Inde-France
Résultats encourageants malgré les contentieux
(Photo: AFP)
Il y a du paradoxe dans les liens franco-indiens, comme l’a été la décision politique de rapatrier le Clemenceau, comme l’est l’Inde, aussi marquée par de profondes inégalités que tête de proue dans la région en haute technologie, acceptant l’aide française pour sa technologie nucléaire ou pour un éventuel siège au Conseil de sécurité des Nations unies, mais dénonçant une « xénophobie » européenne suscitée par l’offre publique d’achat (OPA) de Mittal Steel sur le sidérurgiste Arcelor. Dans ces courants contraires, Chirac, en première visite officielle depuis 1998, a dû se frayer un chemin délicat et calmer le jeu entre les deux pays, mais c’est bien une nation mure, un « grand pays responsable », que le chef de l’Etat français a rencontré, qui a permis de stimuler les liens franco-indiens sur le plan économique et d’envisager une collaboration dans le nucléaire civil.
Accompagné d’un aréopage d’une trentaine de décideurs économiques, dont cinq ministres (entre autres, ceux de l’Economie et des Finances et du Commerce extérieur), Jacques Chirac a débarqué en Inde, bien décidé à éteindre le moindre signe de discorde entre les pays, et à re dynamiser les liens franco-indiens grâce à un « cap export Inde » en poche, projet de Bercy labellisant une coopération franco-indienne, privilégiée et supervisée par les pouvoirs publics. Oubliés la triste épopée et le piteux retour du Clemenceau dans le giron de la mère patrie !
Dans une région à forte croissance (8% par an), Jacques Chirac a rappelé l’objectif de doubler les échanges entre les deux pays dans les cinq ans. Impossible en effet pour la France de se contenter d’une faible part de marché (1,7%) dans ce pays d’un milliard d’habitants! L’exercice de diplomatie économique a nécessité dans un premier temps de désamorcer les critiques des Indiens persuadés du « racisme » et de la « xénophobie » des Français à l’égard de l’OPA de Mittal Steel sur Arcelor. Le ministre indien du Commerce, Kamal Nath, a même menacé dans une lettre adressée au commissaire européen du Commerce, l’attitude européenne de libéralisation des services, contraire, selon lui, aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) si l’Europe s’érigeait en citadelle face à cette OPA « hostile ». « Nous n’avons rien contre une opération menée par un groupe étranger à l’égard d’un groupe européen, a rétorqué le chef de l’Etat français, mais nous voudrions savoir quel est le projet ». Même avis du ministre de l’Economie, Thierry Breton, pour qui l’OPA est dénuée de véritable projet industriel à la clé.
Malgré cela, des contrats aéronautiques franco-indiens ont été signés : EADS (détenant 80% d’Airbus), pour qui cette commande est apparue la plus grosse depuis le début de l’année, a vendu 43 Airbus A320 à Indian Airlines pour 2,5 milliards de dollars et 15 nouveaux avions ATR 72-500 (avions de transports régionaux) à Kingfisher pour 270 millions de dollars. Deuxième projet : EADS doit lancer avec Antrix Isro un premier satellite franco-indien. Ces ventes font figure de fer de lance pour les 270 entreprises françaises (déployant 35 000 personnes) implantées dans ce pays, et pour les 2 900 qui ont des échanges avec ce pays à forte croissance.
Coopération nucléaire
Avec un besoin indien de 20 à 25 centrales nucléaires d’ici 2020 pour couvrir ses besoins énergétiques, ces échanges économiques concernent aussi le potentiellement lucratif marché du nucléaire civil français, dont certains représentants ont accompagné Jacques Chirac pendant sa visite officielle: Alain Burgat, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et Anne Lauvergeon, présidente du directoire d’Areva, groupe nucléaire français. Ces leaders attendaient impatiemment un feu vert politique pour pouvoir vendre leur technologie, avant l’arrivée début mars de l’offre concurrente américaine. C’est chose faite : l’Inde et la France sont arrivés à un accord cadre dans le domaine du nucléaire civil. Parce que ni le Clemenceau ni les accusations sur Arcelor n’étaient un problème « entre l’Inde et la France », a estimé Chirac, concédant toutefois que l’OPA de Mittal n’était peut-être pas « conforme à l’intérêt de l’entreprise ». Mais ce n’est pas ce marché du nucléaire civil que Jacques Chirac a mis en avant, mais bien la capacité de la France de faire bénéficier l’Inde d’une technologie énergétique non polluante en gaz à effet de serre. En effet, mis à part l’encombrant problème des déchets radioactifs, le nucléaire est une source d’énergie propre à soutenir les 8% de croissance annuelle de l’Inde dans une perspective de développement durable. Déjà, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et son homologue indien, le Bureau d’efficacité énergétique (BEE), ont signé un accord de coopération dans le domaine de la maîtrise de l’énergie.
La France a donc plaidé un assouplissement du cadre de coopération internationale en matière nucléaire en faveur de l’Inde, une puissance qu’elle estime « responsable », pour lui donner un « statut spécial » en matière de développement nucléaire civil. Bien qu’elle soit déclarée puissance nucléaire depuis 1998, l’Inde était sujette à de nombreux obstacles pour développer la part civile de cette énergie atomique. Ce pays est non-signataire du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), et ne peut donc pas recevoir d’aide extérieure dans ce domaine, c’est-à-dire qu’il lui est impossible de coopérer avec les membres du Groupe des fournisseurs nucléaires (NSG) dont la France fait partie. Acceptant en retour que son pays dissocie ses activités civiles et militaires, qu’il autorise des inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique et instaure un moratoire sur ses essais nucléaires, Manmohan Singh, Premier ministre indien, a pu signer avec Jacques Chirac un accord cadre sur le nucléaire civil entre les deux pays.
« Sous réserve de leurs obligations et engagements internationaux respectifs », l’accord conclu renforce la coopération franco-indienne dans le développement de l’énergie nucléaire, « à des fins exclusivement pacifiques ». Les domaines d'une future coopération pourront porter sur la recherche fondamentale, l'échange et la formation de personnels scientifiques, l'application de « l'énergie nucléaire à la production d'électricité, notamment le lancement de projets de centrales électriques », la gestion de combustible nucléaire, la gestion des déchets nucléaires. « Il nous faut avancer résolument avec l’Inde », a déclaré le président français, qui devait appuyer la candidature de l’Inde au Conseil de sécurité des Nations unies.
par Gaëtane de Lansalut
Article publié le 20/02/2006 Dernière mise à jour le 20/02/2006 à 18:00 TU