France
CPE : la guerre des nerfs
(Photo: AFP)
Gagner pour durer ? Est-ce la conviction qu’il lui faut remporter l’épreuve du CPE qui motive Dominique de Villepin à refuser une quelconque concession sur le contrat première embauche (CPE) ? Le Premier ministre se positionne-t-il dans la perspective de l’échéance présidentielle où sa crédibilité de candidat ne pourrait être assurée que par une victoire dans ce combat politique ? Les responsables de gauche en semblent convaincus. Et leurs attaques visent de plus en plus précisément l’attitude intransigeante du chef du gouvernement sur le dossier du CPE.
François Hollande dénonce «la stratégie personnelle» de Dominique de Villepin et pose la question : «Le Premier ministre est-il un dirigeant responsable ?». Le député socialiste Henri Emmanuelli est sur la même ligne que le Premier secrétaire du PS lorsqu’il affirme que le chef du gouvernement est «manifestement plus intéressé par le culte de sa personne que par le gouvernement de la France». Même l’ancien Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, est sorti de son mutisme politique épisodique pour asséner quelques politesses à l’encontre de Dominique de Villepin, en déclarant : «Je ne comprends pas ce que veut dire inflexible en démocratie». Et de poursuivre en affirmant que le CPE est «une idée d’ancien régime».
Villepin en ligne de mire
De plus en plus, c’est donc sur le chef du gouvernement que se concentrent les assauts des opposants au contrat première embauche. Il est vrai que c’est bien lui qui a fait le choix de la méthode pour faire passer cette mesure controversée. Absence de concertation préalable avec les partenaires sociaux, les jeunes, absence d’explication, recours à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force le texte à l’Assemblée nationale en période de vacances scolaires, Dominique de Villepin a pris toutes les décisions qui ont finalement abouti au blocage actuel. Et depuis l’émergence du mouvement de protestation, il a poursuivi en affirmant être à l’écoute mais en ne changeant pas d’un iota son point de vue.
A force d’affirmer le «ni, ni», ni retrait ni suppression, Dominique de Villepin montre bien qu’il est déterminé, mais il rend le dialogue quasi-impossible. Cette position oblige, en effet, les opposants au CPE à rester aussi fermes que lui sur leur exigence de retrait du texte comme condition préalable à toute négociation. On voit mal du coup comment les organisations étudiantes, lycéennes et les syndicats de salariés pourraient, sans eux-mêmes paraître céder, accepter d’entamer des discussions sur les deux seuls points négociables évoqués par le Premier ministre. A savoir : la durée de la période d’essai qui pourrait être ramenée à un an au lieu de deux dans le cadre des accords de branches et les conditions d’un éventuel licenciement. D’autant que Dominique de Villepin a pris soin d’affirmer que dans tous les cas, il refusait de «dénaturer» son projet.
Aucun «geste significatif» du Premier ministre n’est pour le moment venu et la stratégie de sortie de crise «par le haut» censée être activement préparée par ses services n’a toujours pas fait son apparition. Tant et si bien qu’à droite aussi, on commence à trouver le temps long. Même si Dominique de Villepin a invité mardi les parlementaires UMP à un pot «amical» pour les remobiliser, certains traînent des pieds et estiment que la fermeté a ses limites, surtout lorsque l’on se trouve si près d’échéances électorales (présidentielles mais aussi législatives).
Sarkozy entre dans le débat
Bien sûr, les grincheux font plutôt partie des proches de Nicolas Sarkozy. La députée Nadine Morano a fait valoir dans une interview au Parisien qu’«on ne peut pas gouverner contre un peuple». Le député Yves Jégo a enfoncé le clou en déclarant qu’il y avait entre le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur «une différence d’appréciation sur la méthode, sur la façon dont on peut engager le dialogue». Celui que Dominique de Villepin a encore qualifié mardi de «cher Nicolas» n’a certainement pas envie d’être piégé sur le même bateau que le Premier ministre pour cause de solidarité gouvernementale. C’est pourquoi il commence à faire entendre sa différence. Dans un entretien à paraître le 23 mars dans l’hebdomadaire Paris-Match, Nicolas Sarkozy propose donc sa solution pour débloquer la situation : expérimenter pendant 6 mois le CPE et le soumettre alors à une véritable évaluation pour savoir s’il s’agit d’une vraie bonne mesure. Tout en réaffirmant être «solidaire» avec le gouvernement et n’avoir pas l’intention de démissionner, il se dit «lucide sur la profondeur des malentendus actuels». Autrement dit conscient qu’il faut trouver une issue à la crise. Sous-entendu, tout le monde n’est peut-être pas dans ce cas-là.
Difficile de dire si l’entrée en lice de Sarkozy dans le débat sur le CPE va inciter Villepin à plus de souplesse. Etant donnés les antagonismes anciens et profonds entre les deux hommes, cela n’est pas sûr. Reste une inconnue : qu’en pense Jacques Chirac ? Pour le moment le chef de l’Etat a soutenu son Premier ministre et affirmé croire au CPE, tout en demandant de manière répétée l’ouverture rapide d’un dialogue. Le président va-t-il rester fidèle à son dauphin jusqu’au bout, au risque d’avoir à affronter un mouvement de protestation de plus en plus dur ? Ou va-t-il lui demander de faire le premier pas pour sortir de la crise dans l’espoir que d’ici 2007 les électeurs auront oublié ?
par Valérie Gas
Article publié le 22/03/2006 Dernière mise à jour le 22/03/2006 à 17:28 TU