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Bush fermera-t-il Guantanamo?

Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, quelque 500 prisonniers sont détenus sans procès dans la base américaine de Guantanamo.(Photo : AFP)
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, quelque 500 prisonniers sont détenus sans procès dans la base américaine de Guantanamo.
(Photo : AFP)
Si le président américain Bush s’arc-boute sur sa position de ne pas fermer la base américaine de Guantanamo Bay, de vives réactions se font de plus en plus pressantes après la publication le 16 février du rapport de l’ONU et de la résolution du Parlement européen qui l’invitent à fermer « sans délai » ce centre de détention pour présumés terroristes où certains actes s’apparentent à la « torture ». Pressions telles que l’administration Bush pourrait se voir confrontée plus vite que prévu au droit pénal et humanitaire international.

Au pied du mur, l’administration Bush semble faire la sourde oreille. Elle refuse la fermeture du camp d’emprisonnement de Guantanamo Bay, prison américaine située dans le sud de Cuba où sont emprisonnés quelque 520 présumés terroristes. Elle estime que l’Onu se « discrédite » en l’accusant, dans un rapport rendu public le 16 février, de faire subir des « traitements inhumains » aux incarcérés. Pour Washington, le rapport ne se fonde pas sur la réalité des faits puisque les enquêteurs de l’Onu ont refusé de visiter la prison américaine. En indiquant que la Croix-Rouge Internationale, dont ils connaissent l’astreinte à la confidentialité, avait déjà visité les prisonniers, les Etats-Unis ont refusé aux enquêteurs de l’Onu un tête-à-tête avec les « ennemis combattants ». C’est pourquoi les inspecteurs de l’Onu avait refusé de visiter la prison.

Devant les déclarations de l’Onu, la Maison Blanche a répondu que « rien n’a changé » dans la position américaine. « De dangereux terroristes » sont détenus à Guantanamo, ils sont traités « humainement » par les militaires, a expliqué le porte-parole de la Maison Blanche, Scott Mc Clellan, qui a qualifié les accusations de l’Onu de  « réchauffé d’allégations faites par des avocats pour le compte de certains détenus ». Pour Washington, ce sont même « les détenus membres d’al-Qaïda ont été entraînés à répandre de fausses allégations ». Cela fait maintenant quatre ans que, dans le cadre de la lutte anti terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 commis par des extrémistes islamistes, 520 personnes, suspectées d’avoir des liens avec le terrorisme, sont détenues sans procès à Guantanamo, certaines sans avoir eu accès à un avocat, sans contact direct avec leur famille et sans perspective de libération. La plupart d’entre eux ont été capturés lors de l’offensive américaine en Afghanistan en 2001.

Réclusion et isolement inhumain

George W. Bush pourra-t-il continuer à s’opposer à la fermeture d’un camp où les droits humains les plus élémentaires sont décrits comme étant violés par les militaires américains ? Le contenu du rapport, rendu public le 16 février, des experts indépendants (dont le rapporteur spécial sur la torture Mandred Nowak et la présidente du comité sur la détention arbitraire, Leila Zerrougui) et désignés par la Commission des droits de l'Homme de l'Onu ne souffle pas dans son sens. Les 54 pages décrivent des conditions générales de captivité s’apparentant à des « actes équivalant à de la torture», des « traitements inhumains », « dégradants » ou « cruels », des « détentions arbitraires ». Ces traitements ou « punitions » « violent les droits à la santé » des prisonniers et « certaines techniques d’interrogatoire sont fondées sur une discrimination religieuse et visent à offenser les sentiments religieux des détenus ».

« Il faut fermer le centre »

« Tôt ou tard » ce camp devra être fermé, a asséné le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan. Ce sera « au gouvernement (américain) de décider en espérant que cela sera fait le plus tôt possible », a pressé Kofi Annan. Même si, à l’instar de Keven Maloney, ambassadeur américain à l’Onu pour les questions des droits de l’Homme, pour qui les rapporteurs n’ont retenu que des faits allant dans le sens d’une violation des droits de l’Homme, et ont ignoré « d’autres faits qui montraient le contraire », Kofi Annan n’est pas entièrement d’accord avec l’intégralité du rapport, il réclame la fermeture de Guantanamo.

