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Tchad

Logistique française pour Idriss Deby

Après deux jours d’une offensive lancée le 20 mars dans la région d'Hadjer Marfaïn, «la montagne des hyènes», en arabe, à l’est du pays, contre les auteurs supposés d’une nouvelle tentative de coup d’Etat, la semaine dernière, l’armée gouvernementale revendique le contrôle d’une base de déserteurs rebelles du Socle pour le changement, l'unité et la démocratie (Scud) ainsi que l’anéantissement des positions du nouveau Rassemblement populaire pour la justice (RPJ), près de la ville d’Adré, frontalière du Soudan. Le Scud affirme avoir lui-aussi infligé de lourdes pertes aux soldats d' Idriss Deby et accuse, dans un communiqué, l'armée française d'avoir «participé aux combats du 20 mars».  Problème: le signataire du communiqué dément catégoriquement en être l'auteur.

C'est à l’est du Tchad que plus de 10 000 hommes ont été déployés pour sécuriser totalement le territoire.(Carte : Bourgoing/GeoAtlas)
C'est à l’est du Tchad que plus de 10 000 hommes ont été déployés pour sécuriser totalement le territoire.
(Carte : Bourgoing/GeoAtlas)

Confusion dans les canaux de communication sur la situation dans l'est du Tchad. Dans un communiqué adressé par fax à l'Agence France Presse (AFP), l'un des chefs du Scud, Yaya Dillo Djerrou accuse les forces aériennes françaises déployées au Tchad (depuis 1986, sous Hissène Habré, dans le cadre du dispositif français Epervier) d'avoir transporté sur le théâtre des opérations «tout le matériel militaire et les troupes» tchadiennes tandis que «des avions de surveillance» français suivaient «en direct les déplacements des troupes du Scud». Idriss Deby a «préparé son offensive de bout en bout avec l'appui actif de l'ambassadeur de France et grâce à la logistique de l'opération Epervier au Tchad», ajoute le rebelle, ce que Paris dément, admettant du bout des lèvres du colonel Gérard Dubois, conseiller en communication de l'état-major des armées françaises cité par l'AFP que les avions français ont évacué à N'Djamena des soldats tchadiens blessés sur le front est où ils avaient toutefois également conduit Idriss deby, le 20 mars. Problème: Yaya Dillo Djerrou a démenti "catégoriquement" auprès de RFI être l'auteur de ce communiqué, ajoutant que là où il se trouve "il n'y a aucun fax".

Concernant la présence militaire française, comme l’indique le site de l’ambassade de France au Tchad, «environ 1 000 hommes et femmes détachés des armées de terre et de l’air, de la gendarmerie nationale et des services de santé et des essences» sont en effet maintenus par Paris sur le pétrolier tchadien, pour «assurer la sécurité des ressortissants français, apporter un soutien à l’armée tchadienne en contribuant à l’instruction et en apportant une aide matérielle aux différentes armées». Sous le commandement du colonel Jean-Luc Mansion, les «éléments français au Tchad» sont implantés à N’Djamena, à Faya, au Nord, et à Abéché, dans l’Est où opère la rébellion depuis l’année dernière. De tradition au Tchad, depuis son indépendance, cette présence française terrestre, aéroportée et dotée de moyens de surveillance et de communication sophistiqués, s’est, de rébellions en coups d’Etat régulièrement trouvée au cœur de l’imbroglio politico-militaire tchadien, non sans interactivité, comme peut en témoigner lui-même Idriss Deby, tombeur d’Hissène Habré en décembre 1990.

Le 14 mars dernier, c’est de manière ostentatoire qu’Idriss Deby avait regagné la présidence sous bonne escorte française, à son retour précipité de Guinée-Equatoriale où lui avait été communiqués des renseignements sur les activités équivoques d’officiers suspects. En revanche, mercredi, la France n'était pas au programme de la visite guidée organisée pour les journalistes à Hadjer Marfaïn où ils ont pu voir quantité de douilles d’obus et de balles et une douzaine de tombes fraîches, «mais d’autres corps sont tombés le long du massif montagneux, côté soudanais», leur a affirmé le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense, Bichara Issa Djadallahajoute, qui avance le chiffre de 70 morts côté rebelles. Ces derniers répliquent qu’ils ont fait 89 morts et 57 prisonniers dans l'armée gouvernementale, perdant eux-même une douzaine d’hommes. Mais surtout, ils attribuent aux forces françaises l'essentiel du fait d'armes dont Idriss Deby avait tenu à montrer la marque aux journalistes en personne, mercredi.

