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Ukraine

La guerre du gaz a laissé des traces

Sur Maidan Nezhalenosti, la place de l'Indépendance, les températures glaciales ont fait fuir les touristes comme les vendeurs de «souvenirs» de la Révolution Orange. A l'est du pays, ce mois de janvier, les températures ont parfois atteint les moins 32 degrés. Des centaines de personnes en sont mortes.(Photo : V. Pironon/RFI)
Sur Maidan Nezhalenosti, la place de l'Indépendance, les températures glaciales ont fait fuir les touristes comme les vendeurs de «souvenirs» de la Révolution Orange. A l'est du pays, ce mois de janvier, les températures ont parfois atteint les moins 32 degrés. Des centaines de personnes en sont mortes.
(Photo : V. Pironon/RFI)
En Ukraine, la campagne pour les élections législatives du 26 mars prochain bat plus que jamais son plein, alors que le président Victor Iouchtchenko fait face à de très vives critiques de la part de l’opposition pour sa gestion de la «guerre du gaz» avec la Russie. Suite à un accord passé avec Gazprom au début du mois de janvier, et à la faveur d’une nouvelle constitution, les membres de la Rada, le Parlement ukrainien, menés par l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko, ont voté une motion de censure contre le gouvernement. Un an après son investiture officielle et quelques semaines seulement avant les élections législatives, Victor Iouchtchenko, est une fois de plus mis en difficulté. Les Ukrainiens nourrissent une certaine amertume vis-à-vis du «grand frère» russe.

De notre envoyée spéciale à Kiev

« Moi, c’est sans hésitation.C’est pour elle que je vais voter ! » Vladislav, 30 ans, montre du doigt un portrait en noir et blanc de Ioulia Timochenko, au bord d’une route enneigée qui relie l’aéroport au centre-ville de Kiev. Sur le panneau électoral de l’ex-Premier ministre, figure emblématique de la Révolution orange, un cœur rouge, son emblème, et un slogan : « La justice existe. Il suffit de se battre pour elle. » Le rôle radical et sans concession que l’ex-Premier ministre se plaît à endosser séduit particulièrement Vladislav, qui a vécu huit ans en Grande-Bretagne. Pendant la Révolution orange, il a passé plusieurs nuits devant le palais présidentiel, appelant même sa petite amie, originaire de Lougansk, à l’est du pays, à venir à Kiev pour « se rendre compte, par elle-même, de ce qui était en train de se passer ».

Déçu de Victor Iouchtchenko

Vladislav se dit déçu de Victor Iouchtchenko. Avant d’arriver au pouvoir, « il avait promis que tous ceux qui avaient falsifié les élections iraient tout droit en prison. Deux mois plus tard, il passait un accord avec eux », s’indigne-t-il. Même déception sur l’issue de la « guerre du gaz », qui a atteint son point culminant en ce début d’année, avec la coupure par la Russie des livraisons à l’Ukraine. « Comment faire confiance ? », s’interroge le jeune homme qui cumule trois jobs pour joindre les deux bouts. Comment se fier à des gens qui vous disent : «Si vous ne nous écoutez pas, on vous coupe les vannes ? » Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, le président Victor Iouchtchenko a fait preuve de faiblesse en négociant un accord avec Moscou, accord qui n’est d’ailleurs toujours pas signé.

Comme pour donner un peu plus d’acuité au problème, en ce mois de janvier, l’Ukraine est touchée par une vague de froid sans précédent. Avec des températures descendant en dessous de moins vingt degrés, Maidan Nezalezhnosti, la Place de l’Indépendance, est même désertée par les marchands de tee-shirt oranges, de portes-clefs et de stylos frappés du fameux « Iouchtchenko, Tak ! » ou des portraits de « la femme à la tresse ». D’habitude, ils sont pourtant nombreux à essayer d’écouler leur marchandise.

Olexandre Sevetyne, du groupe Maidan, un regroupement d’intellectuels à la pointe de la révolution de l’hiver dernier, donne ses rendez-vous dans la chaleur épaisse des sous-sols du métro. Echarpe orange autour du cou, il explique que, pour lui, « le problème du gaz a été artificiellement créé par la Russie pour influencer les élections législatives ». Selon cet avocat, dont l’appartement affiche une température de 11 degrés, en raison d’une panne de chauffage, « les Ukrainiens ont en majorité très mal pris la décision russe de couper les fournitures de gaz à l’Ukraine. Ils voient désormais Moscou comme un ennemi ».

Dans la région de Kirovohrad, une ville du centre du pays, au sud de Kiev, certains habitants ont pris une mesure qui a étonné la presse ukrainienne. De petits groupes ont distribué des tracts appelant à boycotter les produits russes, au premier rang desquels la célèbre marque de bière Baltika produite à Saint-Pétersbourg. Surprenant et révélateur, lorsqu’on sait que, jusqu’à aujourd’hui, cette région était particulièrement connue pour son tropisme russe. Journaliste à l’antenne ukrainienne de Radio Svadoda, Tarass Maroussyk estime que « le Kremlin pensait pouvoir mettre l’Ukraine à genoux avec ce chantage ».Mais, dit-il, « au plan psychologique, la Russie a obtenu un résultat contraire. Elle a perdu ».

Un cadeau russe à l’opposition

Reste qu’au plan politique, avec ce bras de fer, le Kremlin a bel et bien réussi, une fois de plus, à s’immiscer dans les affaires intérieures ukrainiennes. Les premiers effets se sont fait sentir quelques jours à peine après l’annonce de l’ « accord » sur les prix du gaz entre la compagnie russe Gazprom et l’ukrainienne Naftogaz. Emmené par la très charismatique Ioulia Timochenko et à la faveur de l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution, le Parlement a voté une motion de censure contre le gouvernement de Iouri Ekhanourov. Ce faisant, il a mis le président en difficulté, à quelques semaines des élections. « C’est un cadeau fait à l’opposition par la Russie », estime l’écrivain Andreï Kourkov. D’après lui, cette crise a montré combien l’Ukraine reste dépendante économiquement de son voisin.

Confortablement installé dans son bureau d’une petite rue du centre-ville, Zorian Chkiriak, à la tête de la section locale du parti Nacha Ukraïna du quartier Chevtchenko (du nom du poète ukrainien, considéré comme le père de la littérature nationale), s’énerve. « C’est toujours facile de vouloir jouer les stratèges quand on n’est pas au pouvoir ! Vous voyez les températures qui viennent de s’abattre sur le pays ? Les Ukrainiens ne nous auraient pas pardonné si on n’avait pas trouvé une solution et s’ils avaient dû rester sans chauffage » Aujourd’hui, dans les rues de Kiev, la Révolution orange garde comme un goût d’inachevé. Pour la population ukrainienne, les élections du 26 mars en seront une étape décisive.


par Virginie  Pironon

Article publié le 08/02/2006 Dernière mise à jour le 08/02/2006 à 12:10 TU