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Biélorussie

Un scrutin sans suspense, des suites incertaines

 Milinkievitch, candidat de l'opposition aux élections de Biélorussie face à Loukachenko.(Photo : AFP)
Milinkievitch, candidat de l'opposition aux élections de Biélorussie face à Loukachenko.
(Photo : AFP)
Ce ne sont pas les résultats de l’élection présidentielle qui posent question en Biélorussie mais plutôt les suites de ce scrutin. Même si une grande partie de l’opposition s’est réunie derrière la candidature d’Alyaksandr Milinkievitch, il ne fait aucun doute que le président sortant, Alexandre Loukachenko, va être réélu. Un sondage sortie des urnes lui attribuait déjà, dimanche en fin d’après-midi, 84% des voix. L’incertitude concerne donc essentiellement la capacité de mobilisation de l’opposition, influencée par les révolutions «colorées» serbe ou ukrainienne, qui a prévu de manifester dès dimanche soir. Mais aussi la réaction du pouvoir. La veille du scrutin, le président a menacé de «briser le cou» des opposants qui contesteraient les résultats.

De notre envoyé spécial à Minsk

«Cette fois-ci, nous avons un seul candidat, et un bon», s’exclame Alyaksandr, un militant du mouvement de jeunes opposants Zubr – le Bison. Après des années de division et de querelles de personnes, l’opposition biélorusse a en effet réussi à désigner un candidat commun, élu par un congrès le 1er octobre dernier. Ce congrès a réuni plus de 200 organisations politiques et de défense des droits. La légitimité d’Alyaksandr Milinkievitch, un économiste indépendant proche du Front populaire biélorusse (nationaliste), est donc certaine.

Toutes les composantes de l’opposition sont fidèles à ce candidat commun, depuis les libéraux du Parti civique jusqu’au Parti des communistes biélorusses, dont le secrétaire général est devenu le directeur de campagne du candidat. Alyaksandr Kaliakine, un bureaucrate qui a survécu à l’effondrement de l’URSS, explique que beaucoup de désaccords séparent les différents partis réunis autour de Milinkievitch : «Notre parti est contre l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN, que défendent les autres formations. Mais ce n’est pas le plus important : il faut unir nos forces pour nous débarrasser de la dictature de Loukachenko, les différences politiques pourront ensuite s’exprimer normalement».

L’avenir de la Biélorussie : un élément du bras de fer entre la Russie et les Etats-Unis

Le régime de Loukachenko accuse cependant l’opposition d’être «vendue» aux intérêts étrangers, et notamment américains. En réalité, l’aide internationale aux mouvements démocratiques est beaucoup moins importante ici qu’en Serbie ou qu’en Ukraine. Le régime a réussi à chasser depuis plusieurs années toutes les ONG internationales, comme la Fondation Soros et les financements extérieurs aux courants démocratiques sont presque impossibles. Certaines institutions interdites se sont néanmoins reconstituées en Pologne ou, surtout, en Lituanie, où les militants peuvent se retrouver et recevoir des formations. Vilnius est ainsi devenu le quartier général de l’opposition. Après les révolutions d’Ukraine et de Géorgie, l’avenir de la Biélorussie est cependant un élément du bras de fer entre la Russie et les Etats-Unis.

Ancien doyen de l’Université européenne de Minsk, interdite par les autorités et rouverte en Lituanie, Sergei Panykovski souligne les atouts du candidat Milinkiévitch : une réputation d’honnêteté et une excellente image de marque parce qu’il s’est tenu à l’écart des querelles de l’opposition. Mais cela suffira-t-il à faire trébucher le régime ?

Depuis plusieurs mois, Alyaksandr Milinkievitch, excellent francophone, laboure le pays, en multipliant les meetings et les rencontres en province. C’est probablement dans les régions rurales, où habitent 60% de la population du pays, que la partie se jouera. Plus de 95% des terres sont toujours exploitées dans le cadre de fermes collectives – kolkhozes ou sovkhozes. «Le régime n’a pas tellement besoin de fraude directe le jour du scrutin, les pressions s’exercent en amont», explique un militant du Front populaire. «Après les dernières élections, les directeurs des kolkhozes où les candidats du pouvoir n’avaient pas obtenu au moins 60% des voix ont été limogés».

Le mouvement Zubr s’inspire des formes d’action des mouvements Otpor en Serbie ou Kmara en Géorgie. Cependant, ses moyens d’action sont beaucoup plus limités. «Dès que nos militants sont repérés à l’Université, ils sont souvent exclus et ne peuvent plus poursuivre leurs études». Les 16 de chaque mois, Zubr organise un rassemblement dans le centre de Minsk. Pendant longtemps, ces manifestations qui ne duraient que quelques minutes ne rassemblaient que quelques dizaines de très jeunes militants, souvent des lycéens, arborant une bande de blue-jean en brassard. Après l’orange de la révolution ukrainienne, Zubr a pris comme symbole la toile de jeans, mais la «révolution des jeans» aura-t-elle lieu ?

Manifestations et arrestations

Depuis le début de la campagne, les manifestations prennent une ampleur croissante, amenant aussi le pouvoir à durcir la répression. Plusieurs animateurs de Zubr ont été arrêtés et, la semaine dernière, le président du Front populaire, Vintsuk Viatchorka, a lui aussi été condamné à 15 jours de prison.

«Loukachenko va très certainement proclamer sa victoire. Toute la question est de savoir ce qui se passera ensuite», résume un diplomate occidental. «Des manifestations de l’opposition auront certainement lieu, mais elles pourraient être très violemment réprimées».


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 18/03/2006 Dernière mise à jour le 18/03/2006 à 10:59 TU

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