Proche-Orient
Poutine invite le Hamas à discuter
(Photo-montage : AFP/RFI)
En invitant le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, à Moscou, le président russe Vladimir Poutine cherche à reprendre la main dans le dossier du Proche-Orient, et pour cela, à relancer les pistes qui conduiraient à une issue au conflit israélo-palestinien. En dialoguant « bientôt » avec lui, Vladimir Poutine tentera d’infléchir la position du nouveau parti vainqueur des législatives palestiniennes, en le forçant à reconnaître l’Etat d’Israël, ou du moins à renoncer aux violences terroristes qu’il déploie. Parce qu’il s’agit bien de cela, de traiter ou non avec une organisation que la Russie ne considère pas terroriste, mais qui l’est pour un nombre croissant de responsables du monde entier. C’est le cas de l’Union européenne, par exemple, qui a inscrit le Hamas sur une liste noire depuis septembre 2003. En conséquence de quoi, l’UE, associé aux Etats-Unis, a conditionné la poursuite de son aide à l’Autorité palestinienne au rejet de la violence du Hamas, la reconnaissance d’Israël et le respect de la Feuille de route, le plan de paix international dans la région.
Moscou voit les choses différemment : le Hamas est arrivé au pouvoir « après des élections démocratiques et légitimes », a expliqué Vladimir Poutine, qui appelle donc à « respecter le choix du peuple palestinien ».
De son côté, le mouvement radical palestinien s’est dit « ravi » de cette invitation. En l’acceptant, le Hamas s’est déclaré « soucieux de renforcer ses relations avec l’Occident et avec la Russie », a déclaré à Gaza son porte-parole Sami Abou Zouhri.
Surprise du monde entier
Mais l’initiative russe a surpris le monde entier, révélant de fortes divergences. La Russie avait déjà sa place, a déploré un émissaire américain, rappelant que Moscou faisait déjà partie du Quartette pour le Proche-Orient (avec les Etats-Unis, l’Union européenne et les Nations unies) qui appelait la semaine dernière le Hamas à reconnaître le droit à l’existence d’Israël. Que peut-elle faire de plus ? « Contribuer à faire avancer nos positions », a approuvé la France, même si l’initiative russe « a été prise sans concertation avec les partenaires » du Quartette. « Je me risquerais à prédire que, tôt ou tard, un certain nombre de pays, dont les quatre du Quartette vont être favorables à des contacts avec le Hamas », s’est risqué Sergueï Ivanov, ministre russe de la Défense. Washington n’est pas mûr pour cela : la Maison Blanche s’est estimée « surprise et inquiète » par l’initiative russe, et, estimant que le Hamas doit reconnaître le « droit d'Israël à l'existence », « renoncer à la violence et déposer les armes », a demandé des éclaircissements sur les intentions russes. Ces intentions pourraient d’ailleurs compliquer les relations de la Russie avec le G8. En 2006, Moscou préside en effet ce groupe des pays industrialisés qui l’avaient intégrée au G7.
Israël « scandalisé »
L’offre russe n’apparaît pas prometteuse aux yeux d’Israël, qui s’est dit « scandalisé ». S’efforçant d’isoler le mouvement islamiste palestinien, l’Etat hébreu qualifie de « coup de couteau dans le dos » le geste russe. Celui-ci « vise à accorder une légitimité internationale à un groupe terroriste et nous devons nous y opposer par tous les moyens », a déclaré Meir Sheetrit, ministre israélien de l’Education. L’objectif de l’invitation est précisément de conduire le parti islamiste à reconnaître Israël, a affirmé un diplomate russe de haut rang. Mais « que dirait Moscou si nous invitions, en réponse, les représentants des Tchétchènes ? », a déploré Meir Sheetrit. « Quand les Tchétchènes commettent un attentat à Moscou, la Russie considère qu’il s’agit d’un acte terroriste, mais ce n’est pas le cas quand cela se produit à Jérusalem », s’est indigné un haut responsable israélien sous couvert d’anonymat. Et Meir Sheetrit de rappeler : « La Russie, qui empêche la tenue d'élections libres en Tchétchénie, n'a pas à nous donner des leçons de morale sur la légitimité acquise par le Hamas à l'issue d'un scrutin ».
La démarche russe
Quelle est la motivation de Vladimir Poutine ? Depuis les législatives palestiniennes, il n’a cessé de clamer l’importance de continuer à aider les Palestiniens. Suspendre cette aide serait « une grande erreur », a indiqué le leader russe : « lorsque nous parlons des causes et des racines du terrorisme, nous nous référons à l’injustice sociale, à la misère et au chômage. Si nous cessons d’aider les simples citoyens palestiniens, allons-nous éradiquer le terrorisme et la criminalité ? Bien sûr que non », a-t-il relevé. « Cela ne veut pas dire que Moscou accepte et approuve tout ce que le groupe radical palestinien fait », a-il rappelé. Le président russe veut convaincre Khaled Mechaal de l’instauration d’un contrôle international sur la manière dont sont dépensés les fonds occidentaux alimentant le budget de l'Autorité palestinienne.
Le président russe a estimé que la victoire du Hamas a porté un « coup très dur » aux efforts américains. En jouant un nouveau rôle, et en agissant différemment des Américains et de l’Europe de l’ouest, il veut imposer son pays comme un acteur important au Proche-Orient. Mais cela pourrait s’avérer difficile, voire risqué, estiment certains analystes. « La politique extérieure russe revient à l’époque de l’URSS. Moscou soutient le Hamas, l’Iran, vend des armes à la Syrie, flirte avec la Corée du Nord et Cuba. Mais ce désir de s’allier avec des parias risque de mener à une impasse », a prévenu le politologue russe Evguneni Volk de la Foundation Heritage.
par Gaëtane de Lansalut
Article publié le 10/02/2006 Dernière mise à jour le 10/02/2006 à 16:35 TU