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Liberia

Fin de partie pour Charles Taylor

L'ancien président Taylor (ici en 2003) est attendu par le Tribunal spécial de Sierra Leone, qui l'a inculpé de crimes contre l'humanité.(Photo : AFP)
L'ancien président Taylor (ici en 2003) est attendu par le Tribunal spécial de Sierra Leone, qui l'a inculpé de crimes contre l'humanité.
(Photo : AFP)
Le président du Nigeria Olusegun Obasanjo a ordonné mercredi l’expulsion au Liberia de Charles Taylor capturé par la police nigériane au poste-frontière de Gamboru-Ngala, dans l'Etat de Borno, au nord-est du Nigeria, d’où il tentait de passer au Cameroun. Lundi, le président déchu s’était éclipsé de sa prison dorée de la péninsule de Calabar, au sud-est. Le 25 mars, après des mois de tergiversations de sa part, et malgré les hésitations d’Ellen Sirleaf, la nouvelle présidente du Liberia, le président Obasanjo avait accepté d’extrader l’hôte encombrant qu’il abritait depuis juin 2003, répugnant jusque là à mettre à exécution le mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité lancé par le tribunal spécial de Sierra Leone. Mercredi, la Mission des Nations unies au Liberia (Minul) attendait Taylor à Monrovia pour le transférer à Freetown.

Un avion de la présidence du Nigeria a décollé mercredi, à la mi-journée de Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno où Charles Taylor avait été conduit après son arrestation, tôt le matin. Sitôt sa capture annoncée, le président Olusegun Obasanjo avait en effet ordonné son «rapatriement immédiat au Liberia afin qu'il soit confié aux autorités de ce pays». Pendant ce temps, à Monrovia, la Minul se déclarait «prête à interpeller» Taylor pour le livrer au tribunal spécial de Sierra Leone, la juridiction mixte (nationale et internationale). Celle-ci a déjà prononcé 17 chefs d’accusation contre l’ancien parrain du Front révolutionnaire uni (Ruf), pour les exactions commises pendant le conflit sierra-leonais (1991-2002), parmi lesquelles l’amputation de civils selon la sinistre règle «manches longues-manches courtes».

Capacité de nuisance à Monrovia

Embarrassée par la capacité de nuisance de son prédécesseur, mais placée sous la pression du Conseil de sécurité où elle était allée plaider la levée des embargos internationaux sur les exportations de diamants et de bois libériens, Ellen Sirleaf avait finalement eu gain de cause sur le bois, à charge pour elle d’obtenir l’extradition de Taylor, son pair du Nigeria refusant de le livrer à tout autre que le gouvernement élu du Liberia. Le 5 mars, le gouvernement libérien fraîchement formé par Ellen Sirleaf avait formellement demandé au Nigeria de remettre Taylor au tribunal spécial de Sierra Leone, Abuja répondant, trois semaines plus tard, que Monrovia avait toute latitude de venir le chercher à Calabar. Bien évidemment, Charles Taylor n’était pas resté sourd à ces conciliabules internationaux, ses partisans menaçant le Liberia du pire et lui-même prenant finalement la poudre d’escampette.

Mardi, le président Obasanjo était dans l’avion qui le conduisait à Washington pour une visite officielle lorsque ses services ont produit le communiqué annonçant que Taylor s’était échappé la veille au soir de sa villa confortable installée dans la cité résidentielle de Diamond Hill (colline de diamant). La Maison Blanche avait immédiatement réagi, déclarant qu’il était «de la responsabilité du gouvernement du Nigeria de faire en sorte qu'il soit amené au tribunal spécial pour la Sierra Leone», ajoutant que «cela implique de garder le contrôle de Taylor et de coopérer avec le Liberia et l'Onu» et indiquant que des explications seraient demandées au président Obasanjo dont le premier rendez-vous américain avait justement été fixé ce mercredi. En clair, la disparition de Taylor paraissait ressortir, au mieux d’une incompétence coupable de la part des forces de l’ordre nigérianes, au pire d’une mauvaise volonté préjudiciable aux intérêts bien compris à Washington du géant pétrolier nigérian.

Mardi, le porte-parole du département d'Etat, Adam Ereli, jugeait que la cavale de Taylor constituait «un développement troublant qui ne correspond pas aux engagements et aux responsabilités» du Nigeria. De son côté, le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, appelait les chefs d’Etat africains à lui refuser l'asile, à répondre au mandat d’arrêt international et «à se conformer à la requête de la présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, que Charles Taylor soit livré à son gouvernement qui, à son tour, le livrera au tribunal spécial». Le Conseil de sécurité devait se réunir mercredi pour s’informer «sur ce qui s'est réellement passé et ensuite examiner quoi faire».

Taylor va être déféré en justice à Freetown

«Ellen sait où est Taylor après que le Nigeria ait annoncé que son gouvernement pouvait venir chercher l'ancien président», affirmait mardi, un ancien sénateur du parti de Taylor, le Parti national patriotique (NPP), Sando Johnson, ajoutant que la présidente Sirleaf «a déclaré la guerre au Liberia en demandant unilatéralement au Nigeria de livrer l'ancien président Taylor». «Le résultat est que le Liberia n'est plus sûr», lançait-il sur un ton menaçant qui pourrait s’avérer un baroud d’honneur. Pour sa part, la Minul avait en effet réservé mercredi un accueil hautement sécurisé à l’ancien seigneur de la guerre dont l’équipée nigériane s’est terminée au poste-frontière de Gamboru-Ngala. Selon le témoignage d’un boutiquier recueilli par l‘Agence France Presse (AFP), Taylor était arrivé mercredi, au petit matin, à bord d’un 4x4 protégé par des plaques diplomatiques.

Avant d’être capturé, Taylor a traversé le Nigeria, du Sud au Nord. «Il portait un long boubou blanc. Il a réussi à passer les contrôles de police, mais les douaniers ont eu des soupçons et ont insisté pour fouiller le véhicule, dans lequel ils ont trouvé une importante somme en dollars», réalisant finalement qu’ils avaient affaire à Taylor, poursuit le témoin de l’AFP. Pour sa part, Olusegun Obasanjo a reçu de vive voix les félicitations de Washington pour avoir «mis sous les verrous Taylor si rapidement après sa disparition de sa résidence» nigériane. Mercredi après-midi, la Minul avait déployé six chars autour de l’aéroport international Roberts, à une cinquantaines de kilomètres au sud de la capitale libérienne. Des casques bleus, parmi lesquels une majorité de Jordaniens, quadrillaient le tarmac où Charles Taylor devait poser le pied, avant d’être transbordé sous bonne garde pour sa destination finale, Freetown.


par Monique  Mas

Article publié le 29/03/2006 Dernière mise à jour le 29/03/2006 à 18:08 TU