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Haïti

Aristide veut rentrer au pays

Conférence de presse de l'ancien président haïtien Jean-Bertrand Aristide, le 22 février 2006 à Pretoria (Afrique du Sud).(Photo: AFP)
Conférence de presse de l'ancien président haïtien Jean-Bertrand Aristide, le 22 février 2006 à Pretoria (Afrique du Sud).
(Photo: AFP)

Malgré les réticences américaines, l'ancien président Jean-Bertrand Aristide estime qu'il a « le droit de rentrer » au pays en « citoyen », après avoir vécu deux ans d'exil en Afrique du Sud, à Pretoria. L'ex-prêtre se dit « persuadé » de pouvoir « servir » son pays « sans être (...) président ».


L'histoire de Jean-Bertrand Aristide s'apparente à un feuilleton. Déchu de son poste de président de la République d'Haïti par les Nations unies, la France, les Etats-Unis et le Canada qui avaient renoncé à le soutenir face à l'insurrection armée meurtrière le 29 février 2004, l’accusant d’être à l’origine de la violence qui avait embrasé le pays, contraint depuis à l'exil en Afrique du Sud où il a été accueilli avec sa famille, Aristide clame aujourd'hui son droit de revenir au pays « dès que possible » sur les ondes de la radio-télévision publique sud-africaine SABC. Il n’a toutefois pas fixé de date précise, estimant qu'elle serait « trouvée ». 

Aristide profite de l'occasion donnée par la récente élection à la présidence de René Préval, celui qui a été son Premier ministre et « frère jumeau » pendant de longues années, pour revenir sur la scène. En effet, Préval, bien que ne soufflant mot d'Aristide tout au long de sa campagne présidentielle, a bénéficié par ricochet le 7 février 2006 de la popularité d'Aristide, celle du « prêtre des bidonvilles » qui avait élu président en 1990. Après ses années de pouvoir, Aristide a affirmé qu'il ne regrettait aucune de ses décisions: « je suis un homme qui a toujours fait de son mieux pour respecter sa parole ». 

Aujourd'hui, pour que son retour soit possible dans ce petit pays des Caraïbes, Aristide invoque une discussion qu'il a eue avec le président sud-africain Thabo Mbeki : « Comme l'a dit le président Mbeki l'autre jour, [ce retour] doit résulter d'un dialogue entre le président Préval, moi-même, les Nations unies et d'autres pays, car ils unissent tous leurs efforts pour maintenir la paix dans le pays ». L'ancien président déchu se sent d'autant plus dans son « droit » qu'il a souhaité rappeler qu'on ne pouvait « empêcher quelqu'un de rentrer chez lui, alors que la Constitution de son pays dit clairement qu'elle n'accepte pas l'exil ». 

Mise à distance 

Seulement Aristide ne semble plus être en état de grâce dans son pays, où les revendications de la population sont fortes, l'insécurité omniprésente, mais où semble naître un vent d'espoir avec l'élection de Préval, soutenu par un taux de participation record des Haïtiens aux urnes. Si Thabo Mbeki estime « que le président Préval ne s'opposerait pas au retour en Haïti de l'ancien président Aristide », Préval, lui, et à l'instar de l'administration américaine qui répète à l'envi qu'Aristide est « un homme du passé », semble « lâcher » son jumeau.  En effet, alors qu'Aristide argue qu'il « continuera à s'investir dans l'éducation » en « citoyen » haïtien, parce qu'il a été lié à ce domaine « toute sa vie », Préval lui conseille de « tenir compte » du sort d'Alberto Fujimori, ancien président péruvien en exil, arrêté au Chili en 2005 alors qu'il s'apprêtait à regagner son pays pour se présenter à la présidentielle. 

Ce qui est arrivé à Fujimori pourrait arriver à Aristide: le gouvernement intérimaire d'Haïti a porté plainte contre lui en novembre 2005, devant le tribunal fédéral de Miami, pour « détournement de plusieurs dizaines de millions de dollars » de fonds publics et pour « avoir encouragé, protégé, participé et profité d'un trafic de drogue illégal en Haïti et de celui passant par Haïti ». C’est cet homme que Préval avait tenu à l'écart pendant toute la campagne présidentielle d'un pays où les gangs de la drogue ruinent les institutions. S'il obtient la majorité aux élections parlementaires du 19 mars, Préval devra bel et bien restaurer enfin l'autorité de l'Etat dans ce pays épuisé par vingt ans de crises. 

Dans ce contexte, Aristide, lui, se compare à « Nelson Mandela », ce héros de la lutte anti-apartheid, toujours très respecté et écouté depuis son retrait de la vie politique en 1999. « J'aime écrire, j'aime la recherche, et maintenant je suis heureux car je rentre avec, en plus, le zoulou, une langue africaine », déclare l'ex-président haïtien, qui nourrit le projet de devenir un ardent défenseur de la « Renaissance africaine » dans la mesure où « Haïti est le plus africain des pays situés en dehors de l'Afrique ». Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, prévient le New York Times, et le rôle d’Aristide devra être vraisemblablement clairement défini, s'il revenait au pays : « Si Préval laisse une fois de plus Aristide en charge de la situation, les problèmes pourraient resurgir », avertit le journal. « S’il maintient à distance Aristide, il pourrait voir son soutien s’effilocher rapidement. Quelles que soient les circonstances, Haïti aura besoin du soutien international pour encore longtemps », conclut le quotidien.


par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 22/02/2006 Dernière mise à jour le 22/02/2006 à 11:56 TU