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Union européenne/Amérique latine

Morales met de l’huile sur le feu

Une militante de Greenpeace en bikini a troublé vendredi la photo de famille des chefs d’Etat et de gouvernement de l'Union européenne et d'Amérique latine.(Photo : AFP)
Une militante de Greenpeace en bikini a troublé vendredi la photo de famille des chefs d’Etat et de gouvernement de l'Union européenne et d'Amérique latine.
(Photo : AFP)
Le 4e sommet Union européenne/Amérique latine s’est ouvert à Vienne en présence de 60 chefs d’Etat et de gouvernement venant de ces deux régions du monde. Un rassemblement exceptionnel de personnalités qui devrait pourtant, selon les spécialistes, produire peu de résultats. Avant l’ouverture officielle, le sommet bruissait déjà de déclarations suite à la récente nationalisation des hydrocarbures en Bolivie.

Les chefs d’Etat et de gouvernement participant au  sommet de Vienne doivent adopter une déclaration qui prévoit « de renforcer l’association stratégique bi-régionale et la défense des droits de l’Homme et de l’environnement », tout en combattant la drogue et la pauvreté. Dans ce texte, la question énergétique est posée. Les Européens reconnaissent « le droit souverain des pays à gérer et réguler leurs ressources naturelles » tout en appelant ces pays à « établir des régimes de régulation plus compatibles » avec les règles européennes.

Un bikini

Un petit grain de sable est venu troubler le déroulement habituel de ce genre de sommet. Au moment où le photographe s’apprêtait à immortaliser l’événement en prenant la « photo de famille » rassemblant tous ces dirigeants, une jeune femme, en maillot de bain, a fait irruption devant l’objectif. Elle a brandi devant les chefs d’Etat et de gouvernement sud-américains et européens une pancarte proclamant « non à la pollution par la pâte à papier ». La jeune Argentine aux cheveux longs et chaussée de bottes parlait au nom de Greenpeace. L’association, coutumière des coups d’éclat pour prendre la défense de l’environnement, voulait protester contre la construction de deux usines européennes de cellulose, finlandaise et espagnole, en Uruguay, tout près de la frontière entre l’Uruguay et l’Argentine.

Le président Hugo Chavez a applaudi la jeune femme. Pourtant, pour le moment, c’est le président bolivien qui a la vedette à Vienne. Jeudi, avant même l’ouverture officielle du sommet, Evo Morales indiquait que « si les compagnies étrangères » installées sur les champs de gaz boliviens « avaient le droit de récupérer leurs investissements, elles ne seraient pas indemnisées » suite à la nationalisation du secteur des hydrocarbures décidée il y a moins de deux semaines par le gouvernement bolivien. Le président Morales avait été moins précis  lorsqu’il avait annoncé la nationalisation de ce secteur. Il avait donné 180 jours aux compagnies pétrolières étrangères pour renégocier leurs contrats dans son pays.

La ministre autrichienne des Affaires étrangères, Ursula Plassnik, dont le pays préside actuellement l’Union européenne, a réagi vigoureusement, estimant « important que le gouvernement bolivien fasse la clarté sur ses intentions et sur son comportement et qu’il rende prévisible ses actions ».

En dehors de cette passe d’armes entre la représentante de l’Union européenne et le président bolivien, une autre joute verbale s’est déroulée dans les coulisses du sommet. Parlant une fois encore des contrats des compagnies pétrolières étrangères présentes dans son pays, le président Morales a déclaré au cours d’une conférence de presse : « Si vous voulez parler des contrats, je vais démontrer qu’ils sont illégaux et inconstitutionnels et si vous voulez qu’on parle de Petrobras (compagnie brésilienne), je vais vous dire comment ils ont opéré illégalement sans respecter les règles boliviennes ».

Au moment de la nationalisation de son secteur énergétique, la Bolivie avait déjà accusé Repsol YPF, entreprise espagnole, de faire de la contrebande de pétrole. Cette fois, les accusations visent la compagnie brésilienne, premier investisseur étranger en Bolivie et premier consommateur de son gaz. Présent à Vienne, le ministre brésilien des Affaires étrangères, s’est dit scandalisé par les propos du chef de l’Etat bolivien. Les accusations d’activités illégales sont « sans fondement », a déclaré Celso Amorim.

En appeler au droit

Les observateurs estiment qu’Hugo Chavez, le président vénézuélien, a certainement poussé Evo Morales à durcir encore sa position vis-à-vis des compagnies pétrolières étrangères en profitant de la tribune mondiale que représente le sommet de Vienne. Les Européens, eux, n’ont pas manqué de faire passer leur message dans la déclaration officielle qui sera adoptée avant la clôture: ils ont l’intention d’en appeler au droit pour faire respecter les accords passés afin de sécuriser leur approvisionnement en gaz en provenance de Bolivie et de ne pas perdre leurs investissements. La publication d’une lettre a, un peu plus tard, fait retomber la tension. Un courrier du président Morales, envoyé à l’Espagne dont l’entreprise Repsol-YPF est très impliquée en Bolivie, indique : « Nous sommes, tout comme vous, engagés à conclure dans un délai de 180 jours des contrats mutuellement satisfaisants … comprenant toutes les conditions nécessaires à une sécurité juridique vraie et durable pour les compagnies », écrit le chef de l’Etat bolivien à son homologue espagnol.

L’Europe serait-elle à court d’idées face à un éventuel ralentissement des approvisionnements ? Toujours est-il que vendredi, à Vienne, le chef du gouvernement britannique a appelé les présidents bolivien et vénézuélien à se montrer « responsables » dans l’utilisation de leurs ressources en hydrocarbures. Tony Blair n’a pas encore rencontré les deux leaders politiques.

« Nous espérons que la Bolivie sera sensible à l’intérêt des coopérations étrangères » a pour sa part déclaré le président français. La France importe très peu de gaz bolivien. En revanche la compagnie Total a subi les augmentations de taxes imposées il y a quelques mois par le Venezuela.

Le sommet de Vienne est en principe dédié au renforcement des échanges économiques entre l’Union européenne et l’Amérique latine. Ces négociations stagnent car les contours des deux grandes organisations économiques sud-américaines sont mouvants. Certains pays sud-américains invités à Vienne sont dans le Mercosur (Marché commun sud-américain), d’autres appartiennent à la CAN (Communauté andine des nations). Vienne donne la possibilité à l’élite politique européenne de regarder de près le jeu sud-américain, les rapports de force entre les petits pays, cherchant souvent le soutien des Américains, et les grands, voulant diriger les affaires du continent : Argentine, mais surtout Brésil. Arrivées et départs dans les deux organisations économiques compliquent le partenariat. Mais c’est surtout le choix de Chavez, de quitter la Communauté andine (Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou) pour rejoindre le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) qui fait actuellement tanguer cette organisation.

A Vienne, fidèle à lui-même, le président vénézuélien, a tenu un meeting politique jeudi soir plutôt que d’assister au dîner officiel organisé par l’Autriche. Hugo Chavez a par ailleurs rencontré la présidente chilienne Michelle Bachelet. Il lui a proposé d’entrer dans le projet de gazoduc géant qui doit fournir du gaz vénézuélien à une bonne partie de l’Amérique du sud. Loin des discussions sur la disparition des barrières douanières ou sur l’ouverture des marchés agricoles, les deux compères, Chavez et Morales, vont certainement trouver moyen d’attiser encore les braises d’ici la fin du sommet.

  


par Colette  Thomas

Article publié le 12/05/2006 Dernière mise à jour le 12/05/2006 à 17:04 TU