadrent bien avec son souci affiché du bien public. Un tel choix le dispenserait de s’impliquer dans des domaines sensibles, comme la Sécurité et les Affaires étrangères où la rencontre avec des homologues israéliens est quasi obligée.

Sur ce sujet cependant, les réponses des dirigeants islamistes sont souvent évasives et contradictoires. Après avoir affirmé au quotidien israélien Haaretz qu’il était prêt à négocier avec les Israéliens, le numéro deux de la liste nationale, le cheikh Mohamed Abou Tir, a fait machine arrière, déclarant que la question de la participation n’avait toujours pas été tranchée. A Khan Younès, Salah Bardawi confirme que le processus de décision est toujours en cours mais n’exclut pas de briguer aussi des portefeuilles «politiques».

Mécanique imprévisible

Dans tous les cas de figure, le Hamas a mis le pied dans un mécanisme dont lui-même ne sait peut-être pas très bien où il peut le mener. Khaled Hroub, professeur à Cambridge et l’un des spécialistes palestiniens de ce mouvement est persuadé qu’une mue est en cours. «Le Hamas traverse une phase de transition qui va entraîner une certaine confusion dans sa pensée et son action, dit-il. Le simple fait qu’il se présente à ces élections est la preuve d’un changement stratégique. Avant ce scrutin, le Hamas alimentait déjà un double discours. A côté de la rhétorique enflammée qui servait à élargir sa base, il y avait des manifestations de pragmatisme politique. Avec ce scrutin, le pragmatisme va s'imposer sur la rhétorique. In fine, en s’intégrant dans le système, le Hamas perdra la capacité de faire les déclarations tapageuses qu’il formulait lorsqu’il était dans l’opposition».

En huitième position sur la liste nationale, Mahmoud Ramahi, un anesthésiste de Ramallah, reconnaît à demi-mot qu’un processus de changement est enclenché. «Depuis sa création en 1987, le Hamas surveille les changements qui interviennent autour de lui et il s’adapte en conséquence. Nous sommes aujourd’hui différents de ce que nous étions en 1987 car le monde a changé depuis cette date». Signe que l’apaisement en cours sur le front de l’Intifada pourrait se poursuivre, il indique que le Hamas est prêt à discuter du renouvellement de la trêve. «Mais, précise-t-il, nous exigerons que les contreparties liées à son acceptation soient garanties par la communauté internationale».

«Si les Israéliens se retirent sur les frontières de 1967…»

A ce propos, Mahmoud Ramahi affirme qu’en dépit de l’inscription du Hamas sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne et des Etats-Unis, des diplomates occidentaux continuent de consulter discrètement ses responsables. Salah Bardawi opine en affirmant avoir rencontré il y a trois mois une émissaire de Tony Blair. «Il y a un canal d‘ouvert, dit Mahmoud Ramahi. Les européens doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas se permettre de nous ignorer si le futur de la région les intéresse».

Quel prix le Hamas est-il prêt à payer pour cette reconnaissance ? De passage à Gaza en décembre, Javier Solana avait menacé de façon très abrupte de couper les vivres à l’Autorité palestinienne dans l’hypothèse où le Hamas rentrerait au gouvernement sans renoncer à la violence et reconnaître Israël. Une double condition rejetée par la direction du Hamas sans que l’on sache très bien ce qui, de la teneur ou du ton de l’exigence de Solana, était le plus sacrilège à ses yeux. Dans une phrase typique des ambiguïtés constitutives du Hamas, Mahmoud Ramahi affirme : «Nous n’avons jamais appelé à jeter les juifs dans la mer. Nous voulons juste libérer notre pays». Il répète aussi l’offre formulée dés 1997 par cheikh Yassine, l’ex-guide spirituel du mouvement. «Si les Israéliens se retirent sur les frontières de 1967, libèrent les prisonniers, acceptent le droit au retour et un Etat avec Jérusalem pour capitale, alors nous pourrons envisager de proclamer une trêve de dix ans». En dix ans, il peut se passer beaucoup de choses.


par Benjamin  Barthe

Article publié le 25/01/2006 Dernière mise à jour le 25/01/2006 à 20:12 TU