France
CPE : Villepin fait un pas vers le dialogue
(Photo : AFP)
Villepin lâche du lest. Bon gré, mal gré, le Premier ministre a fini par changer d’attitude dans la crise sur le contrat première embauche (CPE). Il a d’abord lancé un appel aux partenaires sociaux à venir discuter «sans a priori», lors de la séance de question au gouvernement à l’Assemblée nationale le 22 mars. Il a ensuite envoyé, le jeudi 23 mars -le jour même où les jeunes organisaient de nouvelles manifestations dans toute la France-, une lettre aux confédérations syndicales pour leur préciser plus clairement les bases sur lesquelles il envisage d’établir le dialogue. Dans cette missive, il n’est plus question de strict respect de la loi, de refus du retrait, de la suspension ou de la dénaturation du CPE. Le Premier ministre multiplie, au contraire, les signes d’apaisement. Il évoque son souhait d’aborder «dans un esprit de confiance, de responsabilité et d’ouverture des discussions sur l’emploi des jeunes et leur parcours d’insertion professionnelle». Il avance que l’ordre du jour n’est «nullement limitatif» et propose une rencontre à «la convenance» des syndicats. De l’inflexibilité totale au nom du bien commun, à la conciliation sans limite au nom de la paix sociale, il n’y aura eu que deux jours.
Ce revirement, à défaut d’être totalement inattendu, est donc tout de même assez soudain. Certains y voient la patte de Jacques Chirac, qui sans prendre la main publiquement, aurait travaillé dans l’ombre à assouplir la position du chef du gouvernement. François Bayrou, le président de l’Union pour la démocratie française (UDF), le parti centriste, a d’ailleurs dit sans détour qu’il était «absolument sûr» que le président de la République était à l’origine «des inflexions» de Dominique de Villepin. Il est vrai que Jacques Chirac n’a cessé, depuis une semaine, d’appeler à l’ouverture d’un dialogue.
Des risques de dérapages
Depuis deux mois, l’affrontement entre le gouvernement et les opposants au CPE n’a, en effet, pas cessé de se radicaliser. Face à la détermination du Premier ministre à faire entrer le nouveau contrat destiné aux moins de 26 ans en application, jeunes et syndicats ont, eux aussi, apporté la preuve de leur volonté de résister coûte que coûte pour obtenir le retrait du CPE. Dans ce contexte, les tensions sont devenues de plus en plus vives. Les manifestations ont donné lieu de manière de plus en plus systématique à des affrontements entre les forces de l’ordre et des bandes de casseurs venues perturber les fins de cortèges. La dernière en date, jeudi 23 mars, n’a pas dérogé à la règle. A Marseille, à Rennes, à Paris, des violences ont été commises.
L’opération de blocage de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris, engagée lundi, a été peu à peu noyautée par des «autonomes» n’ayant plus grand-chose à voir avec les étudiants, qui ont saccagé les locaux au nom de revendications sans rapport avec le CPE. Les présidents d’université ont alerté sur leur incapacité à assurer la sécurité dans les facultés occupées. D’autre part, des incidents se sont produits ces derniers jours dans, ou à proximité, de lycées de banlieue, en Seine-Saint-Denis notamment. Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy a fait valoir qu’il y avait «un danger que cette effervescence lycéenne et étudiante réveille l’agitation dans les banlieues qui restent toujours extrêmement tendues».
Entre le risque de bavure au cours des manifestations ou des blocages d’établissements scolaires -un syndicaliste a été gravement blessé dans des circonstances non élucidées lors du défilé du 18 mars- et celui d’un dérapage vers un mouvement de contestation et d’agitation incontrôlable dépassant largement le combat anti-CPE, il devenait urgent de faire quelque chose. D’autant que la journée d’action annoncée pour le 28 mars prochain semble promettre de grosses perturbations. Des grèves sont prévues dans les transports, l’enseignement, la métallurgie, les médias. Des défilés rassemblant jeunes et salariés doivent une nouvelle fois avoir lieu dans toute la France.
En tendant la main aux syndicats, Dominique de Villepin fait donc le premier pas pour éviter l’escalade. Reste que son intransigeance antérieure incite ses interlocuteurs à la prudence. Les représentants de centrales syndicales (CFDT, CGT, CFTC, FO, CFE-CGC) se sont réunis jeudi après-midi pour étudier la proposition du Premier ministre. Ils se sont mis d’accord pour le rencontrer dès vendredi 24 mars. Mais ils ont aussi réaffirmé dans une déclaration commune leur exigence d’obtenir le retrait du CPE «avant d’engager tout dialogue ou toute négociation» et ont prévenu qu’ils participeraient auparavant à une réunion avec les organisations étudiantes et lycéennes.
Désolidariser les syndicats des jeunes
Ces dernières n’ont, en effet, pas été conviées à participer à cette entrevue syndicats-gouvernement. Le ministre de l’Education nationale, Gilles de Robien, leur a proposé de les rencontrer séparément avant qu’elles soient reçues par le Premier ministre lui-même dans le courant de la semaine prochaine. Cette manière de procéder a été interprétée par les jeunes comme une tentative de désolidariser les différentes composantes du mouvement anti-CPE dont l’union a permis la montée en puissance de la contestation.
L’Unef, le principal syndicat étudiant, a d’ailleurs immédiatement manifesté sa méfiance. Son président, Bruno Julliard, a fait part de son scepticisme sur l’offre du Premier ministre, lors de la manifestation organisée par les jeunes jeudi 23 mars. Il a aussi réaffirmé la volonté inébranlable des étudiants d’obtenir le retrait du CPE. Dominique de Villepin a beau avoir affirmé à l’Assemblée nationale, la veille, qu’il comprenait «ce que disent les jeunes» en protestant contre le contrat nouvelle embauche, il ne les a pas pour autant convaincu de sa bonne foi.
par Valérie Gas
Article publié le 23/03/2006 Dernière mise à jour le 23/03/2006 à 18:04 TU