France
Les jeunes défient le gouvernement
(Photo: AFP)
Les jeunes sont toujours mobilisés contre le contrat première embauche. Selon l’Unef, le syndicat étudiant le plus représentatif, 64 universités sur les 84 que compte la France étaient toujours en grève ce jeudi pour protester contre la création du contrat première embauche. Le ministère de l’Education pour sa part fait état de 21 universités « totalement bloquées » et de 37 autres « perturbées à des degrés divers ». Entre préparation des examens et lutte contre ce qu’ils estiment être une régression sociale, les étudiants sont partagés. Des pétitions circulent pour faire cesser le blocage des universités tandis que l’Unef appelle une nouvelle fois le gouvernement à revenir sur la création de ce nouveau de travail. En arrivant à la manifestation parisienne, le président de l’Unef, Bruno Julliard, a déclaré : « Il faut que les jeunes montrent qu’ils ne sont pas une minorité contrairement à ce que l’on raconte, mais que c’est une lame de fond qui traverse la jeunesse et c’est ça qui va nous permettre de gagner ». Le leader du syndicat étudiant a par ailleurs estimé que cette journée était « une répétition générale avant les manifestations de samedi ».
Du côté des lycées, 80 établissements sur un total de 110 sont encore perturbés en région parisienne. Ces perturbations vont de la fermeture totale à l’assemblée générale quotidienne. Tous ces jeunes qui ne vont pas en cours sont disponibles pour participer aux manifestations organisées un peu partout en France. Samedi, il y aura la troisième manifestation de la semaine avec les organisations syndicales des adultes salariés. Ce jeudi, ce sont encore les syndicats étudiants et lycéens qui appelaient à descendre dans la rue, aussi bien à Paris qu’en province. Les lycéens semblent avoir été les plus nombreux à répondre à cet appel.
Une mobilisation dans l’agitation
Dans la matinée, avant même le début des manifestations, des incidents ont eu lieu entre lycéens et forces de l’ordre, notamment dans le vingtième arrondissement de Paris, où des élèves ont tenté de construire une barricade avec des poubelles. En banlieue nord, au Raincy, le face à face entre 250 lycéens et les forces de l’ordre s’est terminé par des échauffourées. A Vitry, dans la banlieue sud-est, des lycéens ont bloqué pendant plusieurs heures la nationale 7. Deux voitures ont été incendiées. A Toulouse, des étudiants grévistes, qui occupent l’université, en sont venus aux mains avec d’autres qui veulent reprendre les cours. L’université est fermée jusqu’à lundi. A Rennes, des manifestants ont occupé la mairie, ils ont été évacués par les CRS (Compagnie républicaine de sécurité). Puis un cortège anti-CPE a rassemblé 5 000 à 15 000 personnes dans le centre de cette ville de l’ouest de la France. Sur une banderole : « H5N1 pour Villepin, chikungunya pour Nicolas (Sarkozy)».
A Quimper, à Brest, des jeunes ont également défilé dans les rues. A Nantes, deux établissements scolaires ont été envahis, les deux proviseurs ont été légèrement blessés. A Bordeaux, dans le sud-ouest du pays, une centaine d’opposants au contrat première embauche ont occupé pendant une heure le siège de l’UMP, le parti gouvernemental. A Nancy, dans l’est de la France, un policier a été légèrement blessé au cours d’une manifestation imprévue de lycéens, dans la matinée, tandis que l’après-midi, 10 000 étudiants, selon les chiffres de la police, ont défilé dans le calme. A Strasbourg, plusieurs milliers de jeunes ont défilé dans le centre pour réclamer le retrait du CPE.
Un représentant de syndicats de salariés a rejoint la manifestation parisienne. C’est Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière. « Nous voulons que le Premier ministre sorte de son entêtement et finisse par reconnaître qu’il s’est trompé : il faut qu’il renonce au CPE », a-t-il déclaré.
