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CPE : la rue crie deux fois plus fort

Pour cette quatrième journée de mobilisation contre le CPE les manifestants étaient deux fois plus nombreux que le 18 mars. Leur message est clair : le CPE ne passera pas avec ou sans «<em>aménagements</em>».(Photo : AFP)
Pour cette quatrième journée de mobilisation contre le CPE les manifestants étaient deux fois plus nombreux que le 18 mars. Leur message est clair : le CPE ne passera pas avec ou sans «aménagements».
(Photo : AFP)
La quatrième journée de mobilisation contre le contrat première embauche a été largement suivie. Selon Bernard Thibault, secrétaire général du syndicat CGT, 3 millions de manifestants ont défilé dans les rues de France le 28 mars (environ 900 000 selon la police). Soit deux fois plus que lors de la dernière manifestation, il y a dix jours. Les appels à la grève, lancés pour la première fois depuis le début du mouvement par l’ensemble des syndicats, ont aussi été entendus par les salariés. Les transports, les écoles, les médias, la fonction publique et certaines entreprises privées ont été perturbés. Dominique de Villepin qui avait essayé d’anticiper en proposant, lundi soir, aux confédérations syndicales et aux organisations étudiantes et lycéennes de venir le rencontrer pour négocier des «aménagements» du texte, a essuyé un refus des confédérations syndicales qui estiment que le Premier ministre s’obstine à faire abstraction de leur revendication prioritaire : le retrait du CPE.

A quand le point de rupture ? Cette quatrième journée de mobilisation en huit semaines marque une nouvelle étape dans l’épreuve de force entre Dominique de Villepin et les opposants au contrat première embauche (CPE). Le message envoyé par les manifestants est clair : le CPE ne passera pas, avec ou sans «aménagements». Leur revendication est simple et, affirment-ils, non négociable. Ils veulent que le gouvernement accepte de retirer ce texte. En passant à la vitesse supérieure et en appelant non seulement à manifester mais aussi à débrayer, les syndicats entendaient donc montrer qu’ils ne reculeront pas parce qu’ils s’appuient sur une base solide.

Les manifestants étaient plus nombreux le 28 mars que le 18. La CGT a annoncé 3 millions de personnes dans les rues dont 700 000 à Paris, plus de 200 000 à Marseille (28 000 selon la police), 70 000 à Nantes (42 000 selon la police), 100 000 à Bordeaux (31 000 selon la police), 80 000 à Toulouse (36 000 selon la police). Même si les chiffres des préfectures sont largement inférieurs à ceux des organisateurs, la mobilisation semble donc avoir progressé. De nouvelles violences ont eu lieu, à Paris notamment où des bandes de casseurs ont encore réussi à s’infiltrer dans le défilé malgré un dispositif de sécurité renforcé et la présence de 4 000 gendarmes mobiles et CRS le long du parcours. Les forces de l’ordre sont intervenues. Et des altercations ont aussi eu lieu entre les services d’ordre des syndicats organisateurs de la manifestation et les voyous.

Transports, fonction publique, médias… perturbés par les débrayages

D’autre part, de nombreux secteurs d’activités ont été perturbés par les débrayages des salariés même s’il n’y pas eu de paralysie. Un tiers des vols intérieurs prévus ont été annulés. Entre un tiers et cinquante pour cent des trains ont circulé sur les lignes intérieures. Dans les transports urbains, les situations étaient très différentes d’une ville à l’autre (76 étaient affectées par des arrêts de travail). A Paris, 62% des métros ont circulé. A Lyon, la moitié des bus, les deux-tiers de tramways et les trois-quarts des métros ont fonctionné. Alors qu’à Tours, aucun bus n’était en circulation. La grève a aussi été suivie dans l’Education nationale et dans le secteur public (Poste, EDF, Gaz de France, Radio France, Radio France Internationale, France 3…). Tout comme dans des entreprises du secteur privé (télécoms, banques, métallurgie, tabac…) où des préavis avaient été déposés.

