Tchad
Idriss Déby, président candidat sur fond de désertions
(Photo: AFP)
De notre correspondante à N’Djamena
A l’ouverture du congrès extraordinaire du Mouvement Patriotique du Salut, la tonalité du secrétaire général, Mahamat Hissène, a surpris plus d’un militant dans l’assemblée. Dans son rapport moral, il est parti d’un constat amer : « Dans ce Tchad où les gens sont partis de rien et deviennent multimilliardaires en un temps éclair, l’opinion tient le MPS responsable de toute malversation. Malheureusement, le Parti ne récolte aucun avantage de cet enrichissement ». Dénonçant « les trafics d’influence, une ambiance de coup d’état quotidien », il estime que les « décideurs privilégient leurs proches, et que l’engouement initial pour le parti a été entaché par les marchandages ».
Evoquant « le manque d’initiative et d’idéologie dénoncé par de nombreux militants », il note que le parti a rarement l’occasion de se prononcer sur l’action du gouvernement : « Nous nous sommes comportés comme un parti du pouvoir et non comme un parti au pouvoir ». Toute la journée du dimanche, les militants n’ont cessé de parler de ce discours inattendu tenu devant le président de la République et le Premier ministre. « Il a tout dit, reste maintenant à traduire ces paroles en actes », commentait un congressiste perplexe.
Les vagues de désertions continuent
C’est dans cette atmosphère, qu’Idriss Déby a de nouveau été investi par son parti comme candidat à l’élection présidentielle du 3 mai prochain. Après 15 ans de pouvoir, le président a fait modifier la constitution en juin 2005 pour supprimer la limitation de mandat et pouvoir se représenter à nouveau. « La tâche est difficile », a déclaré Idriss Déby dimanche à l’issue du congrès. Depuis plusieurs mois, le régime qu’il a instauré en 1990, après avoir chassé Hissène Habré, est en effet contesté de toutes parts. Les vagues de désertions au sein de l’armée continuent. Fin février, Sébi Aguid un ancien chef d’état major, très apprécié des officiers zaghawas l’ethnie du président, a quitté le pays pour rejoindre les rebelles du Scud au Soudan, ainsi que le général Issaka Diar. Ils étaient justement en mission de médiation pour tenter de rallier les mécontents et ont fini par les rejoindre.
Quelques jours plus tard, le représentant du Tchad à l’Union africaine, Idriss Abderhamane Dicko, d’une grande famille influente parmi les Bideyat, le clan de Déby, annonçait lui aussi qu’il rejoignait les rangs de l’opposition politico-militaire. « Après les jeunes, ce sont cette fois les piliers de l’armée qui viennent de le quitter. Ainsi que des officiers du sous-clan de Déby, comme le colonel Kessou », estime un opposant à N’Djamena. Pour le gouvernement, ces défections n’ont pas de réelles répercussions sur les échéances à venir. « Ce sont les mêmes qui ont fabriqué ce régime et en ont profité pendant de longues années, lâche un responsable de la présidence. Les Tchadiens ne veulent pas des mêmes pour que rien ne change ». Autre obstacle, de taille, la rivalité latente, l’extrême division et l’absence d’objectif politique de ces mouvements rebelles.
Appel à l’opposition
Pour de nombreux observateurs étrangers, y compris au Soudan, la situation est très instable, même si l’inconnu demeure sur l’attitude de la France, qui a intensifié le transport des troupes et le renseignement depuis plusieurs mois. « Idriss Déby a fait savoir la semaine dernière lors d’une réunion avec des gens du BET qu’il était prêt à se battre, souffle un ancien conseiller à la présidence. Mais je crois moins à une guerre qu’à la reddition de nombreuses garnisons pour éviter les heurts sanglants et une déchirure irréparable au sein de la communauté Zaghawa ».
Pour sa part, Idriss Déby lors de son investiture s’est adressé à l’opposition démocratique qui, le même jour que le MPS, tenait un meeting à Moundou dans le sud du pays. « Je leur lance un appel pour un dialogue franc et sincère », a-t-il déclaré. La Coordination pour la défense de la constitution a menacé de boycotter le scrutin du 3 mai prochain, comme elle avait boycotté le recensement et le référendum de juin dernier.
par Stéphanie Braquehais
Article publié le 08/03/2006 Dernière mise à jour le 08/03/2006 à 15:49 TU