Mercredi, la conférence des présidents d’université (CPU) jugeait « absolument indispensable que le gouvernement prenne une initiative attendue par beaucoup ». Les mots « retrait du projet » n’ont pas été prononcés. Plusieurs dirigeants de cette instance, qui regroupe toutes les universités, seront reçus vendredi soir par Dominique de Villepin. Au moment où des milliers de jeunes étaient dans la rue, le Premier ministre réaffirmait qu’il était ouvert au dialogue pour « améliorer » le contrat première embauche.
Le ministre de l’Emploi Jean-Louis Borloo s’est peu exprimé depuis le début de la crise provoquée par l’adoption du contrat première embauche par le Parlement. Jeudi, alors que les jeunes sont descendus dans la rue pour la deuxième fois de la semaine, le ministre a tout à la fois appelé au dialogue et assuré qu’il y a « une très grande solidarité » entre lui et le chef du gouvernement à propos de la création du contrat première embauche (CPE). « Quand je vois des étudiants en grève, leur inquiétude me touche, c’est vrai » et « quand le dialogue social se grippe, j’estime que la démocratie ne fonctionne pas », a encore déclaré le ministre, alors que la mobilisation ne faiblit pas pour obtenir le retrait de ce nouveau contrat de travail destiné aux jeunes de moins de 26 ans, qui instaure une période d’essai de deux ans.
Avant les manifestations, le ministre délégué à l’Emploi, qui travaille aux côtés de Jean-Louis Borloo, avait, lui aussi, lancé un appel au dialogue. « Le dialogue, c’est ma nature. Ma porte est ouverte et les partenaires sociaux le savent », a déclaré Gérard Larcher. Il a également rappelé que le Conseil constitutionnel devait se prononcer, dans les prochaines semaines, « sur la constitutionnalité de cette loi ». Le ministre délégué à l’Emploi a par ailleurs expliqué que « l’immense majorité des chefs d’entreprise ne sont pas l’image caricaturale de ceux qui congédient. Un chef d’entreprise qui embauche n’a pas intérêt à rompre successivement des contrats ».
Des patrons non demandeurs
Jeudi matin le quotidien Libération donnait la parole à un chef d’entreprise de la grande banlieue ouest de Paris. Pour Mohammed Bettayeb, qui a créé une société spécialisée dans les rideaux confectionnés sur mesure, un patron n’a pas besoin de deux ans pour savoir si un salarié fait l’affaire. « Au bout de cinq minutes d’entretien avec elle (une couturière), j’ai compris qu’elle avait le potentiel. La formation coûte cher. Quel serait mon intérêt de miser sur quelqu’un pour m’en séparer dans les deux années à venir ? Ne pas envisager le CDI (contrat à durée indéterminée) dès le départ serait une erreur », a encore expliqué ce chef d’entreprise.
Mercredi, le ministre des Finances Thierry Breton avait appelé les chefs d’entreprise à soutenir l’action du gouvernement. « Vous avez un gouvernement qui essaie de répondre à vos préoccupations, qui essaie d’être pragmatique, qui est volontaire et dans l’action, qui n’attend pas. Je ne vous demande pas de faire une haie d’honneur, mais un peu de soutien, dans la mesure où ceci est fait pour les entreprises, ne ferait pas de mal », a déclaré le ministre. De son côté le ministre des PME (petites et moyennes entreprises), Renaud Dutreil, estime que le Medef, le syndicat patronal « fait la fine bouche » sur le contrat première embauche.
L’image de la droite gouvernementale pourrait pâtir de ce conflit avec la jeunesse française alors que l’élection présidentielle se rapproche. Patrick Devedjian, proche de Nicolas Sarkozy, a tenté, jeudi matin de calmer le jeu. Il estime qu’il faut « concevoir le CPE comme une expérimentation modulable », ajoutant que « si cela ne marche pas, il ne faudra pas s’entêter ». L’ancien ministre du budget déclare par ailleurs « qu’il est toujours temps d’ouvrir un dialogue mais qu’il est beaucoup plus difficile aujourd’hui ».
François Hollande, le chef de l’opposition, a mis en garde le gouvernement contre toute « tentation du pourrissement » du mouvement social suscité par le contrat première embauche.
par Colette Thomas
Article publié le 16/03/2006 Dernière mise à jour le 16/03/2006 à 16:53 TU