Territoires palestiniens
Le Hamas à l’épreuve de la politique
(photo : AFP)
Les tractations politiques n’avaient pas encore sérieusement commencé entre le Hamas et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qu’un certain flottement venait rappeler que le mouvement islamiste s’est rendu aux urnes sans avoir officiellement renoncé à la lutte armée, au terrorisme et à la destruction d’Israël. «J'ai téléphoné au président Abbas et nous sommes convenus d'une rencontre dès sa venue à Gaza dans environ deux jours», indiquait vendredi Ismaïl Haniyeh, tête de liste du Hamas aux législatives, tandis que de son exil syrien, le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal annonçait son retour. Reste pour les chefs de file du Hamas, l’acronyme arabe du Mouvement de la résistance islamique, à convenir d’un programme politique capable de contenir les sensibilités, voire les tendances, dont il s’est voulu le héraut, depuis sa naissance, en 1987.
Aujourd’hui encore, le Hamas se réclame de l’inspiration, trouvée un demi-siècle plus tôt, à Gaza, auprès des Frères musulmans qui avaient essaimé d’Egypte sur le terreau de la révolte arabe, contre la tutelle britannique et l’immigration juive dans les années trente et contre la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948. Dans les années soixante-dix, le défunt cheikh Ahmed Yacine avait initié un Rassemblement islamique, recrutant dans les universités, tissant un réseau d’aide sociale et se réclamant de la charia, marquant ainsi une opposition identitaire aux laïcs du Fatah de feu Yasser Arafat. A l’époque, surtout préoccupé par ses adversaires de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Israël avait joué la carte du Rassemblement islamique, dûment légalisé et aidé en 1978. Yacine faisait alors profil bas sur le terrain politique et sa milice s’attaquait aux adversaires communs des islamistes et des Israéliens, communistes et autres nationalistes arabes armés.
Le 9 décembre 1987, la mort de plusieurs Palestiniens dans un accident de la circulation à Gaza a brusquement changé la donne, en déclenchant une «révolte des pierres» d’une ampleur inégalée, l’Intifada, qui s’est ensuivie d’une répression israélienne très dure. Créé par cheikh Yacine dans la foulée de l’Intifada, le Hamas s’est dès lors répandu en mots d’ordre anti-israéliens opposés à la stratégie de compromis que l’OLP avait commencé à préconiser au milieu des années soixante-dix. Rédigée en 1988, la charte du Hamas fixe comme objectif à ses militants la récupération, par les musulmans, de l’ensemble des territoires occupés par des non-musulmans. En clair, cela signifie la fin de l’Etat d’Israël, sa destruction par la stratégie de la terreur engagée avec des attentats-suicide perpétrés depuis 1994 par les «brigades du martyr» du Hamas, sa branche armée, Ezzedine al-Qassam, qui tire son nom d’un nationaliste mort au combat face aux Britanniques, en 1935.
Les frustrations palestiniennes font le lit du Hamas
Le 13 septembre 1993, à l’issue de longs mois de négociations secrètes à Oslo, Israël et l’OLP se reconnaissent mutuellement, le Hamas se joignant derechef à une «Alliance des forces palestiniennes» opiniâtrement hostile à la paix. L’avènement du régime d’autonomie en mai 1994, mais surtout celui d’une Autorité palestinienne présidée par Yasser Arafat - élu le 20 janvier 1996 après un retrait israélien de plusieurs villes de Cisjordanie - aurait pu lui couper l’herbe sous le pied. Mais en 2000, après quatre ans d’attente palestinienne et de poursuite de l’expansion des colonies israéliennes, les accords d’Oslo se sont fracassés sur l’échec des négociations de Camp David entre Yasser Arafat et le Premier ministre israélien Ehud Barak. Les frustrations palestiniennes, qui font le lit du Hamas, sont alors à leur comble. Et, en septembre, le chef de l’opposition israélienne de l’époque, Ariel Saron, se rend sur l’Esplanade des Mosquées de Jérusalem, une visite en forme de provocation qui déclenche une deuxième Intifada.
