France
CPE : l'heure du choix pour Chirac
(Photo : AFP)
« Ce soir réfléchis, pas de chichis ! », « Chirac, la France est en vrac ! », « Ce soir, il faut réfléchir avant de parler, il faut écouter la rue ! » Voilà ce qu’ont scandé 200 étudiants et professeurs opposés au contrat première embauche (CPE), à Marseille, ce matin. De nouveaux slogans pour une nouvelle donne. En effet, le Président Jacques Chirac doit s’adresser aux Français ce soir à 20h, 24 heures après la validation sans réserve du CPE par le Conseil constitutionnel. Ce dernier a laissé au président de la République la responsabilité de régler la crise entamée il y a deux mois. L’Elysée n’a donné aucune indication sur le contenu de la déclaration très attendue mais ce type d’intervention est réservé aux circonstances graves, la dernière remontant au 14 novembre 2005, en pleine crise des banlieues. Jacques Chirac se trouvera ce soir face à un défi : celui de déminer une situation sociale explosive sans désavouer son Premier ministre, Dominique de Villepin.
Depuis deux jours, les spéculations sur ce que pourrait annoncer Jacques Chirac vont bon train. Le président peut soit renvoyer le texte devant le Parlement, comme le permet l’article 10 de la Constitution, soit promulguer immédiatement la loi. Des rumeurs font aussi état de l’annonce d’une grande conférence avec les partenaires sociaux, un « Grenelle social » (allusion aux accords de Grenelle qui ont conclu les événements de mai 1968 en France), celle de la nomination d’un médiateur, voire même un remaniement ministériel. Toujours est-il que, selon Le Figaro, la décision du Conseil constitutionnel « place Jacques Chirac devant l’un des choix les plus cruciaux de sa longue carrière : promulguer ou pas ? »
« La tentation de la force »
Nombre de commentateurs et d’éditorialistes donnent vendredi matin comme acquis qu’il promulguera la loi sur l’égalité des chances. C’est « la tentation de la force », titre Libération. Le retrait pur et simple du texte serait perçu comme un désaveu du Premier ministre, qui « aurait mis sa démission sur la table, associant son destin à celui du CPE », écrit L’Humanité. Les cinq confédérations syndicales engagées dans le conflit depuis deux mois aux côtés des étudiants et des lycéens doivent se réunir ce soir après la déclaration du président.
Le secrétaire général du syndicat CFDT, François Chérèque, a d’ores et déjà annoncé que les organisations syndicales refuseraient de participer à une grande négociation sociale si elle était proposée. « Pour arriver à l’apaisement, il n’y a pas 36 solutions, il n’y en a qu’une : demander une deuxième lecture pour abroger le CPE », a déclaré Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière (FO). Quant à Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, il a affirmé qu’en promulguant une loi approuvée par « seulement 6% de Français », Jacques Chirac « plomberait toute possibilité de discussion avant même qu’elle ne commence » et ne « ferait qu’envenimer la crise ».
« Responsabilité extrêmement lourde »
Alors que l’UMP n’a pas commenté la validation de la loi, Roselyne Bachelot, secrétaire générale adjointe du parti, a estimé vendredi qu’il serait « prématuré » de la part de Jacques Chirac d’annoncer dès ce soir la promulgation de la loi instaurant le CPE. Tout en affirmant qu’il « ne faut pas céder à la rue », elle a précisé qu’il fallait avoir « un dialogue beaucoup plus large. Ce dialogue n’est possible que s’il y a une suspension temporaire du CPE ». « On est maintenant devant la crise », estime François Bayrou, président de l’UDF. Selon lui, Chirac est face à une « responsabilité extrêmement lourde », la promulgation de la loi risquant de provoquer « une brusque montée de tension dans le pays ».
Onze partis et organisations de gauche, réunis à l’Assemblée nationale vendredi matin, ont « solennellement » demandé au chef de l’Etat de retirer le CPE, l’invitent à « engager des négociations avec les syndicats puis à revenir devant le Parlement » pour une seconde délibération du texte. « Le gouvernement doit répondre aux attentes de l’immense majorité des jeunes, des salariés, des citoyens », lit-on dans leur déclaration commune. « Sachant les conditions exceptionnelles de son élection en 2002, il [Chirac] porterait une grave responsabilité en promulguant la loi. Ce serait un coup de force inacceptable. »
A la sortie de cette réunion, François Hollande, secrétaire général du Parti socialiste a affirmé que Jacques Chirac ouvrira une « crise majeure » s’il promulgue le CPE et que « la proposition d’une négociation ne pourrait plus être entendue ». Pour lui, la promulgation signifierait « application immédiate du CPE » et « les premiers contrats signés dès lundi ». Dans ce cas, « les risques d’un engrenage, d’une confrontation » sont « immenses » et le président « doit les éviter ». « Nous ne demandons aucune démission, si ce n’est celle du CPE », a-t-il insisté.
« Aujourd’hui dans la rue, demain on continue »
Côté étudiants, Bruno Julliard de l’Unef n’est « ni déçu ni surpris » de la validation de la loi par le Conseil constitutionnel. Il en appelé jeudi « à la responsabilité du président de la République car la balle est dans son camp : c’est à lui de promulguer la loi, c’est de sa responsabilité d’entendre les attentes d’une très large majorité de la population et d’imposer au gouvernement le retrait ». Le président « est obligé constitutionnellement de promulguer » la loi sur le CPE mais « il doit ouvrir le dialogue aux partenaires sociaux » car sinon, « on risque de se diriger vers une crise jamais vue », explique Jean-François Martins, président de la Fage, un des principaux syndicats étudiants. « Si pour le Conseil constitutionnel, le texte est juridiquement acceptable, cela ne le rend pas pour autant politiquement et moralement acceptable. La décision du Conseil ne change pas la donne mais change l’issue », indique-t-il.
La FIDL a appelé les lycéens à poursuivre vendredi en France le blocage des axes routiers. Forts de la mobilisation massive de mardi dernier, douze syndicats de salariés, d’étudiants et de lycéens ont appelé à une nouvelle journée de grèves et de manifestations le 4 avril prochain. A Perpignan, cette nuit, les étudiants et lycéens ont continué de scander : « Aujourd’hui dans la rue, demain on continue ».par Olivia Marsaud
Article publié le 31/03/2006 Dernière mise à jour le 31/03/2006 à 13:37 TU