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Cinéma

L’Asie dans la cour des grands

Le film chinois de Ma Liwen <em>You and me</em> étudie les relations entre des femmes de générations différentes et met en lumière la solitude des personnes âgées.(Photo : Udine Far East Film)
Le film chinois de Ma Liwen You and me étudie les relations entre des femmes de générations différentes et met en lumière la solitude des personnes âgées.
(Photo : Udine Far East Film)
Classé désormais parmi les 50 plus grands festivals consacrés au 7e Art, le Festival du film asiatique d’Udine, dans le nord-est de l’Italie, est devenu le plus important du genre en Europe, en huit ans d’existence seulement, affirment non sans fierté ses organisateurs.

De notre envoyé spécial

La 8e édition du Udine Far-East Film Festival (FEFF), qui s’est déroulé du 21 au 29 avril 2006, a confirmé une fois de plus que le FEFF est bel et bien la « première vitrine du cinéma populaire asiatique en Italie et en Europe », selon sa présidente, Sabrina Baracetti. Plus de 50 000 entrées ont été enregistrées cette année, un chiffre en constante augmentation. Le FEFF devrait poursuivre sa croissance exponentielle pour les années à venir, d’autant plus qu’il vient de signer un accord de coopération avec la Mostra de Venise. Une heure et demie de route seulement sépare les deux villes.

Parmi les 73 fictions - en provenance de Chine continentale, de Hong Kong, de Taiwan, du Japon, de Corée du Sud, des Philippines et de Thaïlande - présentées lors des neuf jours du festival, plus d’une cinquantaine concouraient pour le Prix du Public, unique trophée qui récompense le meilleur film, selon un vote des spectateurs. Il a été remporté par Welcome to Dongmakgol, première surproduction du Sud-Coréen Park Gwang-hyun. Le film nous ramène en pleine période de Guerre froide, celle de Corée qui débuta en 1950.

Welcome to Dongmakgol : l’absurdité de la guerre

Un petit groupe de soldats nord-coréens tombe dans une embuscade et trouve refuge dans un village, Dongmakgol, où les habitants vivent en totale harmonie avec la nature, ignorent l’existence d’un conflit sanglant, et n’ont jamais vu d’armes à feu. Deux soldats égarés du Sud y sont accueillis à leur tour. A la vue de l’ennemi, les deux camps pointent leurs mitraillettes l’un en direction de l’autre. Après une nuit tendue de face à face cocasse par l’absurdité de la situation, ils décident d’un commun accord de ne pas se battre afin de ne pas créer de problème à leurs hôtes, puis quittent leurs uniformes et participent au travail quotidien des paysans. Au fil des jours, leur méfiance réciproque se dissipe. Ils apprennent à se connaître, jouent ensemble comme des d’enfants puis finissent par fraterniser. Dongmakgol est un village hors du temps, propice à l’innocence incarnée par une jeune fille à l’âme pure.

Théoriquement, les deux Corée demeurent toujours en situation de guerre, car elles n’ont signé qu’un armistice en 1953. Ce film est « un message de paix », souligne son jeune réalisateur Park Gwang-hyun. « Cela m’attriste de voir que ceux qui ont le pouvoir de mettre fin au conflit entre le Nord et le Sud n’agissent pas. En tant que réalisateur et simple citoyen, il est de mon devoir de contribuer à cette paix au travers des films », déclare-t-il. Welcome to Dongmagkol constitue un des cinq plus grands succès du cinéma coréen. Huit millions de billets ont été vendus à sa sortie au « Pays du matin calme ». Montré en avant première européenne, Welcome to Dongmakgol, filmé avec tendresse et poésie, a totalement conquis le cœur du public d’Udine. En dépit de quelques scènes de violents combats très réalistes, il a néanmoins suscité en de maintes reprises le rire et les applaudissements des spectateurs lors de sa projection.

Cependant, même si c’est un film sud-coréen qui a décroché le Prix du Public, le cinéma japonais n’a pas été en reste. Parmi les huit films les plus appréciés des spectateurs, quatre viennent de l’Archipel. A leur tête, Always, de Yamazaki Takashi, propulsé en deuxième position du palmarès après Welcome to Dongmakgol. Basé sur un manga de Saygon Ryohei paru pour la première fois en 1973 et toujours publié à ce jour, Always nous ramène en 1958 dans un Tokyo en pleine reconstruction. Grand spécialiste des effets spéciaux, Yamazaki Takashi a recréé méticuleusement la capitale nippone avec une touche de nostalgie. Les voitures d’époque, les tramways, les rues, les couleurs marron rougeâtre, tout a été savamment orchestré pour nous transporter dans un passé révolu où régnait un véritable esprit de voisinage entre les citadins, où la télévision représentait la dernière merveille électronique alors que l’économie du pays commençait à se redresser lentement.

Always : « Nous étions pauvres mais optimistes »

« Nous, Japonais, sortions de la seconde guerre mondiale et savions qu’il fallait survivre. Nous étions pauvres mais optimistes. Nous avions dû déployer une énergie commune considérable pour bâtir un avenir meilleur. Nous étions habitués à vivre dans un environnement familier où partage et solidarité n’étaient pas de vains mots », explique Yamazaki Takashi. Et de déplorer : « aujourd’hui, Tokyo, avec ses gratte-ciel, est une ville laide. Les gens ne communiquent plus de manière directe mais le font par le biais d’Internet au moyen de courriers électroniques ou de discussions en ligne. Certes, le Japon est devenu une grande puissance économique, mais la force intérieure, c’est-à-dire l’énergie spirituelle commune d’antan n’est plus de mise ».