Idriss Deby revendique une victoire à Hadjer Marfaïn

Alors que son assise ethnico-militaire s’effrite et que se rapproche la présidentielle du 3 mai où il s’apprête à briguer un troisième mandat après avoir levé le verrou constitutionnel, Idriss Deby tenait visiblement faire savoir urbi et orbi qu’il est encore capable de faire le ménage chez lui. «Nous avons déployés plus de 10 000 hommes sur une bande de 900 kilomètres, tout le long de la frontière qui sépare le Tchad et le Soudan, pour sécuriser totalement notre territoire», affirme son ministre délégué à la Défense. «Informées des intentions des rebelles de préparer une offensive d'envergure contre les positions avancées de l'armée tchadienne, les forces gouvernementales sont passées à l'offensive lundi dans la matinée, détruisant totalement la base des rebelles de Hadjer Marfaïn», assure pour sa part le porte-parole du gouvernement, Hourmadji Moussa Doumgor. Il ajoute que «sept officiers supérieurs» passés à la rébellion ont été capturés, des armes saisies et des véhicules détruits.

Cette fois, les militaires tchadiens ont même pu ouvertement opérer au Soudan, pénétrant jusqu’à une trentaine de kilomètres à l’intérieur du Darfour, au sud-est d’Adré. Et cela affirment-ils, avec l’accord du Soudan avec lequel le Tchad a signé début février, à Tripoli, un accord engageant chacune des deux parties à interdire l’accueil des rebelles de l’autre sur son territoire. Dans l'immédiat, Khartoum et N'Djamena paraissent s'en tenir à ce gentlemen's agreement. De son côté, Tripoli est rentré dans le droit chemin international. Dans le passé, ses convoitises sur la bande d’Aouzou (jusqu’en 1994) et l’implication libyenne dans nombre de rébellions tchadiennes permettaient à Paris de justifier ses interventions militaires au Tchad. Aujourd’hui, force est de constater que c’est le pouvoir d’Idriss Deby qui se délite à grande vitesse depuis octobre dernier, avec la désertion de dizaines d’officiers de sa communauté zaghawa, celle aussi de ses anciens directeurs de cabinets, les jumeaux Tom et Timane Erdimi, qu’il accuse d’être le cerveau d’une tentative de coup d’Etat déjouée le 15 mars dernier. Reste la présence française et ses atouts logistiques sinon offensifs.

Les chiffres de la CIA américaine prêtent à Idriss Deby 101,3 millions de dollars de dépenses militaires en 2004, soit 2,1% du produit national brut. Cela suffisait à indisposer les bailleurs de fonds. Depuis un an, la tension sécuritaire s’est accrue au Tchad. Et la Banque mondiale a bloqué environ 160 millions de dollars de crédits, en représailles à la volonté des autorités tchadiennes de se servir des 10% de manne pétrolière réservée aux générations futures. Idriss Deby a dû en quelque sorte lâcher d’une main ce qu’il prenait de l’autre. Il tente toujours de faire valoir ses problèmes de sécurité pour attendrir la Banque qui doit envoyer une mission d’experts cette semaine «pour étudier la réalité sur le terrain», après l’échec de négociations à ce sujet, à Paris, en février. Sa posture de commandant en chef des armées pourrait ne pas s'avérer très convaincante.

Le climat est en tout cas de plus en plus nerveux à N’Djamena, comme le reconnaît le ministre de la Sécurité publique, Routouan Yoma Golom, à propos de ce qu’il décrit comme une rixe sans conséquences entre des officiers qui auraient tiré en l’air, mercredi, aux abords du palais présidentiel, mettant en émoi les services de protection rapprochée du chef de l’Etat et provoquant une soixantaine de blessés, fonctionnaires, commerçants ou élèves se bousculant pour regagner au plus vite leurs domiciles tandis que les téléphones sonnaient dans les rédactions internationales pour annoncer la chute du président Deby, une fausse alerte sur laquelle le régime a rapidement communiqué.


par Monique  Mas

Article publié le 23/03/2006 Dernière mise à jour le 23/03/2006 à 17:18 TU

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Routouang Yoma Golom

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Delphine Kemneloum Djiraibe

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