Irak
Le coup de semonce de Rice et Straw
(Photo : AFP)
Deux jours durant, Jack Straw et Condoleezza Rice n’auront pas ménagé leurs efforts. Manifestant l’impatience de Londres et Washington face à l’impasse politique en Irak, le secrétaire britannique au Foreign Office et la secrétaire d’Etat américaine ont jugé nécessaire de se rendre en personne à Bagdad pour accentuer la pression sur les dirigeants irakiens, avec pour objectif la formation rapide d’un nouveau gouvernement. La visite, non annoncée pour des raisons de sécurité, s’est déroulée au sein de la zone verte, ce secteur très surveillé de Bagdad qui abrite les ambassades et les bâtiments officiels.
A l’issue de leur séjour durant lequel ils ont rencontré le président Jalal Talabani et les représentants de tous les groupes participant aux tractations sur le gouvernement, les deux diplomates ont tenu une conférence de presse. « Nous sommes venus soutenir le processus en cours et il ne me revient pas ni à M. Straw de déterminer qui sera le Premier ministre », a déclaré Condoleezza Rice, ajoutant que les leaders irakiens, qui discutent depuis plus de trois mois, devaient aboutir rapidement. « Si vous n'avez pas attribué les postes importants, ce sera difficile de former le gouvernement », a-t-elle regretté.
Voilà maintenant près de quatre mois que les Irakiens ont voté pour élire leurs représentants. C’était le 15 décembre dernier. Et alors que les violences s’intensifient entre chiites et sunnites depuis l’attentat, le 22 février, contre le sanctuaire chiite de Samarra, les pourparlers pour la formation d’un nouveau gouvernement s’enlisent. La présidence irakienne a, certes, annoncé ces derniers jours des accords sur la mise en place d'un Conseil de sécurité nationale chargé des décisions stratégiques, d'un comité ministériel qui aura à gérer le dossier sécuritaire et d'un accord sur les règles de fonctionnement du Conseil des ministres.
Mais ces accords visent surtout à associer aux prises de décision les représentants des sunnites, lesquels réclament voix au chapitre notamment sur le dossier sécuritaire. Car les négociations n’ont pas encore, en effet, atteint le stade de l’attribution des postes ministériels. « Nous savons que la mise en place d’une coalition prend du temps, a déploré Jack Straw, (…) mais cela prend trop de temps ici. »
Djaafari dit ne pas vouloir renoncer à sa candidature
Une des principales causes de blocage est la personnalité de l’actuel Premier ministre, Ibrahim Djaafari, chef du parti Dawa investi par l'Alliance irakienne unifiée (AIU), le bloc chiite majoritaire au Parlement. Kurdes et sunnites refusent qu'il soit reconduit à la tête du gouvernement, lui reprochant notamment de n’avoir pas su endiguer la vague de violences interconfessionnelles qui a projeté l’Irak au bord de la guerre civile. Jack Straw et Condoleezza Rice se sont entretenus avec lui pendant 45 minutes, prenant eux aussi leurs distances. La secrétaire d’Etat américaine a, en effet, estimé peu après qu'il fallait pour l'Irak « un leader fort qui soit une force unificatrice et une personnalité capable de créer de la stabilité et de relever les défis du peuple irakien ».
Et aujourd’hui, ce sont certains de ses alliés qui l'appellent désormais à démissionner. Ainsi Djalal al Dine al Saghir, un des dirigeants du Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak (CSRII), le plus important parti de l'AIU, a réclamé son départ pour la première fois en public. « J'appelle Djaafari à renoncer à son rang de Premier ministre désigné, parce que le candidat à ce poste doit obtenir un consensus national des autres listes et aussi être avalisé par la communauté internationale. »
C'est la première fois que la coalition de l’AIU, victorieuse des législatives avec 128 sièges sur 275, appelle au retrait du candidat qu'elle avait désigné - avec une voix de différence. Mais, résistant aux pressions – pour combien de temps ?-, Djaafari dit ne pas vouloir renoncer à sa candidature.
« C'est merveilleux de vous voir »
Malgré leurs dénégations, Londres et Washington ont-elles leur candidat ? Condoleezza Rice a rencontré dimanche le vice-président Adel Abdoul Mahdi, candidat du CSRII battu d'une seule voix lors du vote interne de l'alliance chiite pour élire le candidat au poste de Premier ministre. « C'est merveilleux de vous voir », lui a-t-elle lancé.
Pour autant, Condoleezza Rice et Jack Straw se défendent de toute ingérence dans les affaires irakiennes. Ou plus exactement, ils la justifient. « Les Américains ont perdu plus de 2 000 soldats, nous en avons perdu plus de 100 et il y a 140 000 militaires (étrangers) qui aident au maintien de la paix » en Irak, a déclaré le chef de la diplomatie britannique. « Nous avons le droit de demander à traiter avec monsieur A, B ou C », a-t-il ajouté, soulignant que « ce sont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui ont libéré le pays ».
Et d’ajouter : « Il est de la plus haute importance maintenant pour les Irakiens de progresser et je pense que nous sommes en droit de le dire. Les pertes humaines américaines et britanniques et les énormes sommes dépensées sont à elles seules une raison pour les pousser à faire des progrès. » Des avancées qui pourraient alors préluder à un désengagement militaire américano-britannique.
par Philippe Quillerier
Article publié le 03/04/2006 Dernière mise à jour le 03/04/2006 à 17:44 TU