Darfour
L’ONU désigne des responsables soudanais
(Photo : Laurent Correau/RFI)
Mars 2005, le conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1591. Elle prévoit la constitution d’un groupe d’experts sur le Soudan, avec un mandat de six mois. Chargés de faire des recommandations au conseil de sécurité de l’ONU, ces experts doivent notamment aider le conseil à identifier les personnes qui violent l’embargo sur les armes, celles qui font obstacle au processus de paix, violent le droit international ou sont responsables de survols militaires à caractère offensif. A l’issue de son mandat, le groupe a transmis, en décembre, dernier son rapport. (http://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=S/2006/65&Lang=F&Area=UNDOC)
On y apprend tout d’abord que la mission des experts n’a pas été de tout repos : « à deux reprises (le 21 septembre et le 5 novembre 2005), des membres du groupe se sont trouvés harcelés et détenus par des agents du renseignement militaire soudanais au Darfour. En dehors de graves risques pour leur sécurité physique, ce harcèlement et cette détention de membres du groupe constituent un obstacle grave et inacceptable à son travail. » On découvre également dans ce rapport, sur plusieurs dizaines de pages, une analyse de la situation sécuritaire dans le Darfour. Mais surtout, le groupe d’experts a établi une liste de personnes susceptibles d’être sanctionnées par le conseil de sécurité de l’ONU : 17 noms sont cités. Le document est longtemps resté secret, mais
Une liste de 17 noms
Dans cette liste figurent essentiellement des membres de l’appareil sécuritaire soudanais, du responsable gouvernemental au chef de milice locale. En premier lieu le ministre de l’Intérieur, Elzabier Bachir Taha, qui n’a pas « utilisé les forces de police pour désarmer les milices non gouvernementales, conformément aux engagements du gouvernement ». Le ministre de la Défense, le major général Abdel-Rahim Mohamed Hussein. Le comité lui reproche de ne pas avoir désarmé ces mêmes milices, ou de ne pas avoir respecté l’embargo sur les armes. Le puissant Salah Abdallah Gosh, le chef de la sécurité et du renseignement est mis sur la sellette pour l’absence de désarmement des milices mais aussi pour « sa responsabilité de commandement dans des actes de détention arbitraire, de harcèlement, de torture, de déni d’un procès équitable, des actes commis par des agents de la sécurité nationale et des services de renseignement sous son contrôle au Darfour.» Suivent les noms du directeur des opérations des forces armées soudanaises, du commandant de la région militaire ouest, d’officiers locaux ou de chefs de milice.
Le texte du rapport donne plus de détails sur les raisons qui ont conduit à ce choix. « Le gouvernement soudanais a violé et continue de violer l’embargo sur les armes », indiquent les experts, en ayant redéployé au Darfour des armes venant d’autres régions du Soudan, ou en renvoyant dans la région six hélicoptères de combat qui en avaient été retirés initialement. Les enquêteurs de l’ONU affirment avoir recensé plusieurs cas de survols militaires à caractère offensif… ou des attaques frappant rebelles et civils, sans discernement. Le rapport précise également que « le gouvernement soudanais a lamentablement failli à l’obligation qui lui est faite d’identifier, de neutraliser et de désarmer les groupes de miliciens qui ne font pas partie des forces de sécurité officielles de l’Etat et qui sont sous son influence ou son contrôle», comme l’avait exigé le Conseil de sécurité dans sa résolution 1556.
Grands absents
Il y a plusieurs grands absents sur cette liste. Il n’y a aucun Libyen, ni aucun Erythréen. Les experts reprochent pourtant à l’Erythrée d’avoir entraîné et armé les deux mouvements rebelles du Darfour, le MLS (Mouvement de Libération du Soudan) et le MJE (Mouvement pour la Justice et l’Egalité) : « Selon des sources indépendantes et selon le gouvernement soudanais, l’Erythrée a fourni des armes, un appui logistique, une formation militaire et un appui politique aussi bien au MJE qu’à l’ALS [la branche armée du MLS] le MJE et l’ALS ont bénéficié d’une formation dans un certain nombre d’anciens camps de la SPLA en Erythrée, sur la frontière entre les deux pays, entre 2003 et 2004.» Accusations également contre la Libye. Il est question de transit d’armes, de cargaisons réceptionnées à Al Koufra par des rebelles du MLS et du MJE. Mais également de fourniture d’équipement : « Le groupe a pu vérifier auprès de diverses sources fiables que la faction de l’ALS dirigée par Minni Minawi avait reçu 35 véhicules Land Cruiser d’un membre d’un des services de sécurité libyen, en juillet 2005. D’après au moins un témoin et une source confidentielle, la cargaison comprenait des uniformes et des munitions. Le groupe a également reçu des informations crédibles selon lesquelles Minni Minawi aurait reçu une soixantaine de véhicules Land Cruiser de la Jamahiriya arabe libyenne au moment où se tenait le Congrès de Haskanita, en novembre 2005 ». Impossible cependant, pour les experts, de dire s’il s’agit d’un soutien officiel, ou de l’initiative d’officiers isolés.
