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Biélorussie

Scrutin contesté, pouvoir menaçant

Les manifestants ont planté leurs tentes sur la place d'Octobre, dans le centre de Minsk, pour dire «non» à la réélection du président Loukachenko.(Photo : AFP)
Les manifestants ont planté leurs tentes sur la place d'Octobre, dans le centre de Minsk, pour dire «non» à la réélection du président Loukachenko.
(Photo : AFP)
Deux jours après la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko, en dépit des menaces du pouvoir et des arrestations, l’opposition tente de mobiliser ses partisans. Moscou félicite le sortant reconduit, tandis que Washington et les Européens dénoncent une élection qui ne respecte pas les critères démocratiques.

De notre envoyé spécial à Minsk

Ils sont restés toute la nuit, bravant le froid et la peur. A l’image de ce  qui s’était passé à Kiev en décembre 2004 lors de la Révolution Orange, ils ont planté leurs tentes sur la place d’Octobre en plein centre de Minsk : « Ce n’est pas une élection mais un coup d’Etat », avait dénoncé dans la soirée le principal candidat de l’opposition, Alexandre Milinkevictch devant plusieurs milliers de personnes qui avaient répondu à son appel pour la 2ème journée consécutive. « Moi, je n’ai peur de rien », expliquait dans la foule Dimitri, 29 ans, « car je veux vivre libre, voyager partout en Europe ou aux Etats-Unis sans visa, et en finir avec ce régime qui nous vole notre jeunesse et notre liberté ». Dimitri et son groupe d’amis plaisantent, s’amusent, parlent au téléphone avec leurs amis, les invitent à les rejoindre sur la place d’Octobre. Tout le monde sur la place tente de convaincre d’autres Biélorusses de venir ici : « Je représente plusieurs de mes camarades qui ne pouvaient pas venir ce soir ; et c’est pareil pour tout le monde. En fait, nous pourrions être beaucoup plus nombreux », assure Dimitri.

Combien étaient-ils lundi soir ? Cinq à six mille, un peu moins nombreux que la veille, mais ce mouvement de résistance publique est malgré tout sans précédent en Biélorussie. Ces manifestants suscitent la sympathie des passants ou des automobilistes qui klaxonnent en signe de soutien mais personne ne croit vraiment que ces manifestations puissent bousculer le régime : « J’ai voté pour Milinkevitch », explique Viktor, 27 ans, chauffeur de taxi à Minsk, « car moi non plus je ne supporte pas Loukachenko. Je n’ai jamais voté pour lui mais je ne suis pas sûr que l’on puisse changer le choses en Biélorussie ». Qu’importe ! L’opposition veut encore tenir et appelle à un nouveau rassemblement malgré les premières arrestations survenues dans la matinée de mardi. C’était un scénario prévisible, presque annoncé par le pouvoir : on se souvient que le chef du KGB et le procureur avaient menacé jeudi de peines de prison pouvant aller jusqu’à 25 ans, voire la peine de mort, des manifestants assimilés à des terroristes. Alexandre Milinkevitch est évidemment sur la sellette car malgré les entraves à sa campagne électorale il est devenu en quelques mois une figure de l’opposition respectée et de plus en plus de Biélorusses ont assisté à ses meetings à travers le pays.

Félicité par Moscou, dénoncé par les Occidentaux

Ce ne sont pas les premières arrestations dans son entourage ; il y a en eu régulièrement sous les motifs les plus fantaisistes afin de l’empêcher de s’exprimer. Lui-même pourrait être menacé à son tour : « Ce serait un erreur du pouvoir », nous confiait-il hier mais le régime de Loukachenko est imprévisible. Et il est peu probable qu’il puisse tolérer très longtemps un mouvement de résistance, aussi pacifique soit-il. Pour le moment, une intervention musclée et en masse ou une série de descentes à Minsk dans les milieux de l’opposition se heurtent à la  présence d’observateurs et de journalistes internationaux. Mais une fois partis, il est fort probable que l’on assistera à des arrestations, des procès, des condamnations dans ce pays qui maintient un régime totalitaire sous la houlette d’Alexandre Loukachenko, président proclamé plus qu’élu.

Et à l’instar de l’Ukraine voisine, la Biélorusse est aussi devenue un sujet de discorde entre Moscou et les Occidentaux. La journée d’hier était à cet égard tout à fait significative. D’un côté on a vu la mission d’observations de la Communauté des Etats indépendants (CEI), qui regroupe les pays de l’ex-Union soviétique moins les Pays Baltes, se féliciter de la tenue des élections, tandis que le chef de mission, le Russe Vladimir Rouchaïlo, allait en personne féliciter Alexandre Loukachenko et dénoncer l’attitude des Occidentaux et leurs menaces de sanctions : « C’est une tentative d’influencer le résultat du scrutin », s’est- il insurgé. Presque au même moment, Vladimir Poutine adressait un message de félicitations en expliquant que les résultats démontraient la confiance des Biélorusses envers sa politique. A l’inverse, les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe stigmatisaient une élection qui ne répond en rien, selon l’OSCE, aux standards démocratiques. Et à Washington comme à Bruxelles, on se refuse à reconnaître la légitimité des résultats de cette élection. Les Etats-Unis et l’Union européenne pourraient imposer de nouvelles sanctions mais, face à l’influence de la Russie, ses moyens d’actions sont plus que limités.


par Jean-Frédéric  Saumont

Article publié le 21/03/2006 Dernière mise à jour le 21/03/2006 à 12:29 TU

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Christian Strohal

Chef de la délégation de l'OSCE en Biélorussie

«Ce sont des élections qui ont montré des infractions sévères vis-à-vis de l’OSCE et des standards internationaux. »

[21/03/2006]

Jean-Frédéric Saumont

Envoyé spécial à Minsk

«Le régime de Loukachenko est imprévisible et il est peu probable qu’il puisse tolérer très longtemps un mouvement de résistance, aussi pacifique soit-il. »

[21/03/2006]

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