Côte d'Ivoire
L’un rentre, l’autre boycotte
(Photo : AFP)
Le candidat à la présidentielle du Rassemblement des républicains (RDR), Alassane Ouattara est rentré mercredi soir à Abidjan, après plus de trois ans d’exil, depuis son exfiltration de l’ambassade de France en Côte d’Ivoire, où il s’était réfugié pendant la tentative de coup d’Etat de septembre 2002. Assurant ce retour «définitif», l’ancien Premier ministre estime que «le plus important doit être la préparation des élections» d’octobre. En la matière, Alassane Ouattara fait confiance, dit-il, au chef du gouvernement de réconciliation nationale, Charles Konan Banny. Ce dernier a tenu mercredi son premier conseil des ministres, en l’absence remarquée du chef de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles (FN), Guillaume Soro. De son côté, l’Onu prolonge le mandat des casques bleus au-delà des élections et met provisoirement au vert une partie de ses personnels civils.
Jeudi matin, des indiscrétions onusiennes indiquaient le «transfert provisoire, pour quelques semaines» à Banjul, en Gambie, de 170 employés civils et d’une trentaine de membres de la police civile de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Il ne s’agirait pas «d'une évacuation conséquence d'un danger immédiat», mais d’une mise au vert de certains personnels traumatisés par «les violences dont l'Onuci a été la cible la semaine dernière et la mise à sac de ses bureaux». En tout cas, l’Onu tient à rester confidentielle sur cette disposition, tout en prenant soin de l’expliquer, en sachant que des milliers d’yeux ivoiriens restent braqués sur ses faits et gestes, après les manifestations de colère contre la position internationale vis-à-vis du Parlement ivoirien.
La semaine dernière, à Guiglo, cinq Ivoiriens avaient en effet été tués par des casques bleus bangladais assiégés par des manifestants qui avaient également encerclé leur camp de Duékoué, une localité voisine, située elle-aussi dans l’Ouest, en zone gouvernementale. Depuis, les deux bataillons de soldats du Bangladesh ont été redéployés dans la zone tampon qui marque l’ancienne ligne de front, à Bangolo. Les militants des Forces nouvelles ont dénoncé ce déplacement comme un abandon, sinon une défaite, face à leurs adversaires loyalistes. Ces derniers ont au contraire voulu donner du relief à un «hommage aux victimes ivoiriennes» souligné par une journée de «deuil national» organisée mercredi par la Fédération estudiantine de Côte d'Ivoire (Fesci). Celle-ci exige en outre que l’Onu dédommage les familles des cinq morts, parmi lesquels trois élèves.
L'Onu se refuse à jeter l'éponge
Lundi, dans ses vœux pour 2006 prononcés devant les différents corps de défense, de sécurité et des douanes, le président Gbagbo a longuement évoqué ces événements pour rassurer les casques bleus, leur exprimer sa «compassion» et les exhorter à aider les Ivoiriens «à réfléchir non pas seulement sur la manière d'arrêter la guerre et de faire le désarmement mais aussi sur ce désespoir» qui anime, selon lui, certains rebelles aussi bien que certains de ses partisans. Les uns, dit-il, sont «désespérés de ne pas avoir gagné» la guerre, les autres «battent le pavé et cherchent du travail que la crise les empêche de trouver». Bref, après le bras de fer parlementaire, l’heure est à la conciliation internationale. Et si les humanitaires, se sont eux-aussi retirés de Guiglo, où des stocks et des équipements ont été pillés ou détruits, l’Onu se refuse de son côté à jeter l’éponge.
Mardi, le Conseil de sécurité a prorogé jusqu’au 15 décembre le mandat de l’Onuci et des forces françaises Licorne. Sa résolution 1652 décide en même temps «l'augmentation de la composante militaire de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire à hauteur de 850 personnes supplémentaires, ainsi que l'augmentation de la composante police civile, à hauteur d'un maximum de 725 personnes». S’il parvient à en convaincre les Américains, Kofi Annan espère en outre pouvoir gonfler un peu plus les effectifs avec des casques bleus en fin de mission au Liberia. Un rapport sur la question est en cours d’élaboration. Pas question donc pour le moment de laisser les Ivoiriens résoudre leur crise à huis-clos. L’Onu veut croire au contraire que va enfin s’ouvrir la dernière ligne droite électorale.
«Le plus difficile est devant nous, tant la situation économique et sociale du pays est difficile, je dirais même catastrophique», a lancé Alassane Ouattara à son arrivée à Abidjan. Pour relever cette «priorité», poursuit l’ancien cadre de la Banque mondiale, «nous avons un Premier ministre qui en a les capacités et qui doit essayer de faire les premiers gestes pour nous permettre de préparer dans les semaines qui viennent une Côte d'Ivoire apaisée». Dans son adresse aux militaires des Forces de défense et de sécurité (FDS), le président Gbagbo, a lui-aussi placé la balle dans l’escarcelle d’un Charles Konan Banny «qui a été élevé par un ministre de la Défense, donc vous lui parlez de la Défense, il en saura un bout…». Selon la presse ivoirienne, Charles Konan Banny pourrait d’ailleurs renforcer ses compétences militaires familiales en prenant dans son cabinet le général de division à la retraite Gaston Ouassenan Koné et l’ancien ministre de l’Intérieur, le colonel-major Emile Constant Bombet.
Lundi, en évoquant les objectifs de désarmement et de réunification du pays, le chef d’état-major, le général Philippe Mangou n’a pas manqué lui non plus de dire au Premier ministre que les FDS «se tiennent prêtes à jouer leur partition aux fins d'un aboutissement heureux du processus de paix». Le même jour, le parti présidentiel, le Front populaire ivoirien (FPI) annonçait «son retour dans le processus de paix et en conséquence le retour de ses ministres au sein du gouvernement». Pour sa part, Laurent Gbagbo avait déjà assuré que «le Premier ministre et moi-même, nous ne nous piétinons pas, et nous ne nous piétinerons pas».
De son côté, le parti de l’ancien président Henri Konan Bédié, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), l’ancien parti unique a également fait «allégeance» au Premier ministre, en se prononçant, tardivement, sur les dernières manifestations, «ces actions planifiées qui ont aggravé le climat d'insécurité» et en réaffirmant sa position en faveur d’une prorogation du mandat du parlement. En revanche, à l’écart de ces assauts de bonnes intentions, le chef des Forces nouvelles, numéro deux dans l’ordre gouvernemental protocolaire et ministre de la Reconstruction, Guillaume Soro ne s’est pas présenté au Conseil des ministres de mercredi. Visiblement, le nouveau paysage politique ne lui sied pas davantage que le précédent. A moins qu’il ne fasse valoir des «raisons de sécurité», comme l’année dernière.
Les cinq autres ministres FN étaient pour leur part au rendez-vous du premier conseil des ministres de Charles Konan Banny. Quant à Alassane Ouattara, jusqu’ici présenté comme le politicien le plus exposé du pays, il fait son retour sur l’échiquier politique national où il a tenu lieu de pomme de discorde principale. Question de stratégie, bien sûr, plus que de sécurité.
par Monique Mas
Article publié le 26/01/2006 Dernière mise à jour le 26/01/2006 à 18:20 TU