Israël
Elections sans illusion
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial
Pour Oren, un informaticien de 30 ans qui est venu voter dès l’ouverture dans un bureau du centre de Tel Aviv, la raison est simple : « Les gens sont lassés par la répétition des scrutins ces dernières années. Mais surtout ils ont l’impression que leur vote ne changera rien. Il y a une grande méfiance vis à vis de la classe politique et les récentes affaires de corruption n’ont rien arrangé. » Parallèlement l’absence d’Ariel Sharon risque de peser lourd. Ori, 45 ans, en est le premier convaincu. Membre du nouveau parti Kadima, il a installé comme l’y autorise la loi électorale un petit stand aux couleurs de la nouvelle formation. Il s’agit d’influencer jusqu’au bout les indécis. « Nous devons convaincre les électeurs que notre politique ira dans le sens souhaité par Ariel Sharon qui reste très populaire. Mais il faut surtout expliquer que nous sommes les seuls à pouvoir rassembler les Israéliens parce que nous sommes un parti centriste. » Eddy, 52 ans, fait partie de ces électeurs qui n’ont toujours pas fait leur choix. A 52 ans cet agent immobilier est on ne peut plus clair. « Mon idole politique c’est Ariel Sharon. Donc je devrais voter pour le parti qu’il a crée. Mais franchement j’ai encore des doutes. »
A Tel Aviv la tâche de Kadima est d’autant plus délicate que la ville est un fief de la gauche. Le Meretz, crédité de cinq sièges, y réalise ses meilleurs scores. Nitta, 28 ans, compte parmi ses électrices. Pourtant pour la première fois elle s’apprête à voter utile. « La priorité du gouvernement doit être de réduire les inégalités sociales. Je vais voter travailliste en espérant qu’il sera le plus puissant possible au sein d’une future coalition pour imposer une autre politique économique. »
«Ce sont des traîtres»
La question sécuritaire ne laisse pas pour autant les électeurs de Tel Aviv indifférents. Alexandre est pharmacien et, pour lui, il faut régler au plus vite le problème avec les Palestiniens. Et il se montre plutôt séduit par les projets d’Ehud Olmert. « Nous ne pouvons pas négocier avec un gouvernement palestinien dirigé par le Hamas. Il faut donc prendre l’initiative de nous retirer des territoires et fixer la frontière. » L’idée est pourtant loin de faire l’unanimité. Jeudi soir dans l’une de ses dernières réunions de campagne, Benyamin Netanyaou, le chef de file du Likoud, a mis en garde ses partisans contre le danger que représente un tel projet. Pour les adhérents de ce parti en pleine crise, Kadima est tout simplement en train de trahir les idéaux pour lesquels ils ont toujours combattu. A cinquante ans Juliette n’a pas de mots assez durs contre ceux qui ont quitté le parti. « Ce sont des traîtres. Ils se sont alliés à la gauche. Il n’y a plus que Benyamin Netanyaou qui est capable de garantir la sécurité du peuple juif. » Et quand le chef de file du Likoud transforme à dessein le nom d’Olmert en Smol (gauche) mert, la foule applaudit frénétiquement.
A Tel Aviv les électeurs du parti de droite sont plutôt rares. Analyste financier dans le secteur des nouvelles technologies, Avi est l’un d’entre eux. « Je pense que nous devons faire preuve de fermeté. Pour nous retirer des territoires nous avons besoin de garanties. Un retrait unilatéral comme le préconise Olmert, ce serait un beau cadeau fait au Hamas. » Judith, sa petite amie, abonde en ce sens. « Je veux pouvoir me promener dans les rues de Tel Aviv sans craindre un attentat. Et je crois que seul le Likoud peut nous apporter cette sécurité. »
Empêcher la création d’un Etat palestinien
Pour certains la fermeté du Likoud n’est pas suffisante. Bien loin de la vibrionnante Tel Aviv, la colonie d’Elon Moreh a été l’une des premières crées en Cisjordanie. En 1973, Benny Katsover avait 26 ans lorsqu’il s’y est installé. Il vit toujours dans cette colonie qui surplombe la ville palestinienne de Naplouse. Très proche d’Ariel Sharon, il se sent aujourd’hui trahi. « Avec son projet de retrait, Ehud Olmert encourage le terrorisme. Depuis les accords d’Oslo on sait que tout cela est voué à l’échec. Nous avons quitté, en échange nous avons le Hamas au pouvoir dans les Territoires palestiniens. Je suis horrifié quand je vois que le prochain gouvernement pourrait expulser plus de cent mille juifs d’une terre qui pour nous est sacrée. » Pour Benny Katsover, comme pour la majorité des colons de Cisjordanie, l’indécision n’est pas de mise pour ces élections. « La plupart d’entre nous votera pour l’Union nationale. » Ce parti d’extrême droite a fait alliance pour l’occasion avec le parti national religieux, avec un seul mot d’ordre : tout faire pour empêcher la création d’un Etat palestinien.
De retour à Tel Aviv, on ne peut que constater à quel point ces deux mondes semblent irréconciliables. Même si comme Geva, électeur du parti travailliste, beaucoup ont perdu leurs illusions quant à une coexistence possible avec les Palestiniens. « Il faut nous séparer. C’est la seule solution envisageable. Je sais que la construction d’un mur à quelque chose de terrible et qu’elle affecte la vie quotidienne des Palestiniens. Mais si c’est le prix à payer pour que je puisse vivre, alors nous devons le faire. » C’est sur ce consensus que compte Kadima pour s’imposer ce mardi soir.
par Frank Weil-Rabaud
Article publié le 28/03/2006 Dernière mise à jour le 28/03/2006 à 15:48 TU