De plus en plus de voix réclament aussi cette fermeture : « j’ai toujours dit que c’était une anomalie dont il faudrait s’occuper à un moment ou à un autre », a indiqué Tony Blair, Premier ministre britannique travailliste, immédiatement suivi par le ministre britannique à l’Irlande du nord, Peter Hain, qui « préférerait que (ce centre) ne soit pas là, qu’il soit fermé », en indiquant refléter l’opinion de l’ensemble du gouvernement britannique. Même prises de position en Allemagne où la chancelière Angela Merkel a estimé qu’« une institution comme Guantanamo ne peut pas et ne doit pas continuer à exister comme cela à long terme », réitérant la demande qu’elle avait faite à Bush en janvier dernier. La fermeture de la prison « serait dans l’intérêt des Américains » a renchéri le coordinateur allemand pour les relations germano-américaines auprès du ministre des Affaires étrangères, Karsten Voigt. Selon lui, cette prison est « incompatible avec les normes juridiques en vigueur en Europe », elle entache l’image des USA à l’étranger et donc leur fait perdre en sécurité.

Dans la lignée du rapport de l’Onu, qu’appuie l’organisation humanitaire Human Rights Watch, une résolution du Parlement européen votée le même jour, 16 février, a condamné « toute forme de torture et de mauvais traitement », et demandé expressément la fermeture de Guantanamo. Cela fait des années que des voix s’insurgent contre l’existence d’une telle prison, qu’Amnesty International avait qualifiée de « Goulag de notre époque » en mai 2005. Cette « honte nationale »,  avait estimé le New York Times pour sa part, selon qui « ce qui rend la métaphore du Goulag d’Amnesty pertinente est que Guantanamo n’est que le maillon d’une chaîne de camps de détention fantômes » dont certains sont secrets, avait dit le journal selon lequel « chacun a produit ses propres histoires d’abus, de torture et d’homicides criminels ». « Ceux-ci ne sont pas des incidents isolés, mais une partie d’un système de détention global étroitement relié qui ne rend aucun compte à la loi », expliquait le journal américain.

Des prisonniers parlent

S’il n’y a pas de photos sur les tortures commises à Guantanamo, contrairement aux clichés pris dans la prison irakienne d'Abou Ghraib, d’anciens prisonniers du pénitencier américain de Cuba ont dit savoir que, même si les sévices n’étaient pas aussi cruels à « Gitmo »  (diminutif de Guantanamo) qu’à Abou Ghraib, il y avait des endroits du centre où avaient lieu des brutalités hors normes pour les « détenus difficiles ». Ces sévices ont été décrits sur l’antenne de RFI le 17 février par un témoignage d’un des présumés terroristes incarcérés. « J’ai vu des scènes très très effrayantes, on a été violenté à plusieurs reprises ». Il y avait « même l’utilisation de bombes lacrymogènes… », a-t-il ajouté. C’était « vraiment très très violent et extrêmement traumatisant, ça peut aller de coups, de coups de pieds, crachats, à l’isolement dans les centres d’interrogatoires, où (les prisonniers sont) violentés et frappés par plusieurs militaires… »  a-t-il témoigné, ajoutant que « les violences étaient extrêmement fréquentes ».

Libérer ou juger les prisonniers

Pour l’administration Bush, les « ennemis combattants » sont détenus « en accord avec la loi internationale et ses obligations ». Mais ni la constitution américaine ni le droit pénal international ne sont appliqués dans la prison. Pour l’Onu, les détenus sont incarcérés hors de toute procédure judiciaire et hors de tout cadre légal international : « le point principal est que l’on ne peut pas détenir des individus à perpétuité et que des accusations doivent être portées contre eux et (ils doivent) avoir une possibilité de s’expliquer eux-mêmes et alors d’être poursuivis, accusé ou relâchés », a estimé Kofi Annan.

Dans son rapport, l’Onu a demandé au gouvernement américain de « libérer » ou de « juger » rapidement les prisonniers de Guantanamo, en les transférant éventuellement vers des prisons aux Etats-Unis avant leur procès. Le Parlement européen a engagé les Etats-Unis à juger ses prisonniers devant un « tribunal compétent, indépendant et impartial » : « chaque prisonnier doit être traité conformément à la législation humanitaire internationale et jugé sans délai dans le cadre d’une audience publique et équitable ». Pour le Parlement européen, « la lutte contre le terrorisme, qui constitue une des priorités de l’Union et un axe majeur de son action extérieure, ne peut être mise en œuvre que si les droits de l’homme et les libertés civiles sont pleinement respectés ».


par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 17/02/2006 Dernière mise à jour le 17/02/2006 à 10:56 TU

Audio

Mourad Benchellali

Ancien détenu français de Guantanamo

«A Guantanamo, les violences faites par les militaires américains aux prisonniers sont extrêmement fréquentes et similaires à celles de la prison d'Abou Ghraïb.»

[17/02/2006]

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