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Ukraine

Faire ménage à trois

Le président Iouchtchenko (à droite) doit composer avec le parti de son ancienne Première ministre Iulia Timochenko (au centre) et le parti pro-russe de Viktor Ianoukovitch (à gauche).(Montage : RFI)
Le président Iouchtchenko (à droite) doit composer avec le parti de son ancienne Première ministre Iulia Timochenko (au centre) et le parti pro-russe de Viktor Ianoukovitch (à gauche).
(Montage : RFI)
Les résultats définitifs des élections législatives ukrainiennes ne seront connus que dans plusieurs jours mais les tendances donnent une idée du redéploiement des forces politiques. Le parti du président Iouchtchenko est le grand perdant. Le parti de son ancienne Première ministre a créé la surprise en arrivant deuxième. Le grand gagnant du scrutin est le Parti des régions, pro-russe. Le président, vainqueur de la « révolution orange », va devoir composer.

L’arrivée en tête du parti d’opposition pro-russe, le Parti des régions, était annoncée depuis plusieurs jours dans les sondages d’opinion. L’ampleur de la victoire du Parti des régions semble cependant avoir surpris. En obtenant aux alentours de 26% des suffrages, le parti de Viktor Ianoukovitch va peser sur la vie politique ukrainienne. D’abord, sur un plan personnel, l’ancien rival de Viktor Iouchtchenko prend sa revanche. Ce dernier avait remporté la présidentielle de 2004, à l’occasion de la « révolution orange ». Le duel entre les deux hommes avait été sans merci puisque le futur président Iouchtchenko avait été victime d’une mystérieuse tentative d’empoisonnement.

L’orientation pro-occidentale du parti du président, Notre Ukraine, n’a donc pas séduit la majorité des électeurs. Avec 17% des suffrages, le parti gouvernemental arrive en troisième position seulement. Dans la plupart des anciens pays du bloc soviétique, une fois que des élections pluralistes sont organisées, les électeurs balancent presque toujours entre deux extrêmes. En général, pour sortir du système communiste, ces électeurs adoptent d’abord un projet politico-économique inspiré de l’Ouest. Puis la population ramène souvent au pouvoir les représentants de l’ancien système, socialement plus protecteur, même si c’est au prix de certaines libertés. Il semble que l’Ukraine, à son tour, vive cet effet de balancier. Viktor Ianoukovitch représente l’est du pays, région traditionnellement proche de la Russie. Le grand vainqueur du scrutin n’a pas fait mystère, pendant la campagne électorale, d’un resserrement des liens avec le grand voisin. Tout récemment, Viktor Ianoukovitch a été l’une des rares personnalités politiques à féliciter le biélorusse Loukachenko pour sa victoire à l’élection présidentielle.

Le retour de l’influence russe

En ayant remporté le plus grand nombre de suffrages, l’ancien rival de Viktor Iouchtchenko devient un acteur incontournable de la vie politique ukrainienne. Son poids sera d’autant plus fort qu’une récente réforme a augmenté le pouvoir du Parlement au détriment du président de la République ukrainien.

La partie est du pays, traditionnellement proche de la Russie, est désormais certaine de mieux faire entendre son point de vue à Kiev, la capitale. Les élus du Parti des régions ne regarderont pas autant vers l’ouest. Des oligarques et une partie de la population de cette région très industrielle avaient été irrités, au moment de la « révolution orange », des visions pro-occidentales du président Iouchtchenko.

