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Soudan-Tchad

Diplomatie africaine et enjeux internationaux

Alors que des pourparlers inter-soudanais sur le Darfour, prévus à Abuja, au Nigeria, le 7 février, ont été à nouveau reportés sine die et qu’une campagne internationale se développe autour des Etats-Unis, pour l’envoi au Soudan d’une force onusienne en remplacement de celle de l’Union africaine, le chef de la Jamahiriya libyenne, le colonel Mouamar Kadhafi a pris l’initiative d’organiser un mini-sommet africain, le 8 février, à Tripoli. Aux dernière nouvelles, le président tchadien, Idriss Deby Itno, se préparait à s’envoler mardi pour Tripoli où était également attendu son pair soudanais, Omar al-Bachir, avec qui il s’est déclaré, fin 2005, en «état de belligérance». Dans la capitale libyenne, tous deux pourront croiser le fer, ou au contraire vider leur différend, sous l’œil averti de leur hôte, mais aussi du nouveau président de l’Union africaine, le Congolais Denis Sassou Nguesso et du président burkinabé, Blaise Compaoré.

Lundi et mardi, à Tripoli, les ministres des Affaires étrangères des cinq pays travaillaient d’arrache-pied autour de la «volonté de résoudre leur conflit» manifestée par le Soudan et le Tchad, si l’on en croit le spécialiste libyen des affaires africaines, Abdel Salam Triki, à l'issue d'une réunion préparatoire au sommet. Comme le veulent les bons usages diplomatiques, Abdel Salam Triki estime que «la réunion a été positive». Mais il se risque aussi à faire valoir «une volonté commune pour trouver une plate-forme afin de mettre fin au conflit» et prophétise même un succès. En attendant, les représentants des deux belligérants préfèrent se taire. Mais des «mesures d'apaisement» seraient à l'étude, avec notamment la promesse de mettre une sourdine aux accusations mutuelles qu’ils n’ont cessé d’échanger ces dernière semaines.

«Le Soudan continue à préparer le terrain pour de nouvelles attaques et cette réunion est la bienvenue pour l’éviter», insiste le porte-parole du gouvernement tchadien, Hourmadji Moussa Doumgor, qui affiche la volonté de N’Djamena de «trouver une solution pacifique». Au passage, Moussa Doumgor réitère des conditions qui ne seraient donc plus comme en janvier des préalables posés par le président Deby à tout contact direct avec Omar al-Bachir, à savoir, «l'arrêt des incursions de milices soudanaises en territoire tchadien» et «le désarmement des hommes armés tchadiens en territoire soudanais», mais aussi le dédommagement des victimes des attaques perpétrées en territoire tchadien. Toujours est il que sur ce terrain, Idriss Deby, vient à Tripoli fort du rapport de l’organisation humanitaire basée à New York, Human rights watch (HRW).

Dans la perspective d'une force de l'Onu et non plus de l'UA

Dans son rapport du 5 février dernier, HRW accuse en effet Khartoum d’être militairement impliqué au côté des rebelles tchadiens, mais aussi de lancer ses milices janjawid à l’assaut des villages de l’Est tchadien. Entre le 16 décembre 2005 et le 20 janvier 2006, écrivent ses experts, «des miliciens soudanais et tchadiens provenant du Darfour et opérant parfois avec l’appui manifeste du gouvernement soudanais, notamment le soutien d’hélicoptères de combat» ont multiplié les attaques contre «quarante des quatre-vingt-cinq villages» de Borotra, dans l’Est tchadien. De quoi, selon HRW inciter le Conseil de sécurité «à autoriser de toute urgence que la force de l’Union africaine au Darfour fasse place à une mission de l’Onu». Pour leur part, Américains et Britanniques sont d’accord sur la question qui est d’ailleurs officialisée comme une priorité sur l’agenda africain de Washington.

On se souvient que l’idée d’une force internationale au Darfour avait soulevé les foudres d’Omar al-Bachir en 2004. L’Onu reculant devant son ire, le chef de l’Etat soudanais s’était en revanche parfaitement accommodé du déploiement des quelque 7 000 soldats de la Mission de l’union africaine au Soudan (Amis), dont le mandat échoit le 31 mars prochain. Début février, saisissant l’occasion d’une visite à Londres de son homologue soudanais, Lam Akol, le chef du Foreign Office, Jack Straw a remis sur le tapis vert la question d’un déploiement «humanitaire» de casques bleus de l’Onu, officiellement pour suppléer les déficiences financières et logistiques de l’UA, officieusement pour consacrer une présence internationale et non plus seulement panafricaine.

«La situation sécuritaire sur le terrain doit être stabilisée, l'intervention humanitaire doit se poursuivre et, encore plus important, des négociations de paix doivent continuer. Nous sommes d'accord sur ces sujets», avait déclaré Lam Akol au sortir de sa rencontre avec Jack Straw, sans s’engager le moins du monde, ni dans un sens, ni dans un autre, sur le nouveau plan du secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan. Celui-ci s’active en effet depuis des semaines pour le montage d’un «plan d'urgence dans la perspective d'une transition de la Mission de l'Union africaine au Soudan à une opération des Nations unies» au Darfour. Il s’agirait, comme l’a réaffirmé de son côté HRW de protéger les villageois tchadiens contre les raids quasi-quotidiens de milices soudanaises. «La politique du Soudan consistant à armer des milices et à leur lâcher la bride est en train de déborder de l'autre côté de la frontière et les civils n'ont aucune protection contre leurs attaques, ni au Darfour ni au Tchad», écrivent les rapporteurs de HRW.

