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Irak

Une vidéo de Zarqaoui en plein tournant politique

Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d'al-Qaïda en Irak, est apparu dans une vidéo sur Internet et a promis de vaincre les Etats-Unis.(Montage : AFP / Source : al-Jazira)
Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d'al-Qaïda en Irak, est apparu dans une vidéo sur Internet et a promis de vaincre les Etats-Unis.
(Montage : AFP / Source : al-Jazira)
Pour la première fois, le chef de la branche irakienne d'al-Qaïda, Abou Moussab al-Zarqaoui, est apparu mardi à visage découvert dans une vidéo diffusée sur un site Internet islamiste. Quelques heures plus tard, le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld et la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice arrivaient séparément à Bagdad pour une visite surprise destinée à soutenir le processus politique et le nouveau Premier ministre Jawad al-Maliki. Cette vidéo, dans laquelle Zarqaoui jure de vaincre les Américains et met en garde les sunnites contre l'engagement dans le processus politique, est jugée a priori authentique par les services américains. Elle survient deux jours après la diffusion par la chaîne al-Jazira d’une bande sonore d’Oussama ben Laden.

Abou Moussab al-Zarqaoui est l’homme le plus recherché par les Américains en Irak. La tête du chef de la branche irakienne d’al-Qaïda est mise à prix 25 millions de dollars. Souvent donné pour mort ou qualifié de « mythe » créé par les Etats-Unis pour justifier leur guerre dans ce pays, il avait, en 2004, été présenté sur une vidéo comme étant le bourreau encagoulé qui avait égorgé l'otage américain Eugene Armstrong. La CIA avait alors affirmé avoir la quasi-certitude que la voix était bien celle de Zarqaoui.

Apparaissant pour la première fois filmé à visage découvert, l’extrémiste jordanien a donc mis fin aux spéculations sur son sort. Un site islamiste, par le biais duquel le groupe d’Abou Moussab al-Zarqaoui a l’habitude de communiquer, a mis en ligne une vidéo intitulée « communiqué au peuple » et datée du 21 avril. Jusqu’à présent, il ne s’était exprimé publiquement que par le biais de messages audio, comme vient de le faire, il y a deux jours, le chef mondial du réseau terroriste Oussama ben Laden pour accuser les Occidentaux de faire la guerre à l’islam.

Alors qu’on l’avait dit blessé ou malade, il était apparemment en bonne forme physique. Barbe fournie, foulard noir sur la tête, Zarqaoui parlait assis, un fusil mitrailleur à sa droite, puis debout en train de tirer de longues salves de son arme. « J'annonce la bonne nouvelle à la nation : la formation du Conseil Choura (consultatif) des moudjahidine, qui sera le noyau de l'Etat islamique (...) Quand les ennemis sont entrés en Irak, leur but était de contrôler le pays et sa région. Mais nous les avons combattus ces trois dernières années. L’Amérique réalise que ses chars, ses armées et ses agents chiites ne seront pas capables de mettre un terme à la bataille avec les moudjahidine. »

L'opinion publique américaine soutient de moins en moins la guerre

Jurant de vaincre les Américains, Zarqaoui a mis en garde les sunnites contre l'engagement dans le processus politique et les a incités à poursuivre le jihad (guerre sainte) pour instaurer un Etat islamique. La vidéo l’a montré ensuite dans la province d'al-Anbar (ouest), entouré de ses partisans. L'un d’eux lui rend compte d' « une opération d'envergure » menée dans la province en riposte à la visite, début avril en Irak, des « deux ambassadeurs de l'impiété » (les chefs des diplomaties américaine et britannique) Condoleezza Rice et Jack Straw. Il l'informe ensuite des derniers progrès sur les roquettes mises au point par les combattants.