En 1996, le Hamas avait boycotté les élections palestiniennes, le cheikh Yacine gardant jalousement la main sur ses brigades de kamikazes. Cette année-là les attentats-suicides à répétition ont lourdement pesé dans la défaite électorale du travailliste israélien Shimon Pérès, face à son adversaire du Likoud, Benjamin Netanyahu. Depuis 2000, les cadres politiques et militaires du Hamas sont la cible privilégiée de la stratégie de «liquidation ciblée» décidée par Israël. Sous Ariel Sharon, en mars 2004, le cheikh Yacine en a fait les frais. Depuis sa mort, le véritable patron du Hamas serait un autre faucon, Khaled Mechaal, membre fondateur et chef du bureau politique du Hamas, installé à Damas, en Syrie, d’où il préconise «la lutte armée jusqu’à la libération de toute la terre palestinienne». Khaled Mechaal prépare désormais son retour à Gaza.
Inscrit en Occident sur la liste noire des mouvements terroristes, le Hamas a répété tout au long de sa campagne électorale que «les négociations avec Israël ne font pas partie de [son] agenda». Il s’est posé en alternative musclée au Fatah, contre lequel il a fait campagne sur un programme intitulé «Changement et Réforme». Se présentant en sauveur, le Hamas revendique probité, discipline, pratiques sociales et réislamisation pour promettre la fin de l'anarchie sécuritaire, de la corruption et de l’indigence économique qui ont fait un désastre du quotidien palestinien sous l’Autorité palestinienne, ces dix dernières années. De l’échec patent du Fatah, le Hamas a sans aucun doute fait ses choux gras. Il a aussi été servi par la mort d’Arafat, le 11 novembre 2004, et par le vide et le désordre apparus à la tête du Fatah.
«Mettre un terme à l'occupation israélienne de la Palestine»
Pour le chef de la droite israélienne, Benjamin Netanyahu, la victoire électorale du Hamas est «le résultat du retrait unilatéral d'Israël [achevé en septembre dernier dans la bande de Gaza] qui a fait passer le message que le terrorisme du Hamas fonctionne». Le Mouvement de résistance islamique avait en effet revendiqué cette évacuation des colons israéliens comme une victoire militaire. Pour autant, le Hamas a fait le choix de participer aux élections. Pour tenir ses promesses économiques, il va devoir se donner un visage politique acceptable par les bailleurs de fonds occidentaux. En attendant, Khaled Mechaal polit son discours. La charte du Hamas «n'appelle pas à la destruction d'Israël. En arabe, il est écrit:mettre un terme à l'occupation israélienne de la Palestine», dit-il, en dénonçant une interprétation malveillante et en poursuivant, à l’intention des Occidentaux, que «nous ne voulons pas éliminer l'autre, nous voulons seulement obtenir nos droits, ce paragraphe demeure pour cette raison».
Pour sa part, Ismaïl Haniyeh, ancien directeur de cabinet du cheikh Yacine comptait parmi les rares cadres du Hamas disposés à concourir au scrutin de 1996. Il avait été contraint d’y renoncer, la majorité du mouvement rejetant toute participation électorale comme une caution aux accords d’Oslo et au Fatah. Considéré comme un «pragmatique», Haniyeh aurait joué un rôle-clé dans la trêve des attaques anti-israélienne observée en 2005. Convaincu du «droit à la résistance» des Palestiniens, il estime quand même nécessaire de mener le combat sur le terrain politique. Il se verrait bien Premier ministre d’un gouvernement islamiste. Cela reste à négocier avec ses compagnons du Hamas.
«Nous voulons travailler avec vous parce que les défis que doit relever le peuple palestinien sont grands et la lutte est encore longue», a lancé Haniyeh, au nom du Hamas vainqueur, à l’adresse du Fatah et du chef de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Rendez-vous est pris, entre les deux adversaires, mais le Fatah assure qu’il ne participera pas à un gouvernement «inspiré par la charia», comme le réclame le Hamas qui revendique toujours un Etat recouvrant «toute la Palestine», c’est-à-dire rejetant l’existence d’Israël.
par Monique Mas
Article publié le 27/01/2006 Dernière mise à jour le 27/01/2006 à 19:09 TU