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Union européenne

Travail : la dynamique venue de l’Est

Ouvriers sur les Chantiers navals de l'Atlantique à Saint-Nazaire. Plusieurs centaines de soudeurs polonais travaillent à la construction des paquebots.(Photo: AFP)
Ouvriers sur les Chantiers navals de l'Atlantique à Saint-Nazaire. Plusieurs centaines de soudeurs polonais travaillent à la construction des paquebots.
(Photo: AFP)
Alors que la nouvelle mouture de la directive Bolkestein est, la semaine prochaine, examinée par le Parlement européen, la Commission de Bruxelles publie un rapport sur l’ouverture du marché du travail, en Europe de l’Ouest, aux travailleurs d’Europe de l’Est. Pour la Commission, cette ouverture a créé une dynamique dans les pays concernés.

Lorsque dix nouveaux pays d’Europe centrale et de l’Est sont entrés dans l’Union européenne, en 2004, les autres pays membres de l’Union ont eu la possibilité de protéger leur marché du travail pendant une période transitoire pouvant aller jusqu’à 2011.  Au moment de cet élargissement, trois pays, la Suède, l’Irlande et le Royaume-Uni, ont décidé de ne pas se protéger. Le rapport publié par la Commission européenne, quelques jours avant le retour de la directive Bolkestein, montre que, dans ces pays qui n’ont pas fermé leurs frontières aux travailleurs de l’Est, l’effet a été bénéfique pour l’économie.

« Les peurs sont souvent disproportionnées et ne reflètent pas la réalité », a déclaré le commissaire européen à l’Emploi à l’occasion de la publication de ce rapport. Même sur cette courte période - un peu plus d’un an -, le bilan montre que « l’impact sur le marché du travail a été largement positif », a encore commenté Vladimir Spidla. Dans les trois pays concernés (Suède, Royaume-Uni, Irlande), « la croissance enregistrée est forte et le chômage est resté stable ou a même baissé », a-t-il encore indiqué.

Trois expériences

Toujours selon ce rapport, les autres pays de la vieille Europe n’ont pas retiré de bénéfice en ayant mis des restrictions à l’arrivée de travailleurs venus de l’Est. Bien au contraire, ces « vieux » pays sont « confrontés à des pressions croissantes sur le marché du travail au noir ». Ce qui permet au représentant de la Commission européenne d’en conclure que : « Quand arrivent de nouveaux travailleurs, cela permet la création de nouveaux emplois, non seulement pour les nouveaux travailleurs, mais aussi pour les autres ».

Au moment du dernier élargissement, douze pays sur quinze ont mis en place des garde-fous pour limiter la possibilité de travailler sur leur territoire, comme la réglementation le permet. Pour le candidat d’Europe centrale ou de l’Est, le permis de travail est obligatoire avant même de quitter son pays. Certains pays d’accueil ont choisi d’instaurer des quotas pour ne pas avoir de surprise au niveau des flux de main d’oeuvre.

D’ici la fin avril, ces pays doivent décider s’ils lèvent, ou non, ces restrictions. Plusieurs cas de figure sont possibles. Soit ces pays maintiennent les restrictions en vigueur pour trois années de plus. Soit ces mesures sont assouplies en ouvrant certains secteurs de l’économie à ces travailleurs d’Europe de l’Est. Dernière option, la disparition totale des restrictions.

L’Allemagne et l’Autriche, en raison de leur proximité géographique avec les nouveaux membres de l’Union européenne, se sont montrées réticentes, depuis le début, à l’ouverture de leur marché du travail. Berlin a déjà fait savoir son intention de prolonger de trois ans les restrictions en vigueur. Vienne devrait annoncer que le système des permis de travail instauré va continuer. La France et l’Italie ne semblent pas prêtes à assouplir leur position. En revanche, la Finlande et l’Espagne pourraient lever tous les obstacles.

« La libre circulation des travailleurs est l’une des quatre libertés fondamentales de l’Union européenne », a encore rappelé le commissaire européen à l’Emploi. Son rapport met en effet en évidence que « les restrictions nationales ont eu peu d’effets directs sur la maîtrise de la circulation des travailleurs et que les flux migratoires sont, en fin de compte, déterminés par des facteurs liés aux conditions de l’offre et de la demande ».

Le bon côté de la migration

L’offre et la demande sont déjà à l’œuvre dans plusieurs secteurs de l’économie européenne notamment dans la construction navale. En France, sur les chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, plusieurs centaines de soudeurs polonais travaillent à la construction des paquebots. Le responsable d’une entreprise française de sous-traitance engagée sur ces chantiers indique : « Il y a deux raisons essentielles de travailler avec les Polonais. D’abord ils viennent d’un pays de construction navale, ils ont donc une qualification de haute qualité. Ensuite ils veulent travailler, ils sont motivés et flexibles ».

Les salariés polonais y trouvent leur compte parce qu’ils sont mieux payés que dans leur pays. L’employeur français, lui aussi, y gagne car cette main-d’œuvre est moins chère, les charges étant payées en Pologne. Ces migrations temporaires des soudeurs polonais ont un effet sur les chantiers navals polonais. A Gdansk, il y a pénurie de main d’œuvre, les chantiers ne peuvent pas prendre de nouvelles commandes alors que le secteur se porte bien. « Tous les mois, en moyenne une dizaine d’ouvriers quitte les chantiers pour aller travailler en France, en Irlande ou en Angleterre où ils gagnent jusqu’à quatre fois plus », explique le responsable des ressources humaines des chantiers polonais. A Gdansk, la direction cherche maintenant à faire venir des employés ukrainiens qui travaillent à Odessa. Des sous-traitants serviront d’intermédiaire, comme sur les chantiers navals français.

Des déplacements en cascade s’organisent en Europe. Ils amènent les travailleurs les plus pauvres à faire des séjours dans des pays plus riches pour gagner plus. Les Ukrainiens vont en République tchèque ou en Pologne, les Polonais prennent des emplois temporaires en France ou en Irlande. Les Tchèques tentent leur chance en Grande-Bretagne.

« Les flux de travailleurs des Etats membres d’Europe centrale et orientale vers l’UE-15 ont été moins importants que prévu et ont eu des effets essentiellement positifs », analyse encore le rapport alors que la semaine prochaine, le Parlement européen doit examiner la nouvelle version de la directive Bolkestein. Cette directive, qui prévoit une libéralisation des services en Europe, avait été retirée il y a quelques mois face à l’opposition de plusieurs pays membres dont la France.

La nouvelle mouture de la directive devrait être moins libérale. L’entreprise qui travaillera hors de son pays d’origine aura l’obligation d’appliquer la législation en vigueur dans le pays où elle aura obtenu le contrat. Le droit du travail notamment sera celui du pays d’accueil afin d’éviter les abus comme les heures non payées ou l’oubli de cotiser à un système de protection sociale. Les députés européens ne sont pas encore tous d’accord sur la portée de ce nouveau texte européen. Les dérogations donneront une idée de son champ d’application. On sait par exemple que les députés socialistes ne veulent pas que la future directive s’applique à plusieurs domaines comme la gestion communale de l’eau ou les crèches.


par Colette  Thomas

Article publié le 09/02/2006 Dernière mise à jour le 10/02/2006 à 10:48 TU

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Tito Boeri

Professeur à l'université de Milan, spécialiste des politiques sociales en Europe

«Dans les pays qui ont mis des restrictions très fortes à l'arrivée de ces travailleurs, il y a eu une montée du travail au noir»

[09/02/2006]

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