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Proche-Orient

Mahmoud Abbas isolé

L’isolement de Mahmoud Abbas est d’autant plus net qu’en interne, la contestation monte.(Photo : AFP)
L’isolement de Mahmoud Abbas est d’autant plus net qu’en interne, la contestation monte.
(Photo : AFP)
Bafoué par Israël, délaissé par la communauté internationale, désavoué par des membres de son propre camp : après le raid de Jéricho, le président palestinien est au plus bas.

De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Le raid israélien contre la prison de Jéricho a fait trois victimes : un policier et un détenu palestiniens qui ont été tués par les balles de l’armée… et Mahmoud Abbas. Le président palestinien sort complètement discrédité de cette affaire où la communauté internationale s’est distinguée par la tiédeur de ses protestations. De retour d’une tournée en Europe qu’il a dû abréger de force, Abbas a qualifié l’intervention israélienne de « crime impardonnable ». « Ce qui s’est déroulé est une humiliation pour le peuple palestinien et une violation de tous les accords », a-t-il ajouté devant les ruines de la prison, rasée par les bulldozers. Dans la bouche d’un homme réputé pour sa pondération, ces propos musclés montrent à quel point les évènements des dernières quarante-huit heures l’ont éprouvé. Partisan acharné du dialogue, incarnation de ces modérés palestiniens que la victoire du Hamas a fragilisé, Abbas se heurte pourtant à un mur côté israélien, à une indifférence grandissante dans les chancelleries occidentales et à un début de désaveu parmi les siens.

D’après un haut responsable du ministère de l’Intérieur à Ramallah, le sort d’Ahmed Saadat, le chef du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), un petit parti marxisant qui avait revendiqué l’assassinat du ministre du Tourisme israélien Réhavam Ze’evi en 2001 et celui des quatre autres militants, membres présumés du commando qui avait mené cette action, avait été évoqué il y a quelques semaines par le ministre de l'Intérieur Nasser Youssef avec Shaul Mofaz, le ministre israélien de la Défense. A l’époque, l’avènement au pouvoir du Hamas avait relancé les spéculations sur une possible libération de ces cinq hommes incarcés dans la prison de Jéricho. « Si vous faîtes cela, nous les tuerons dans le quart d’heure qui suit, nous avait dit Mofaz, affirme le haut fonctionnaire. Nous lui avons alors répondu et assuré que nous ne les libérerions pas sans l’assentiment de son gouvernement. Mofaz savait donc très bien que nous n’avions aucune intention de les relâcher. Les gardes palestiniens de la prison n’avaient reçu aucune consigne leur intimant de se préparer à une remise en liberté. Si les Israéliens disposaient d’information en ce sens, pourquoi ne nous les ont-ils pas transmis ? ».

Prudence occidentale

Dans une lettre datée du 8 mars et envoyée à Mahmoud Abbas, Londres et Washington s’étaient inquiétés de la sécurité des gardes américains et britanniques affectés à la surveillance des détenus du FPLP, évoquant leur possible retrait. La présence de ces hommes était l’une des clauses d’un laborieux compromis arraché en 2002 à l’issue d’un mois d’encerclement de la Moqataa, le quartier général de Yasser Arafat, par l’armée israélienne. Il prévoyait d’une part la levée du siège des bâtiments où les fugitifs s’étaient retranchés et d’autre part leur transfert à Jéricho. Pendant trois ans et demi, les cinq proscrits ont bénéficié de conditions d’incarcération relativement souples, qui leur permettaient notamment de recevoir de nombreuses visites. Invoquant le non respect par le régime palestinien de l’arrangement de 2002, les autorités anglaises et américaines ont finalement évacué leurs gardes mardi matin. Vingt minutes plus tard, les tanks israéliens stationnaient devant la prison. « Anglais et Américains font partie de la conspiration, accuse un collaborateur de Mahmoud Abbas. Ils ne nous ont pas laissé le temps de réagir. La lettre du 8 mars ne disait pas que les gardes seraient forcément évacués et elle ne mentionnait aucune date butoir ».

A l’image de Londres et Washington, la plupart des pays occidentaux ont réagi avec beaucoup de prudence, se bornant à dénoncer à égalité l’offensive israélienne et les violences commises en retour contre des intérêts et des ressortissants étrangers, notamment à Gaza. L’isolement de Mahmoud Abbas est d’autant plus net qu’en interne, la contestation monte. Le FPLP profite de la débâcle de l’Autorité palestinienne pour remettre en cause tous les accords signés avec les Israéliens depuis 1993. « L’Autorité palestinienne n’aurait jamais dû conclure l’arrangement de Jéricho, dit Khalida Jarrar, une députée du FPLP, élue en janvier dernier.  Elle aurait dû au moins respecter la décision de la Haute Cour de Justice qui a exigé en 2003 la remise en liberté d’Ahmed Saadat. Tous ces accords négociés en secret, prétendument au nom du peuple, sont destinés à échouer. La seule façon de négocier avec les Israéliens, c’est dans le cadre d’une conférence internationale, avec pour but explicite l’application des résolutions de l’ONU ».

Abbas doit même faire face à des critiques ouvertes dans son propre camp. Plusieurs dizaines de membres du Fatah ont en effet rédigé une déclaration en faveur du démantèlement de l’Autorité palestinienne. Les signataires qui sont députés, maires et membres de l’OLP, estiment qu’après l’humiliation de Jéricho, le processus diplomatique touche à sa fin. A leurs yeux, Abbas n’a plus d’autre choix que de s’effacer pour forcer la communauté internationale à assurer la subsistance du peuple palestinien. Une pétition radicale à laquelle le président n’a pas réagi.


par Benjamin  Barthe

Article publié le 16/03/2006 Dernière mise à jour le 16/03/2006 à 08:10 TU

Audio

Véronique de Keyser

Eurodéputée socialiste belge, chef de mission pour l'Union européenne lors des dernières élections palestiniennes

«Profiter du voyage important de Mahmoud Abbas en Europe, venu plaider la cause économique de la Palestine, pour prendre la prison de Jericho, était inattendu.»

[15/03/2006]

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