La Tour de Tokyo en cours de construction, une sorte de réplique de la Tour Eiffel, forme le fil conducteur d’Always. Dans ses environs s’étalent de vieilles maisons traditionnelles où les habitants travaillent dur pour subsister. Plusieurs histoires se déroulent autour de celle de Suzuki Norifumi. Garagiste, il vit paisiblement avec sa femme et son fils. Arrive un jour chez eux Roku, une jeune provinciale enthousiaste venue en ville persuadée qu’elle allait exercer ses talents dans une grande entreprise. Mais elle est vite désenchantée en constatant que la société « Suzuki Auto » n’est en réalité qu’un simple petit garage. Sur le trottoir d’en face, il y a le magasin de bonbons de Chagawa Ryunosuke, un écrivain raté réduit à écrire des histoires pour des revues pour enfants. Il fréquente un bar et peine à cacher son attirance pour la charmante tenancière Hiromi (interprétée par l’actrice Koyuki, l’amour de Tom Cruise dans Le Dernier Samouraï). Cette dernière lui confie la garde de Junnosuke, un petit garçon abandonné par ses parents.

Les personnages partagent leurs secrets, leur joie et leur tristesse. Le changement qui s’opère chez eux revêt un aspect primordial pour ce film fait avant tout pour le public japonais. Ainsi, l’écrivain raté Chagawa, plutôt égoïste au début, s’est métamorphosé. En accueillant chez lui le petit Junnosuke, il se transforme en véritable père tandis que Jonnosuke, qui a grandi trop vite, est redevenu enfant grâce à lui. « A l’époque, l’aspect matériel ne primait pas. Les gens disposaient de moins de choses, mais étaient plus authentiques et plus profonds dans leurs sentiments. Avec le stress de la vie moderne, il y a moins de communication et les liens familiaux sont plus fragilisés », estime Yamazaki Takashi. Son film, un conte de fée moderne, a connu un immense succès au « Pays du soleil levant ». Always, film émouvant dans lequel on fait croire les enfants au Père Noël, est sans aucun doute un monde de rêve et d’imagination que seul le cinéma peut nous offrir.

Bien que Linda, Linda, Linda, un autre long métrage japonais sur un groupe de rock composé d’une bande de jeunes lycéennes rêvant de gloire se soit hissé à la troisième place dans le classement des préférés du public d’Udine, un film social chinois a toutefois marqué le festival. Il s’agit de You and me, de Ma Liwen. Née à Jiangxi en 1971, la réalisatrice s’inspire de son propre vécu et démontre qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des effets spéciaux pour donner naissance à un bon film. Xiao Ma, une étudiante provinciale débarque à Pékin en plein hiver et loue à bon marché une chambre à une grand-mère avide, âgée de 90 ans. Située dans la cour de la maison traditionnelle de la vielle, la chambre se trouve dans un piteux état, sans gaz, sans électricité ni eau courante.

You and me : un peu de chaleur humaine

Pour la rendre habitable, Xiao Ma, débrouillarde, effectue des va-et-vient sous l’œil attentif de la grand-mère. La caméra suit les allers et retours de la jeune fille. Ses déplacements rapides donnent du rythme au film et apportent un peu de vie extérieure et de chaleur humaine à la cour intérieure de cette modeste maison où tout semble figé depuis des décennies. La vieille femme vit seule. Au départ, elle considère Xiao Ma comme une nuisance. Mais elle se voit obligée de la tolérer car elle représente une source de revenus. Avec l’arrivée du printemps, leurs relations changent. De caractère opposé, les deux femmes se rapprochent et s’apprécient mutuellement au gré des saisons. Film intimiste, You and me étudie les relations entre des femmes de générations différentes et met en lumière la solitude des personnes âgées dans un monde en mutation rapide.

S’il existait un prix d’interprétation féminine, il aurait certainement été attribué à Jin Yaqin, la grand-mère. L’actrice a derrière elle une expérience de 60 ans de théâtre. Mais c’est la première fois qu’elle décroche un vrai rôle au cinéma après avoir tourné dans des séries télévisées. A la fois charismatique, radieuse, drôle et surtout très énergique malgré son âge avancé (81 ans), elle campe à merveille cette grand-mère qu’une vie difficile a rendu dure et fermée. Son secret pour se maintenir en forme : « je suis une personne souple et accommodante. Ouverte, je suis très entourée par ma famille, contrairement au personnage que j’incarne dans le film. Je ne me prends pas au sérieux, sauf dans le travail », confie-t-elle avec un rire communicatif.

Welcome to Dongmakgol, Always et You and me resteront donc probablement parmi les meilleurs longs métrages dans les annales du Festival du film asiatique d’Udine, couvert cette année par près de 200 journalistes. La 9ème édition du FEFF rendra hommage au metteur en scène hongkongais Patrick Tam, mentor de Wong Kar-Wai. Le réalisateur de In the mood for love présidera le jury international du 59e Festival de Cannes du 17 au 28 mai 2006.


par Kèoprasith   Souvannavong

Article publié le 08/05/2006 Dernière mise à jour le 08/05/2006 à 15:56 TU