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Changements climatiques

Les marchands de carbone sont déprimés

La Commission de Bruxelles profite d’une réunion de prospective sur l’après 2012, fin de la première phase du Protocole de Kyoto, pour publier, en marge de cette réunion de Bonn, un état des lieux du marché européen du carbone. Ce marché a été créé il y a un peu plus d’un an mais il a du mal à trouver ses marques.

Usine d'incinération aux Pays-Bas. Le marché européen du carbone concerne 11 000 entreprises.(Photo: AFP)
Usine d'incinération aux Pays-Bas. Le marché européen du carbone concerne 11 000 entreprises.
(Photo: AFP)

Les pays signataires de la convention climat sont actuellement réunis à Bonn, en Allemagne, où est installé le siège administratif de cet outil juridique international chargé de lutter contre le réchauffement de la planète. Les représentants des pays signataires discutent hors de la conférence habituelle qui se tient en général à l’automne. Le but, cette fois, est de parler de l’après 2012. Dans 6 ans, la première phase du Protocole de Kyoto sera terminée. Il faut donc penser à la suite. La lutte contre les changements climatiques est complexe, elle s’organise à long terme. Pour les gouvernements, il est nécessaire de connaître à l’avance dans quelles directions partira cette politique afin de réfléchir à sa mise en œuvre nationale. Des consignes sont ensuite données aux industries, au secteur du bâtiment et aux transports, les trois grands postes de consommation d’énergie fossile, donc de rejets de gaz à effet de serre. 

Dans les outils inventés pour lutter contre le réchauffement de la planète, il y a la création d’une bourse internationale du carbone. A l’annonce de sa création, ce marché de la pollution avait fait beaucoup réagir, certains trouvant immoral de faire du commerce avec de la pollution. En plus, cette bourse était voulue par les Américains qui ont fait, avec ce système, baisser les émissions de soufre rejetées par l’industrie. Aujourd’hui, la création de cette bourse ne fait plus réagir personne.

Pas de croissance, pas de pollution, pas de marché

Il y a un peu plus d’un an, le premier janvier 2005, chaque pays membre de l’Union européenne attribuait des «droits à polluer » à ses industries les plus consommatrices d’énergie : les producteurs d’électricité, les cimentiers, les fabricants de papier. Un système de quotas précisait également quelle quantité maximum de gaz carbonique pouvait continuer à rejeter dans l’atmosphère chacune des entreprises mises sur la liste des industries énergivores. Le but est de participer à la réduction des émissions européennes de gaz carbonique, 8% pour l’ensemble des pays membres d’ici fin 2012. La charge a été répartie au sein des 25, selon leur passé plus ou moins industriel et selon leur niveau de développement, leur produit intérieur brut. Aujourd’hui le marché européen du carbone concerne 11 000 entreprises.

Un peu plus d’un an après la mise en route de cette bourse européenne du carbone, la Commission profite de cette réunion de Bonn pour annoncer que les industries, grandes consommatrices d’énergie, n’ont pas utilisé tous les quotas d’émissions qu’elles avaient à disposition. L’année dernière, ces entreprises ont rejeté 1 785 millions de tonnes de CO2, alors que leurs gouvernements leur avaient accordé 1 829 tonnes. Les industriels qui font des efforts pour moins polluer devaient en principe revendre leurs surplus de certificats d’émissions à d’autres qui auraient dépassé leur quota.

Les émissions de gaz carbonique de l’Allemagne ont donc été inférieures de 21 millions de tonnes par rapport au quota autorisé de 495 millions de tonnes ; celles de la France, de 20 millions de tonnes par rapport à son quota de 151 millions de tonnes. En revanche avec son économie dynamique, le Royaume-Uni a dépassé de 33 millions de tonnes son quota de 209 millions de tonnes de carbone. Comme il n’y a quasiment pas eu de dépassements, les certificats d’émissions ont perdu une grande partie de leur valeur. Les premiers chiffres, publiés fin avril, avaient déjà provoqué une baisse de 60% de la valeur de la tonne de carbone.

A partir du moment où un pays n’utilise pas les droits à polluer qui lui ont été attribué, le marché n’a pas de dynamique. Et comme il y a trop de carbone disponible sur le marché, du carbone qui ne trouve pas preneur dans une autre entreprise, le marché est déprimé. Le prix de la tonne de carbone diminue, et c’est l’engrenage à la baisse comme sur n’importe quelle autre bourse.

Une bonne nouvelle pour l’environnement

Lorsque la bourse du carbone a été créée, les écologistes avaient critiqué l’attribution des quotas aux entreprises. Greenpeace ou encore le Réseau Action Climat estimait les quotas trop généreux. Aujourd’hui les spécialistes sont d’accord. Certains gouvernements ont certainement été trop généreux. Ils n’ont probablement pas voulu prendre le risque d’entraver la compétitivité de leurs industries, confrontées à une nouvelle réglementation.

Les prix pourraient bien continuer à baisser car les entreprises n’auront peut-être pas envie d’investir pour produire plus propre si elles n’ont pas la perspective de récupérer une partie de leur mise en vendant leurs droits à polluer, en trop, sur la bourse du carbone.

Si les pays, par le biais de leurs entreprises concernés, n’ont pas atteint les quotas autorisés, c’est aussi parce que la croissance stagne en Europe. Jusqu’à présent, la courbe de la pollution est parallèle à celle de la croissance. Si trop peu de tonnes de carbone ont été échangées, c’est surtout parce qu’il y a eu du carbone évité. C’est « en principe une bonne nouvelle pour l’environnement », a indiqué la Commission. Mais cela va à l’encontre de la logique de cette bourse, dont le principe repose sur la rareté des quotas disponibles. Jusqu’à présent, les politiques de protection de l’environnement étaient inspirées par l’Etat. Cette fois, le marché a été mis à contribution et réagit comme tout autre marché.      


par Colette  Thomas

Article publié le 15/05/2006 Dernière mise à jour le 15/05/2006 à 17:44 TU