Nations unies
Avec le HCR auprès des réfugiés du Darfour
(Photo: Stéphanie Braquehais)
De notre envoyée spéciale à Adré (dans l’est du Tchad)
Sous une vaste bâche en plastique aux logos bleus «HCR» bien reconnaissables, une cinquantaine d’hommes et de femmes attendent assis sur une natte, dans un silence rompu de temps à autre par un enfant en pleurs ou un cri de nourrisson qui tète sa maman. La chaleur moite rend, dès les premières heures de la journée, la respiration difficile tandis que des nuées de mouches tenaces s’acharnent à rendre toute immobilité insupportable.
Ces réfugiés ont quitté leur tente tôt ce matin pour être parmi les premiers à arriver. Dès que la responsable du HCR apparaît, une sacoche à la main remplie de cartes, la plupart se lève et se précipite en lui tendant des fiches de toute sorte. «Comment s’appelle-t-il ? Mahamat Issaka Ambakeur ? Ou Yacoub Mahamat Daoud ? Non ? Ah, c’est le fils de Mahamat Khamis Hassan alors ?». Comme d’habitude, la journée commence sur les chapeaux de roue pour Daniela Raiman, agent de protection au HCR.
Actualiser les fichiers
Dans ce camp de 17 000 réfugiés soudanais qui ont fui la guerre au Darfour, les situations familiales changent fréquemment et chaque mariage, deuil, naissance ou nouvelle arrivée doit être noté sur les cartes familiales afin d’actualiser les fichiers ainsi que les distributions mensuelles de nourriture. «Demandez-lui la raison de la réunification. Je dois savoir pourquoi une nouvelle personne doit être inscrite sur cette carte !». Un travail de fourmi dont est responsable le HCR et qui doit être principalement effectué par la Commission nationale des réfugiés, CNAR. Seul problème, cette structure tchadienne souffre d’un manque de moyens logistiques et humains qui rend la présence du HCR indispensable à chaque opération.
Après une première phase d’enregistrement sommaire où seuls les chefs de famille sont pris en compte, la deuxième phase consiste à collecter des données détaillées sur l’identité, les villages d’origine et même à prendre des photos pour déterminer le plus précisément possible le nombre de réfugiés dans les camps. «En ce moment, beaucoup d’hommes ayant fui en Libye pendant la guerre du Darfour rejoignent leurs épouses et leurs enfants dans les camps. Seulement, il faut s’assurer que ces personnes ne sont pas inscrites ailleurs dans d’autres camps ou que des Tchadiens n’en profitent pour se faufiler», explique la jeune fille à la mine souriante.
Si l’enregistrement est une étape essentielle de la vie dans les camps de réfugiés et une des missions prioritaires du HCR, puisqu’il doit servir à établir des papiers et à garantir la protection des personnes, cette opération est parfois mal accueillie.
Il y a trois mois, des groupes de réfugiés se sont attaqués à 5 employés du HCR dans un camp situé plus au nord, les accusant d’être des transfuges du gouvernement soudanais. Selon eux, l’enregistrement ne devait servir qu’à renseigner Khartoum. Une crise de confiance sans précédent entre le HCR et ses bénéficiaires qui a contraint l’organisation à se retirer pendant quelques jours de plusieurs camps en attendant que l’information circule mieux et ne soit pas dévoyée par un groupe d’activistes.
Inégalité entre les réfugiés et la population locale
Autres mécontents, les habitants des villages tchadiens alentours. Il n’est pas rare d’entendre un chef de village vilipender les humanitaires et le HCR qui abandonnent les Tchadiens à leur triste sort depuis le début de la crise du Darfour. «Les réfugiés vivent mieux que nous. Nos greniers à céréales sont vides, la récolte a été très mauvaise cette année et nos anciens champs sont occupés par les camps. Le HCR n’est jamais venu nous voir». Accusation qui n’est pas pour autant totalement justifiée selon Djamal Zamoun : «Nous sommes les plus visibles dans le camp, c’est donc sur nous que retombent les accusations de toute sorte.» Une colère qui se traduit parfois par des cas de violences, ou de viols, notamment lorsque les femmes réfugiées vont chercher du bois mort à plusieurs kilomètres des camps. Le bois est une ressource qui se raréfie de plus en plus avec la concentration de la population, ce qui crée des tensions de plus en plus nombreuses ces derniers temps.
Conscient de ces inégalités grandissantes entre les réfugiés et la population locale, le HCR a décidé de consacrer 5% de son budget à des projets divers concernant l’eau potable ou l’accès aux soins pour les Tchadiens. Des mesures qui doivent toutefois rester ponctuelles pour que le HCR n’outrepasse pas son rôle premier qui est de «garantir la protection de toute personne ayant fui son pays pour des raisons de persécution de race, de religion ou de nationalité.»
par Stéphanie Braquehais
Article publié le 08/09/2005 Dernière mise à jour le 08/09/2005 à 14:14 TU