Territoires palestiniens
A Naplouse, le Hamas intouchable
(Photo : AFP)
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens
«Un tsunami vert». C’est l’expression que les militants du Fatah de Naplouse utilisent pour décrire la raclée que la liste du Hamas a infligée à tous ses adversaires lors de l’élection municipale organisée jeudi dernier dans la grande ville du nord de la Cisjordanie. Les candidats islamistes qui imaginaient au mieux prendre six ou sept sièges sur les quinze du conseil municipal en ont finalement raflé treize. «Même le "knafé" (une pâtisserie locale à base de fromage et de sirop de sucre, célèbre pour sa saveur et sa couleur orange, ndlr) va devenir vert», ironise Yehya Arafat, la tête de liste Fatah, avec un sourire dépité.
A l’origine, c’est l’ancien maire Ghassan Al-Shaka’a, démissionnaire en 2004, qui devait défendre les couleurs du parti au pouvoir à Naplouse. Pour d’obscures raisons, cet avocat influent, membre du comité exécutif de l’OLP, a renoncé et passé la main à Yehya Arafat, un entrepreneur en travaux publics, méconnu et peu charismatique. Comme Mahmoud Al-Aloul et Essam Abu Baker, les deux véritables chefs du Fatah à Naplouse, Al-Shaka’a est finalement resté en retrait de la bagarre pour la mairie, afin de pouvoir se présenter aux législatives du 28 janvier prochain, un objectif plus à la mesure de ses hautes ambitions. «Ils ont refusé de se présenter de crainte de perdre, dit Yehya Arafat. Ils nous ont recrutés mais ils n’ont rien fait pour nous aider et pour empêcher la formation d’une liste dissidente. Nous avons reçu 4 300 votes contre 24 000 pour le Hamas. C’est la preuve que, hormis nos familles et nos amis, les militants du Fatah n’ont pas voté pour nous.»
Ce rejet massif n’a surpris personne à Naplouse. «Le Fatah paie le résultat de sa corruption, de son incurie et de son incapacité à mettre un terme au désordre qui règne en ville et dont ses groupes armés portent l’entière responsabilité», affirme Hassan Ayoub, un militant du FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine), un petit parti de gauche. «Dans les conditions de vie qui sont les nôtres, avec les check points, le mur et le marasme économique, le discours de résistance du Hamas parle davantage aux gens que le discours de modération du Fatah», ajoute Dalal Salameh, députée de Naplouse au parlement palestinien. D’autant que dans cette ville dotée d’une prestigieuse histoire et d’une vieille bourgeoisie très influente, les islamistes se sont présentés sous un profil plus que rassurant.
Respectabilité bourgeoise et piété musulmane
Leur tête de liste, Adli Yaïsh, qui est bien connu à Naplouse pour être depuis plus de vingt ans le trésorier du comité de la zakat, le collectif qui redistribue aux pauvres le produit de l’aumône musulmane, ne fait pas partie de la direction locale du Hamas. Bien qu’ayant fait partie du groupe de 415 activistes islamistes expulsés en 1992 par Israël dans les montagnes du Sud-Liban, à Marj-el-Zouhour, il assure n’avoir jamais milité directement dans les rangs du mouvement. La cinquantaine allègre, le sourire futé, il dirige aujourd’hui la concession Mercedes de la ville et possède diverses participations dans de grosses sociétés palestiniennes, dont la banque Al-Aksa et une agence immobilière, sur le point d’être introduite en bourse. Simple et chaleureux, il est surnommé «président» ou «hadj» par ses employés, un titre réservé aux fidèles qui ont fait le pèlerinage de la Mecque. Un profil ultra consensuel, fait d’engagement caritatif, de respectabilité bourgeoise et de piété musulmane, qui lui a permis de drainer le vote à la fois des grandes familles patriciennes de Naplouse et des masses paupérisées par l’Intifada.
«Il était incontestablement le meilleur candidat pour Naplouse, dit Hassan Ayoub. Il fera sûrement de bonnes choses pour la ville. Mais sur le long terme, je ne crois pas que la poussée du Hamas soit une bonne nouvelle pour les Palestiniens. Les islamistes profitent de la démocratie pour investir à toute vitesse le système. Ils ont une fenêtre d’opportunité inespérée et ils l’utilisent au mieux. Mais s’ils arrivent au pouvoir, je ne pense pas que la démocratie restera le principe numéro un de leurs actions.»
Cette inquiétude va aller croissant dans les prochaines semaines à mesure que l’échéance des élections législatives, prévues le 25 janvier, se rapprochera. Le refus d’Israël d’accorder à l’Autorité palestinienne la moindre concession susceptible de redorer son blason et la crise au sein du Fatah, divisé entre les apparatchiks proches du Premier ministre Ahmed Qoreï et les cadres de terrain, emmenés par Marwan Barghouti, ouvrent un boulevard aux candidats du Hamas. Leur entrée en force au Parlement, voire au gouvernement, paraît assurée. Mais encore faut-il que les élections aient lieu et qu’elles se déroulent de façon libre et transparente. Certes le président Mahmoud Abbas s’en porte garant. Mais son optimisme n’est guère partagé. Aux dires de nombreux observateurs, le spectre d’un «tsunami vert» sur le Parlement, les pressions d’Israël opposé à la participation du Hamas et les risques d’affrontements entre bandes rivales du Fatah, constituent autant de raisons, bonnes ou mauvaises, qui pourraient mener à un report ou une annulation.
par Benjamin Barthe
Article publié le 21/12/2005 Dernière mise à jour le 22/12/2005 à 17:38 TU