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France

Villepin, attaqué sur sa politique sociale

Le Premier ministre Dominique de Villepin à l'Assemblée nationale.(Photo : AFP)
Le Premier ministre Dominique de Villepin à l'Assemblée nationale.
(Photo : AFP)
Une motion de censure, déposée par le Parti socialiste (PS) et débattue le 21 février à l’Assemblée nationale, a attaqué la politique sociale de Dominique de Villepin, mais était sans risque pour lui, étant donné les rapports de force à l’Assemblée nationale. Etait visé le très controversé Contrat première embauche (CPE), destiné aux jeunes et plus précaire qu’un CDI, et qui a redonné de la vigueur à l’opposition depuis quelques semaines. Le texte du CPE passera jeudi au Sénat, où PS, PC et UDF envisagent de lui faire barrage, et devrait être voté fin mars. Les joutes préfigurent les lignes de force de la présidentielle française de 2007.

C’est la deuxième motion de censure qu’affronte le Premier ministre, Dominique de Villepin, depuis son arrivée à Matignon, mais elle devait être sans risque pour lui car elle n’a aucune chance d’être adoptée, étant donné les rapports de force à l’Assemblée nationale : 364 députés UMP sur 577. Elle doit juste « alerter l’opinion », a indiqué François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, qui a taxé le CPE d’ « arme de destruction du contrat à durée déterminée (CDI) ». Soutenue par les syndicats, lycées et étudiants, une partie de la gauche (149 PS, les Radicaux de gauche, les Verts et les divers gauche) entendait, par cette motion, dénoncer la « brutalité » du recours de Dominique de Villepin à l’article 49-3 de la Constitution qui avait fait adopter sans vote par l’Assemblée l’ensemble son projet de loi sur l’égalité des chances.

Ce texte incluait le très controversé Contrat première embauche (CPE), mesure-phare du plan Villepin pour l’emploi des jeunes, mais élaboré sans négociation avec les partenaires sociaux. Rebaptisé « Contrat Précarité Exclusion » par le Parti socialiste ou « Contrat Pour Ejecter » par le Parti communiste, le CPE s’attire les foudres de la majeure partie de la gauche comme de l’UDF, qui ne votait pourtant pas la motion, mais qui s’était déjà opposée au gouvernement, le 8 février, en votant contre ce Contrat créant « une fracture supplémentaire ». Le projet de loi du CPE doit être adopté fin mars, après avoir été étudié le 23 février au Sénat où l’UMP n’a pas la majorité.

Déjà, dans l’après-midi du 21 février, 700 à 800 étudiants anti-CPE de l’Université Paris X de Nanterre ont voté la grève à partir du lendemain, et 500 d’entre eux ont envahi le lycée Joliot-Curie de Nanterre et le tribunal des prud’hommes de Nanterre, pour protester contre un contrat « qui ne fait qu’augmenter la précarité ».

CDI « interruptible » ou « forme normale d’emploi »

Parce que « la France va mal », indiquait Hollande, sauf « la France des dividendes », a estimé le PCF, il s’agit de trouver la forme adéquate du contrat qu’il faut développer pour permettre d’augmenter les embauches. Là, les opinions divergent : le gouvernement estime que la flexibilité est une clé du succès économique et de la « refondation sociale » en matière de politique sociale, alors que la gauche le juge comme une entreprise de précarisation fragilisant les salariés et le droit du travail. Villepin « prétend sauver le modèle social français mais, en réalité, il est en train de le détruire », a dénoncé Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Le CPE, réservé aux jeunes de moins de 26 ans, est un « CDI interruptible » pendant une période d’essai de deux ans, sans que l’employeur n’ait à se justifier de sa décision.