Côté rebelle, seuls trois commandants du MLS sont montrés du doigt. Aucun membre du MJE. Le rapport indiquait pourtant que « les forces rebelles, à savoir les membres de l’ALS et du MJE, étaient, elles aussi, responsables de graves violations des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, pouvant être considérées comme des crimes de guerre », ou encore un peu plus loin « à des degrés divers, toutes les parties ont eu recours à la torture, porté atteinte à la dignité des personnes et infligé des traitements cruels, inhumains ou dégradants à des personnes qui ne participaient pas, ou qui ne participaient plus au conflit .» Dans le rapport, les experts disaient aussi avoir réuni des informations sur le recrutement et l’emploi d’enfants soldats par le MLS et le MJE.
A vrai dire, les deux chefs concurrents du MLS, Minni Arkou Minawi et Abdulwahid Nur sont « en sursis ». Dans ses recommandations, le rapport dit que s’ils continuent à refuser de prendre les mesures qui s’imposent pour se réconcilier, « le comité devrait surveiller leurs agissements et envisager de leur imposer les mesures ciblées ». Abdulwahid et Minawi font tous les deux parties d’une deuxième liste confidentielle, celle des personnalités qui pourraient rejoindre la liste des « sanctionnables » dans un deuxième temps.
Les responsabilités de Bechir et Déby
Ce deuxième document (lui aussi confidentiel) est pour le moins intéressant. Les experts n’hésitent pas à y faire figurer le nom du président soudanais, Omar El-Bechir, responsable en tant que chef de l’Etat et chef de l’armée, du non désarmement des milices. Les experts suggèrent également que le comité des sanctions se penche sur le nom d’Idriss Déby, le président tchadien, accusé de « soutenir les groupes dissidents du MJE qui entravent le processus de paix », comprenez, le MNRD de Jibril Abdel-Karim Tek, mis sur pied le 17 avril 2004 et le Commandement révolutionnaire sur le terrain de Mohammed Saleh Arba, lancé un an plus tard, en avril 2005.
Les experts expliquent par exemple que Mohammed Saleh Harba « aurait créé le commandement révolutionnaire sur le terrain (…) après y avoir été encouragé par le Tchad. Le Tchad a par la suite essayé, sans succès, d’associer le commandement révolutionnaire aux négociations d’Abuja en tant que représentant légitime du MJE. Les représentants du mouvement affirment que Mohammed Saleh a reçu six véhicules Land Cruiser, des armes et des munitions du Tchad, en avril 2005. Mohammed Saleh continue de voyager entre le Darfour et le Tchad, bien que le gouvernement tchadien prétende avoir délivré un mandat d’arrêt à son encontre. »
La direction du MJE avait accusé à chaque fois le pouvoir tchadien d’être à l’origine de ces deux scissions, en raison des relations houleuses d’Idriss Déby et du président du MJE, Khalil Ibrahim. Certains membres de l’opposition tchadienne avaient repris les mêmes accusations. Les experts de l’ONU apportent après-coup un poids supplémentaire à ces accusations.
La présidence tchadienne se refuse pour l’instant à tout commentaire sur cette liste. Côté soudanais, le ministre de l’Intérieur a répondu en accusant les Etats-Unis de chercher à déstabiliser la police et les forces armées soudanaises pour mieux prendre le contrôle du pétrole soudanais. Selon lui, c’est le nom du président américain George Bush qui devrait figurer sur cette liste. Elzabier Bashir Taha a accusé les Etats-Unis d’avoir une attitude « néo-coloniale ».
par Laurent Correau
Article publié le 25/02/2006 Dernière mise à jour le 25/02/2006 à 12:32 TU