Agriculture
Une loi française pour encadrer les OGM
(Photo: 2003-2005 image*after)
Des sondages réalisés en 2005 avaient montré la constance des Français, toujours opposés aux plantes génétiquement modifiées. Un nouveau sondage, réalisé par l’institut BVA pour le compte de l’association Agir pour l’environnement, montre que les Français restent réticents à l’arrivée des organismes génétiquement modifiés dans leur assiette, même de manière indirecte. Selon cette toute récente enquête d’opinion, publiée à la veille de l’examen du projet de loi par le Conseil des ministres, 78% des personnes interrogées se prononcent pour la suspension des cultures d’OGM en France « afin de laisser le temps aux scientifiques d’en évaluer précisément les impacts sanitaires et environnementaux ». De plus, 72% des personnes interrogées souhaitent l’organisation d’un référendum pour que toute la population donne son avis sur la question.
Malgré ce rejet constant, le ministre délégué à la Recherche, François Goulard, présente ce mercredi en conseil des ministres un projet de loi sur les OGM. Il s’agit pour la France de transférer dans son droit une directive européenne qui autorise, en l’encadrant, la culture de plantes génétiquement modifiées en Europe. Les procédures d’autorisation sont détaillées aussi bien pour les mises en culture que pour l’arrivée de ces produits sur le marché.
La France a été condamnée par la Cour européenne de justice, en juillet 2004, pour avoir trop tardé à adapter sa réglementation à l’utilisation de semences génétiquement modifiées dans l’agriculture. Cette condamnation a été suivie, en décembre 2005, d’un avertissement. La France devait donc s’exécuter. Une fois que le conseil des ministres aura donné son avis, la loi sera examinée par les députés et les sénateurs au cours du premier trimestre 2006.
Les Verts sont contre ce projet de loi ainsi que plusieurs associations dont Agir pour l’environnement qui a commandé le tout dernier sondage. Ces organisations reprochent au gouvernement d’ouvrir la voie, avec cette loi, à la généralisation des cultures OGM. Selon ces opposants, le principe de précaution n’est pas non plus mis assez en valeur, comme il l’est dans la directive. Du côté des organisations professionnelles agricoles, la Confédération paysanne est en tête de la contestation. Elle a popularisé son combat anti-OGM en détruisant plusieurs fois des parcelles expérimentales appartenant soit à des instituts de recherche, soit à des compagnies internationales spécialisées dans l’agro-industrie.
En finir avec le secret
Le texte de loi a l’intérêt de faire sortir du secret la liste des sites dédiés à des cultures de plantes génétiquement modifiées. La future loi instaure l’obligation de déclarer à l’Etat l’existence de parcelles de plantes transgéniques. Reste à savoir si le ministère de l’Agriculture jouera la transparence et publiera la liste de ces sites, au risque d’entraîner la destruction de certains de ces sites par les « faucheurs volontaires ».
Des « consultations du public » seront organisées avant le démarrage d’une culture d’OGM, qu’elle soit expérimentale ou à but commercial. Cette concertation durera deux semaines mais l’entreprise ou l’institut candidats à l’autorisation de mise en culture ne sera pas obligé de répondre aux demandes du public. Seules les données « non confidentielles » seront mises sur la table. Le but étant de protéger le futur bénéfice de ce genre d’expérience. Et si des études sont faites pour mesurer l’impact d’un produit agricole OGM sur la santé humaine, il n’y aura pas d’obligation de transmettre au public les résultats de ce travail.
L’autorisation de mise sur le marché d’une plante transgénique sera donnée pour dix ans. Actuellement, une plante figurant au catalogue français des semences y reste environ cinq ans. Les chercheurs interviennent depuis longtemps pour mettre au point des plantes nouvelles. Sélection et croisement d’espèces ne posent pas de problème de société. Les plantes sont donc souvent renouvelées. En revanche, toucher au génome des plantes en manipulant leur ADN, en mêlant des espèces étrangères, pose problème à une majorité de Français. C’est probablement pour cette raison que les autorisations de mise sur le marché de semences seront données pour une longue période.
Comme le prévoit la directive européenne, la loi française va rendre obligatoire l’étiquetage des produits alimentaires « composés en tout ou partie d’OGM ». En revanche, les animaux nourris avec des végétaux contenant des OGM ne seront pas considérés comme contenant des organismes génétiquement modifiés. Les produits transformés comme la farine ou l’huile échapperont, eux aussi, à l’étiquette les distinguant. Les écologistes s’opposent depuis longtemps à cette approche, estimant qu’elle participe à la dissémination des organismes génétiquement modifiés.
Une coexistence à préserver
La France, comme d’autres pays européens, souhaite conserver une agriculture biologique et une agriculture industrielle classique. Pour la « coexistence » entre cultures OGM et cultures non-OGM, la loi prévoit des mesures qui seront prises au cas par cas, de manière à « assurer une absence de préjudice économique ». Des pollens transgéniques peuvent contaminer des cultures bio. Des distances de sécurité, des zones tampons seront créées pour faire barrière entre les différents types de cultures.
En cas de contamination, un fond d’indemnisation est prévu. Il sera alimenté par une taxe payée par hectare ensemencé de plantes transgéniques. Le système est prévu pour cinq ans, en attendant que les assurances privées s’organisent pour prendre ce risque en charge.
La plupart des grands pays agricoles ne sont pas réticents comme la France à utiliser le génie génétique en agriculture. Selon les chiffres fournis par un organisme américain pro-OGM, l’International service for the acquisition of agri-biotech applications (Isaaa), les surfaces ensemencées en OGM ont progressé de 11% en 2005. Ces surfaces représentent maintenant 90 millions d’hectares, répartis dans 21 pays. Dans 14 d’entre eux, les surfaces concernées dépassent les 50 000 hectares : Afrique du sud, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Espagne, Etats-Unis, Inde, Mexique, Paraguay, Philippines, Roumanie et Uruguay. En 2005, le Brésil a connu la croissance la plus spectaculaire avec une progression de 88% des surfaces plantées en soja transgénique. Cette nouvelle variété de soja, qui permet de diminuer l’utilisation des produits chimiques pour éliminer les mauvaises herbes, est la plante OGM la plus cultivée au monde.
Cinq pays de l’Union européenne (Allemagne, Espagne, France, Portugal et République tchèque) cultivent du maïs OGM. En France, les parcelles se sont réduites comme peau de chagrin. Devant l’opposition des consommateurs et les actions commando des « faucheurs », industriels et instituts de recherche ont presque abandonné cette nouvelle filière.
La France légifère en matière d’OGM alors que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’apprête à rendre un arbitrage concernant le moratoire que l’Union européenne avait instauré sur les organismes génétiquement modifiés pour rassurer les consommateurs. L’Argentine, les Etats-Unis et le Canada ont porté plainte devant l’organisation internationale, estimant que ce moratoire était une entrave au commerce des produits agricoles. En général, les plaignants qui demandent l’arbitrage de l’OMC en sortent gagnants. Cependant l’avis rendu est souvent tellement complexe qu’il faut prendre, dans chaque camp, beaucoup de temps pour décrypter la décision annoncée.
par Colette Thomas
Article publié le 07/02/2006 Dernière mise à jour le 07/02/2006 à 17:42 TU