« Trop de contrats tuent l’embauche », a déclaré le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), critiquant la création du Contrat nouvelles embauches (CNE) à destination des très petites entreprises et du CPE à destination des jeunes. D’autant que le CPE, petit frère du CNE, n’a créé « aucun nouvel emploi » depuis six mois qu’ « on en a l’expérience », a dénoncé Dominique Strauss-Kahn. « Ça ne sert à rien, sauf à détruire le code du travail, car c’est peut-être l’objectif », a ajouté le député PS du Val d’Oise. Alors, au lieu de « créer des nouveaux dispositifs à chaque fois qu’il y a un problème (…), a indiqué la présidente du CJD, Françoise Cocuelle, il faut tout remettre à plat et surtout simplifier ». La forme adéquate serait alors « un contrat unique en CDI avec des droits qui se renforceraient en fonction de l’ancienneté ».

A droite, un proche de Jacques Chirac, Henri Proglio, PDG de Veolia Environnement, désavoue aussi la pertinence du CPE de Villepin en préconisant dans son rapport sur l’insertion professionnelle des jeunes le CDI comme « forme normale d’embauche », rapporte Libération dans son édition du 21 février. « Les solutions [pour améliorer l’emploi des jeunes] ne sont ni du côté de la fuite en avant vers la professionnalisation des études, ni dans la multiplication des études, ni dans la multiplication des mesures incitatives pour favoriser l’embauche des jeunes », explique-t-il. « Près de trente ans de mesures jeunes ont fini par ancrer dans les esprits la conviction que l’on ne peut débuter sa vie professionnelle sans bénéficier d’une mesure incitative ».

Pour François Bayrou, président de l’UDF, « on est allé au plus facile [avec la création du CPE], en décidant de concentrer toute la flexibilité et donc toute la précarité sur les plus fragiles, les plus jeunes, les plus âgés et les plus petites entreprises ». Même constat du PCF : « Retirez le CPE, abrogez le CNE, renoncez à vos projets de destruction du code du travail et de décennies de droits sociaux! », demande-t-il à Villepin, rappelant qu’il « frappe là où il y a le plus d'espoir vivant en [s’] attaquant à la jeunesse ».

Une vision du modèle social pour 2007

Alors les solutions ? Le PS oppose au CPE un « contrat solidarité formation » pour les 20% de jeunes sans qualification, contrat qui propose aux entreprises « des exonérations supplémentaires de charges sociales », et qui serait créé en ouvrant « une grande négociation avec les partenaires sociaux sur le contrat de travail ». Il propose aussi « la modulation des cotisations sociales, selon la durée des contrats afin de faire du CDI la forme normale d’emploi ». L’UDF estime aussi qu’il faut « un CDI à droits progressifs » et que le salarié ne doit pas être « à la merci d’un renvoi sans justification ».

Car la précarisation est forte dans le monde du travail. L’Institut de statistiques du ministère de l’Emploi pointait d’ailleurs du doigt la précarisation moindre des statuts dans le secteur privé contrairement au secteur public qui « n’a pratiquement pas cessé » ces dernières années « d’augmenter le recours à ce type de contrats »: 12% des effectifs salariés sont employés en CDD, emplois aidés ou intérimaires, dans le privé, contre 16% des agents de la fonction publique (d’Etat, territoriale et hospitalière), employés en CDD, vacataires, emplois aidés, stagiaires.

L’initiative de Dominique de Villepin, qui a mis tout son poids dans la bataille pour  « déverrouiller » le marché de l’emploi, lui a fait perdre des points dans les sondages. Pour expliquer l’érosion notable de la popularité du Premier ministre subissant les affres des enquêtes d’opinion (54% d’insatisfaits), le président du groupe UMP de l’Assemblée nationale a fait remarquer que « la France, malheureusement, redoute le mouvement ». De son côté, la gauche estime que le CPE peut être le point de départ d’une contestation plus radicale révélatrice d’une « vision du modèle social », d’un « refus de la précarité » et d’un « rapport à la démocratie ». La joute des députés préfigure les rapports de force entre la gauche et la droite qui émergeront clairement à la présidentielle de 2007.


par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 21/02/2006 Dernière mise à jour le 21/02/2006 à 18:26 TU