Difficile dans ce contexte d’interpréter le choix de Dominique de Villepin d’envoyer une lettre aux organisations membres de l’intersyndicale anti-CPE, la veille de la journée d’action du 28 mars pour leur proposer une négociation sur des bases qu’il savait par avance quasiment inacceptables. En offrant de négocier uniquement sur des «aménagements» du texte même s’il prend en compte les points les plus litigieux, durée de la période d’essai (2 ans) et modalités de la rupture du contrat, il ne pouvait escompter un accueil enthousiaste. Qu’a donc voulu tenter le Premier ministre ? Essayer d’affaiblir la mobilisation pour la journée d’action en montrant sa bonne volonté, prolonger le discours d’attente dans l’espoir de voir le mouvement fléchir finalement après avoir atteint son apogée le 28 mars ou réellement engager le dialogue pour sortir de la crise ? François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, a apporté une réponse sans ambiguïté à cette question : «C’est vraiment de la provocation de proposer des aménagements au CPE au matin d’une manifestation». Bernard Thibault a, quant à lui, répondu au courrier du Premier ministre en lui écrivant : «Votre démarche répond davantage à vos besoins de communication, la veille d’une grande journée de mobilisation… qu’à une volonté de sortir de la crise actuelle».

Le gouvernement ne cesse d’envoyer des signes contradictoires ou interprétés comme tels. Après avoir refusé toute négociation pendant des semaines, Dominique de Villepin a fini par tenter de reprendre contact avec les opposants aux CPE en appelant au dialogue. Mais ce changement d’attitude n’a, en fait, rien modifié sur le fond. Le chef du gouvernement persiste à exclure le retrait de la mesure estimant qu’il n’a pas à céder à des «ultimatums» alors que la loi a été démocratiquement votée. Il l’a même réaffirmé, le 28 mars, devant les députés de la majorité alors même que dans les rues, les manifestants battaient le pavé pour lui demander de renoncer. Peu après, il a néanmoins déclaré, à l’issue de sa rencontre avec Juan Carlos d’Espagne en visite en France, que son gouvernement voulait «répondre à l’inquiétude des jeunes». A l’Assemblée nationale, Dominique de Villepin a ensuite poursuivi en regrettant que les partenaires sociaux aient rejeté son offre de négociation de la veille : «Ils ont refusé la main tendue. Je leur renouvelle cette proposition… S’ils veulent s’engager dans la voie du dialogue, s’ils veulent réduire la période de deux ans, un entretien à la rupture du contrat, j’y suis prêt».

Négociation ou durcissement ?

Dans le même temps, les déclarations de Nicolas Sarkozy ont brouillé un peu plus le jeu. Le ministre de l’Intérieur qui affirme être «solidaire» du gouvernement sur le CPE, a néanmoins commencé à exprimer sa position personnelle depuis quelques jours. Lors d’un discours prononcé à Douai et présenté comme celui de l’entrée en campagne du futur candidat à la présidentielle, il a proposé de suspendre l’application de la mesure le temps de mener la négociation avec les partenaires sociaux. Dans la foulée, il a proposé mardi aux députés UMP, qui l’ont accepté, que la période durant laquelle le texte n’est pas appliqué (entre l’avis du Conseil constitutionnel qui doit être rendu jeudi et la promulgation) «soit mise à profit» pour mener une concertation «approfondie» et «large». De plus en plus, la pression s’exerce donc au sein même de la majorité pour inciter le Premier ministre à prendre une initiative susceptible d’être acceptée par les opposants au CPE afin d’ouvrir le dialogue. En revanche, 74% des sympathisants UMP soutiennent la fermeté de Dominique de Villepin et sa volonté de maintenir ce contrat, selon un sondage Ipsos publié par le quotidien Le Monde.

La balle est donc encore plus aujourd’hui qu’hier dans le camp de Dominique de Villepin car l’ampleur des manifestations ne va pas inciter les opposants au CPE à baisser leurs exigences pour le moment. On attendait la journée du 28 mars comme un «tournant». Reste maintenant à savoir si ce sera vers la négociation ou le durcissement.


par Valérie  Gas

Article publié le 28/03/2006 Dernière mise à jour le 28/03/2006 à 17:58 TU