La seconde grande surprise de ce scrutin, c’est la percée du Bloc Ioulia Timochenko. Limogée du gouvernement en septembre 2005, l’ancienne Première ministre d’Iouchtchenko a créé son parti. Il recueille environ 24% des voix. « La révolution orange avait deux leaders, Timochenko a été écartée et les électeurs lui ont rendu justice lors des législatives », souligne Vadim Karassev, politologue indépendant. Pour de nombreux électeurs ukrainiens qui étaient descendus dans la rue pour soutenir la « révolution orange », Ioulia Timochenko apparaît comme une victime, envoyée « au casse-pipe » par Iouchenko qui « l’a laissée faire le sale boulot », explique Irina Bekechkina, sociologue à la Fondation Initiatives démocratiques. La rupture entre le président et l’ex-égérie de la révolution semble avoir été perçue comme une trahison par les électeurs qui ont porté au pouvoir Iouchtchenko il y a 16 mois, estiment encore les spécialistes de la vie politique ukrainienne. De plus, le président n’a pas condamné les auteurs des fraudes électorales de 2004 par le biais desquelles le camp pro-russe avait tenté d’installer au pouvoir Ianoukovitch. Pire, le président Iouchtchenko, une fois Ioulia Timochenko limogée, a signé un accord avec son vieil adversaire pour nommer Iouri Ekhanourov comme Premier ministre.        

Les effets de la guerre du gaz

La guerre du gaz de l’hiver dernier a peut-être joué aussi en faveur du Parti des régions, pro-russe. La « révolution orange » et l’arrivée au pouvoir de Viktor Iouchtchenko avaient déplu à Moscou, en raison de son attirance pour l’Europe de l’ouest. La multiplication par deux du prix du gaz vendu à l’Ukraine, imposée par Gazprom, seul et unique interlocuteur russe, n’avait pas tardé même si l’argument de Moscou était de faire payer le même prix à tout le monde, ancien pays ami, ou pas. Après l’euphorie de la prise du pouvoir en 2004, les Ukrainiens ont compris, en janvier dernier, que le président Poutine et Gazprom avaient la possibilité de les faire grelotter de froid malgré l’atout de l’Ukraine : pays de transit pour la livraison du gaz russe à l’Europe de l’Ouest, elle reste un partenaire incontournable de l’entreprise publique russe.

La poussée du parti pro-russe, le Parti des régions et la montée du tout nouveau parti créé par « Ioulia » montrent que la vie politique ukrainienne a de fortes chances de se radicaliser. Le Parti des régions freinera les réformes libérales et militera pour un rapprochement avec la Russie. Le Bloc Timochenko voudra monnayer, fort de son succès inattendu, les réformes qui ont provoqué le renvoi de «Ioulia » et qui ont fait fuir les investisseurs depuis la révolution. « Le président est catégoriquement contre la poursuite » de la révision des privatisations, a expliqué le chef-adjoint de la présidence Ivan Vassiounyk. Il a par ailleurs laissé entendre qu’Ioulia Timochenko devrait abandonner ce projet si elle voulait redevenir Premier ministre.

Sans attendre le résultat définitif du scrutin, le président Viktor Iouchtchenko a commencé les consultations pour former une coalition gouvernementale. Il est en position de faiblesse. Bien que chef de l’Etat, son parti, Notre Ukraine, est arrivé en troisième position seulement. Des négociations sont en cours avec le Bloc Timochenko, qui a devancé le parti présidentiel, mais la présidence n’envisage pas de gaieté de cœur de recommencer à travailler avec « la dame de fer ». Rien ne filtre de possibles discussions entre Iouchtchenko et le parti de son rival, Viktor Ianoukovitch, grand vainqueur de ces élections. Il faut dire que le Premier ministre actuel vient du camp Ianoukovith.

La commissaire européenne aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, a exprimé l’espoir que le futur gouvernement ukrainien « voudra se rapprocher » de l’Union européenne. Depuis la crise du gaz, Bruxelles sait encore plus combien de bonnes relations politiques s’imposent entre Kiev, Moscou et les capitales de l’UE.            


par Colette  Thomas

Article publié le 27/03/2006 Dernière mise à jour le 27/03/2006 à 17:21 TU

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Thijs Berman

Député européen, membre de la mission d'observation des élections en Ukraine

«Il y a quinze mois l’Ukraine s’est battue pour la démocratie, aujourd’hui c’est une lutte démocratique.»

[27/03/2006]

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