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Territoires palestiniens

La Banque mondiale tire la sonnette d’alarme

La Banque mondiale rappelle que «<em>des structures complexes comme les systèmes scolaires ne sont pas des machines qui peuvent être arrêtées ou démarrées en appuyant sur un bouton</em>».(Photo : AFP)
La Banque mondiale rappelle que «des structures complexes comme les systèmes scolaires ne sont pas des machines qui peuvent être arrêtées ou démarrées en appuyant sur un bouton».
(Photo : AFP)

Depuis l’avènement au gouvernement du Hamas, en mars dernier, l’Autorité palestinienne est menacée de banqueroute. Les donateurs internationaux refusent de traiter directement avec le mouvement islamiste inscrit sur la liste des terroristes. Ils n’envisagent plus guère que des aides «humanitaires» confiées à des ONG dont certaines refusent déjà ce «rôle de substitution». L’Autorité palestinienne est privée de l’aide internationale qui finançait environ 53% de son budget, mais aussi des taxes douanières collectées par Israël (30% des recettes budgétaires). Les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis mars. Selon la Banque mondiale, cela «pourrait provoquer un relâchement de la discipline au sein des services de sécurité». Pis encore, l’Autorité palestinienne «risque de cesser de fonctionner».


«Les fonctionnaires ont déjà commencé à ne plus s'acquitter de leurs charges en signe de protestation et ce phénomène devrait s'intensifier lorsque le personnel se mettra à chercher d'autres moyens de subsistance», écrivent les rapporteurs de la Banque mondiale (BM) dans un document en forme de piqûre de rappel adressé aux donateurs. L’essentiel de leurs prévisions pessimistes est en effet déjà dans un rapport sur la crise palestinienne daté du 7 mai. Mais aujourd’hui, la BM tient à souligner que si les intéressés estiment que «les risques associés au chaos budgétaire sont excessifs», ils doivent trouver d’urgence des solutions. En effet, les «moyens de subsistance» en question ne seront pas forcément très civils dans la mesure où les forces de sécurité de l’Autorité palestiniennes sont du nombre des quelque 160 000 fonctionnaires en attente de leurs salaires.

Autorité sans budget

La masse salariale destinée à la fonction publique nourrit un Palestinien sur quatre, soit quelque 800 000 personnes. Elle représente environ 120 millions de dollars par mois, un budget que l’autorité parvenait jusque là à boucler grâce aux subsides extérieurs et à ses revenus fiscaux. Mais Israël a déjà gelé quelque 60 millions de dollars de recettes douanières collectées sur son territoire, passage obligé des marchandises destinées à la Cisjordanie et à la bande de Gaza. Et la sanction internationale du Hamas s’est faite insupportable avec le tarissement des aides multilatérales ou bilatérales, budgétaires ou «humanitaires». Celles-ci sont allouées à des projets de développement dans les domaines de l’agriculture, de l’eau, de la santé, ou de l’éducation, mais aussi aux infrastructures qui vont avec. C’est dire qu’elles charpentent le quotidien et les institutions palestiniennes.

Le 10 avril dernier, le principal donateur (avec 1 172 millions de dollars entre 1994 et 2005, soit 25% de l’aide totale), l’Union européenne a suspendu son aide directe à l’instar des Etats-Unis (17% de l’aide avec 778 millions de dollars). Du coup, selon les chiffres de la Banque mondiale, le budget de l’Autorité palestinienne est tombé à moins de 60 millions de dollars en avril dernier, contre 130 millions de dollars au premier trimestre 2006 et 180 millions de dollars mensuels en 2005. Selon les prévisions de l’institution internationale, ce budget devrait encore maigrir pour ne plus guère dépasser les 25 millions de dollars mensuels.

A défaut de constituer un Etat souverain, les territoires palestiniens ne peuvent pas devenir membre de la BM et donc accéder à ses prêts. En outre, les Américains prohibant tout contact avec le Hamas, les banquiers hésitent à passer outre. C’est ainsi que les 70 millions de dollars collectés par la Ligue arabe au profit des Palestiniens sont en panne de transfert bancaire. L’Autorité palestinienne est donc totalement dépendante des donateurs qui refusent de continuer à abonder le budget de l’Autorité palestinienne, exigeant au préalable du Hamas l’abandon officiel et définitif de la lutte armée et la reconnaissance d’Israël. Utilisée comme instrument de pressions internationales, l’arme financière menace de vider l’Autorité de toute crédibilité politique.

Situation sociale explosive

«Si l'Autorité palestinienne est paralysée pour une période prolongée, cela pourrait torpiller les efforts déployés par les donateurs depuis une douzaine d'années pour mettre en place les institutions responsables nécessaires pour le futur Etat palestinien ou pour le fonctionnement du régime de transition», s’inquiète la BM qui rappelle que «des structures complexes comme les systèmes scolaires ne sont pas des machines qui peuvent être arrêtées ou démarrées en appuyant sur un bouton». Par ailleurs, payer les salaires des fonctionnaires civils tout en refusant d’allouer des fonds aux forces de sécurité, par exemple, risquerait de créer des rivalités à très haute tension, observe la BM. Ses rapporteurs pointent le risque politique déjà bien réel qui accompagne la détérioration du niveau de vie palestinien.

La situation sociale est explosive. La BM estime que d’ici la fin de l’année, 67% des Palestiniens tomberont en dessous du seuil de pauvreté, contre 44% en 2005. Et l’idée de faire transiter l’aide par des ONG ne soulève pas l’enthousiasme de ces dernières. Le 5 mai, une dizaine d’ONG françaises ont fait savoir à l’Union européenne qu’elles refusent de fournir les «services de base à la population (éducation, santé, services sociaux)», ce qui reviendrait, selon elles, à se substituer à l’Autorité palestinienne dans «son rôle de prestataire de services publics» et «contribuerait au démantèlement des institutions palestiniennes». Bref, ces organisations humanitaires, parmi lesquelles Médecins du monde ou le Secours catholique, ne croient pas possible d’asphyxier le Hamas sans étouffer ses électeurs et détruire l’embryon d’Etat que constitue l’Autorité palestinienne.

«Il est difficile d’imaginer comment l’Autorité palestinienne pourrait remplir les conditions posées par le Quartette [Etats-Unis, Union européenne, Russie et Onu] si elle n’est plus opérationnelle», note la BM. La Banque rappelle que loin d’arracher l’abandon de la lutte armée, «l’intense pression économique de 2001-2002» avait accru la rancœur palestinienne à l’encontre d’Israël «perçu comme responsable de la détresse économique». Dans ce contexte, la BM prophétise une catastrophe sociale et une «détérioration de l'environnement sécuritaire [qui] pourrait rendre plus difficile le fonctionnement du gouvernement, du commerce et des agences de secours», voire un chaos politique dans lequel le Hamas perdrait effectivement la main. Une victoire à la Pyrrhus en quelque sorte.


par Monique  Mas

Article publié le 08/05/2006 Dernière mise à jour le 08/05/2006 à 17:05 TU