La séquence a été officieusement authentifiée  par les services américains. « A l'heure qu'il est, nous n'avons aucune raison de remettre en cause l'authenticité de la vidéo, a déclaré une source militaire américaine qui a requis l'anonymat. Elle apparaît comme une réponse directe aux progrès réalisés pour former un gouvernement permanent et légitime en Irak, un processus qu'al-Qaïda est résolue à saper par tous les moyens. » Le général Rudy Wright, porte-parole de la Force multinationale, a déclaré de son côté : « Zarqaoui n'a aucune considération pour le peuple irakien. Zarqaoui et al-Qaïda ont déclaré une guerre ouverte au processus démocratique engagé en Irak. Mais ils sont en train de perdre cette guerre, comme le montre la formation d'un gouvernement d'union nationale, qui est en cours. »

De fait, plus de quatre mois après les législatives du 15 décembre, la situation politique semble s'être enfin débloquée en Irak avec la nomination le week-end dernier, au poste de Premier ministre, du chiite Jawad al-Maliki, numéro deux du parti conservateur chiite Dawa. Il a aussitôt ouvert des négociations avec les principales formations représentées au Parlement pour l'attribution des ministères. Début avril, c’était d’ailleurs pour tenter de mettre fin à l’impasse politique que Condoleezza Rice et Jack Straw étaient venus à Bagdad.

Aujourd’hui, c’est pour encourager le processus que la secrétaire d’Etat américaine est de retour dans la capitale irakienne. Venant de Turquie, où elle effectuait une visite de travail,  elle y a rejoint le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. Celui-ci, arrivé quelques heures avant elle, essuie depuis quelque temps les critiques d’anciens généraux américains pour ses erreurs en Irak. En outre, cette double visite intervient alors que les forces américaines ont subi ce mois-ci leurs plus lourdes pertes depuis le début de l’année et que les sondages indiquent que l'opinion publique américaine soutient de moins en moins la guerre menée en Irak par un George Bush qui bat des records d'impopularité.

« Zarqaoui sort de son repaire »

Il s’agit en tout cas, pour les deux ministres, de coordonner l'assistance politique et militaire que les Etats-Unis souhaitent apporter aux nouveaux dirigeants irakiens qui s’apprêtent à prendre leurs fonctions. Ils devaient ainsi rencontrer Jawad al-Maliki, le président Jalal Talabani et le nouveau président du Parlement, Mahmoud Machhadani. Selon Condoleezza Rice, « c’est une période qui appartient aux Irakiens. C'est le moment de soutenir le gouvernement d'unité nationale irakien. Ce sera aux Irakiens de déterminer comment ceci évolue et nous serons là pour les soutenir. » Interrogée sur la vidéo d’Abou Moussab al-Zarqaoui, elle a estimé qu’il « sait très bien que ce gouvernement est représentatif de l'ensemble de la population irakienne, que c'est un gouvernement d'unité nationale. C'est peut-être la plus grande menace contre ses efforts pour diviser les Irakiens », a-t-elle ajouté.

Pourquoi Zarqaoui se montre-t-il à présent, alors que l’Irak vit un tournant politique important ? Un islamologue jordanien a confié son analyse à l’AFP : « Pour que Zarqaoui, celui dont le sort a suscité tant de spéculations, sorte de sa cachette, il faut un mobile de taille, selon Yasser al-Zaatara. La situation politique en Irak prend une tournure dramatique à ses yeux : l'ambassadeur américain, Zalmay Khalilzad, obtient des acquis sur le terrain avec la participation des forces sunnites au processus politique, ce qui pourrait détourner les insurgés de la résistance. Le moment est très critique. Zarqaoui sort de son repaire. »

Interrogé au cours d’une conférence de presse à Bagdad, le président irakien Talabani a commenté la diffusion de la vidéo entouré de ses deux vice-présidents, le chiite Adel Abdel Mehdi et l'Arabe sunnite Tarek al-Hachemi. « L'ensemble du peuple irakien hait les crimes horribles de Zarqaoui, qui devient plus que jamais isolé (…) La meilleure façon de venir à bout du phénomène Zarqaoui est la réconciliation nationale et le rétablissement de la sécurité et de la stabilité. »


par Philippe  Quillerier

Article publié le 26/04/2006 Dernière mise à jour le 26/04/2006 à 16:56 TU