Les Etats-Unis sont de chauds partisans d’une intervention onusienne, comme l’indiquait, fin janvier, le numéro 2 de la diplomatie américaine, Robert Zoellick, en annonçant que Washington espérait obtenir le feu vert du Conseil de sécurité en février. «Février est un mois court et nous essayons d'accélérer les choses», avait-t-il alors indiqué, précisant que les soldats africains de l’Amis pourrait servir de «noyau», le temps de mettre sur pied la relève internationale. Pour ce faire, Washington a déjà demandé une assistance logistique à l’Otan qui se cherche une vocation plus internationale, mais pas n’importe laquelle. En tout cas, l’entrée de l’Otan sur la scène soudanaise fait débat en Europe, le secrétaire général de l'Otan, le Néerlandais Jaap de Hoop Scheffer, indiquant il y a quelques jours: «L'Otan n'est pas un policier mondial et ne devrait pas développer l'ambition de le devenir. Mais elle aide quand on la sollicite».

Pour éviter un trop grand camouflet à l’UA dont les «fonds sont quasi-épuisés», comme l’admet le président de sa commission, Alpha Oumar Konaré, la future force onusienne pourrait recycler l’essentiel des forces de l’UA sous le casque bleu. Mais, souligne Kofi Annan, un simple changement de béret ne suffirait pas. Il faudrait une force «plus étoffée, plus mobile et nettement mieux équipée» de quelque 20 000 hommes mandatés pour faire usage de leurs armes. Reste à trouver les pays qui disposent des moyens militaires suffisants. C’est là que l’Otan est sollicitée, très concrètement, depuis janvier. Bien évidemment, le Soudan ne veut pas en entendre parler. La Libye est sur la même ligne. Mais s’il n’ont pas encore jugé utile de le crier trop fort, c’est qu’ils comptent sur le renfort de la Chine pour écarter cette perspective au Conseil de sécurité.

Rivalité pétrolière entre la Chine et les Etats-Unis

Grande rivale des Etats-Unis sur les puits pétroliers africains d’Angola et du Soudan, la Chine vient de rappeler, à propos de la question de l’Iran, qu’elle ne souhaitait pas compromettre ses intérêts énergétiques en envoyant des signaux négatifs à ses partenaires du Sud. En outre, au Soudan, rien ne prédispose Pékin à marquer ses positions de la même manière que Washington, ardent supporter d’une intervention onusienne de grande échelle. Bien au contraire. De son côté, Mouammar Kadhafi compte sans doute sur cette concurrence entre Grands pour gagner le temps nécessaire à replâtrer l’image du Soudan. A défaut de pouvoir agir très vite sur les rebelles soudanais, très occupé du reste à s’entredéchirer, mais très soutenus aussi par une partie de l’opinion américaine, le chef de la Jamahiriya s’attaque cette semaine au conflit entre le Soudan et le Tchad.

Le 24 janvier dernier, le traitement des affaires panafricaines au sommet de l’UA a été complètement mis de côté, le temps pour les chefs d’Etat de trouver la solution la moins dérangeante possible pour tenir Omar al-Bachir à l’écart de sa présidence une année de plus. A Tripoli, il s’agit aujourd’hui encore de «prouver au monde notre capacité à surmonter les problèmes de notre région», comme le revendique le chef de la diplomatie du Burkina, Youssouf Ouédraogo. Son pays ouest-africain s’est illustré, il est vrai, dans le dossier tchadien en accueillant, à Ouagadougou, l’un des deux jumeaux Erdimi, Timane en l’occurence, l’ex-patron de la Cotontchad en rupture de ban avec le président Deby dont il a dirigé le cabinet. Le président Compaoré ne sera donc pas à Tripoli sans argument vis-à-vis de son pair tchadien.

Pour sa part, le régime Deby n’a pas à se plaindre du soutien de Paris et de la présence militaire française dans son pays. Mais cela ne suffit sans doute pas à le rassurer complètement sur les chances de survie de son régime. Celui-ci a vu se terminer en queue de poisson la réunion de la Banque mondiale consacrée, les 30 janvier et 1er février dernier, à Paris, au bon usage des revenus pétroliers du Tchad. La partie tchadienne accuse les services du président américain de la Banque, Paul Wolfowitz, d’avoir bloqué un compromis, in extremis. En même temps, sur ce terrain financier, le président Déby estime peut-être qu’il a suffisamment usé de l’argument de sa rébellion et des dépenses militaires qu’elle implique. Les Américains n’ont d’ailleurs pas besoin qu’il en rajoute pour dénoncer eux-aussi des visées malveillantes de Khartoum au Tchad.

La régionalisation et l’internationalisation du conflit soudanais du Darfour sont désormais effectives. Au plan régional, les belligérants ont plutôt intérêt à consolider leurs appuis, voire à éteindre le conflit d’intérêt qui les oppose. Pour sa part, face à sa rébellion, le régime Deby est en difficulté. Une intervention internationale au Darfour pourrait certes le soulager. Mais pas forcément le tirer complètement d’affaire. Cette perspective onusienne peut toutefois lui servir d’argument vis-à-vis du Soudan. De son côté, si le Tchad peut être un souci mineur, au plan international, Khartoum ne tire pas vraiment avantage à jouer Pékin contre Washington. Gagner du temps sinon calmer l’ire internationale en donnant des gages de réconciliation panafricaine à Tripoli serait sans doute d’un plus grand bénéfice.


par Monique  Mas

Article publié le 07/02/2006 Dernière mise à jour le 07/02/2006 à 17:11 TU

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