RD Congo
Ceux qui vont mourir ne voteront pas
(Photo: AFP)
Le HCR évalue à environ 1,6 million les Congolais déplacés. 170 000 le sont depuis novembre 2005 dans la seule province du Katanga. C’est donc souvent sans logis fixe mais plus largement encore le ventre vide que de nombreux électeurs iront aux urnes le 31 juillet prochain. Tous ne pourront d’ailleurs pas voter, à défaut de pouvoir circuler dans ce vaste et potentiellement richissime pays balkanisé par des bandes de maraudeurs armés, soldats gouvernementaux, milices politico-communautaires ou rebelles rwandais. D’ailleurs, dans deux mois et demi, beaucoup de Congolais seront morts, dans l’indifférence internationale. Sept ans de guerre ont fait près de quatre millions de victimes et pendant le seul premier semestre 2006, 100 000 Congolais ont péri de mort violente ou d’inanition en Ituri, au Kivu ou au Katanga. Il s’agit, selon l’ONU, de la «plus grande catastrophe humanitaire» du monde.
«Les donateurs ont, à juste titre, investi plus de 450 millions de dollars pour aider les élections, mais le vote ne règlera pas à lui seul les problèmes en RDC», estime l’organisation caritative britannique, Oxfam, en stigmatisant les Etats-Unis et le Japon pour «des engagements financiers minuscules par rapport à la taille de leur économie», la France et l’Allemagne pour leurs «petites» contributions ou l’Italie qui n’a toujours pas mis la main à la poche. Pourtant, les Nations unies ont consacré l’année 2006 à la République démocratique du Congo. Celle-ci promet en effet de se doter enfin d’institutions viables avec ses premières élections multipartites, après quarante ans de décrépitude politique et matérielle.
Au début de l’année, l’ONU et l’Union européenne ont présenté un «plan d’action» très ambitieux pour soutenir le Congo-Kinshasa jusqu’à sa sortie du tunnel. Mais sur les 682 millions de dollars requis pour l’aide humanitaire, 90,5 millions de dollars seulement ont été débloqués, soit 14% des fonds promis. Et selon Oxfam, ce sont toujours «1 200 personnes qui meurent chaque jours en raison des conflits» qui continuent d’opposer entre eux l’ensemble des protagonistes des deux guerres du Congo. Pour les populations civiles, ces affrontements se traduisent par des meurtres, des enlèvements, du travail forcé, bref un harcèlement quotidien.
«Utilisation routinière de la violence»
En février dernier, la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) a mené l’enquête dans le territoire de Mitwaba au nord du Katanga (dans le sud-est du pays), une région minière où des cohortes de déplacés s’entassent désormais dans des camps, à l’écart des terres agricoles qui assuraient auparavant leur survie. Le rapport de la Monuc est d’autant plus terrifiant qu’il décrit une situation d’après-guerre que rien ne paraît devoir adoucir puisqu’il implique aussi les «forces de l’ordre» nationales en gestation. Dans le Mitwaba, les miliciens locaux, «les Maï Maï et les Forces armées congolaises (FARDC) commettent des violations des droits de l'Homme de manière systématique». Miliciens et soldats gouvernementaux sont en effet à parité dans le sinistre bilan de la Monuc.
A titre de contre-exemple, la Monuc impute à tous les porteurs de fusils un volume équivalent d’exactions commises au nord du Katanga contre «97 civils qui ont été tués, blessés ou qui ont subi des traitements cruels et inhumains entre début 2005 et mars 2006». Mais surtout, selon les rapporteurs de la Monuc, «l'utilisation routinière de la violence physique contre des civils par les membres des forces de sécurité a été observée partout où l'armée et la police avaient été déployées». Soldats et policiers font usage de leurs armes pour arracher aux civils «de l'argent, des biens, du bétail ou des produits miniers». Conjuguée avec la violence des milices politiques ou communautaires, la brutalité des «forces de l’ordre» se solde par ce que la Monuc qualifie de «répression des libertés civiques».
Des régions entières se vident
Avant même le lancement de la campagne électorale, les «luttes de pouvoir locales» se traduisent par des éliminations physiques tandis que les affrontements entre Maï Maï et soldats gouvernementaux vident des régions entières. C’est ainsi que depuis novembre 2005, dans le nord et le centre du Katanga, des dizaines de villages ont été incendiés et les récoltes pillées. Basée depuis huit ans au Katanga où elle était censée faire barrage à l’avancée des soldats rwandais et de leurs alliés locaux, la 63e brigade des FARDC a pris ainsi l’habitude de se payer en nature en exploitant par exemple les gisements de cassitérite de la région de Mitwaba. La Monuc évoque aussi le meurtre d’une vingtaine de personnes «exécutées sommairement par des Maï Maï pour le simple fait de détenir des cartes d'électeurs» et donc d’être considérées comme des traîtres, des partisans du régime Kabila.
En fait, l’appellation Maï Maï est un fourre-tout qui désigne aujourd’hui un ensemble de milices d’obédiences diverses. Pendant la guerre, le régime Kabila s’est servi de miliciens communautaires Maï Maï hostiles à tout ce qui, de près ou de loin, évoquait le Rwanda de Paul Kagame. De même, Kinshasa a armé et employé des brigades de soldats et de miliciens de l’ancien régime rwandais. Mais dans la perspective électorale de juillet prochain, les enjeux ont changé, au Katanga, comme ailleurs au Congo. Aujourd’hui, ce sont des milices politico-communautaires qui harcèlent les électeurs, la ligne de feu passant désormais entre les partisans de Joseph Kabila et ses adversaires, avec des particularités locales ici ou là. Dans cette nouvelle bataille, certains ont jeté l’éponge. Ils ne sont pas de taille à disputer un territoire commercial aux soldats gouvernementaux et l’enjeu politique leur échappe largement. C’est ainsi par exemple que la Monuc s’est félicitée le 12 mai de la reddition du «commandant Gédéon» qui sévissait jusque là à Mitwaba.
20 000 déplacés à Mitwaba
Kyungu Kasongo, alias Gédéon «s'est engagé à déposer les armes et à rejoindre le programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Il était accompagné d'environ 150 combattants, dont une majorité d'enfants», indique la Monuc. L’armée congolaise le traquait depuis des mois, il «a été placé sous la protection des casques bleus de la Monuc à Mitwaba, où il a demandé à rester quelque temps pour organiser le désarmement de ses troupes». «Plusieurs hauts responsables de l'armée avaient déjà réclamé sa tête mort ou vif. Ils l'auraient préféré mort, pour éviter qu'il ne révèle des informations sur des soutiens présumés dont il aurait bénéficié au sein de l'armée», ajoute un observateur de l'ONU. Gédéon ne servira plus de prétexte aux 3 000 soldats de l’armée gouvernementale chargés de la «pacification du Katanga» depuis novembre dernier. Mais il reste des miliciens politiques actifs et l’armée elle-même est un facteur d’insécurité avéré.
Prises entre deux feux et interdites de choix, les populations sont la proie d’un totalitarisme local qui prépare à sa manière le terrain électoral. Concernant le Katanga, toutes les organisations indépendantes prophétisent un désastre humanitaire qui s’installe dans la durée. A Mitwaba, à des centaines de kilomètres au nord de Lubumbashi, le chef-lieu provincial, un camp du HCR qui regroupe déjà au moins 20 000 déplacés voit arriver chaque jours entre 50 et 100 nouvelles personnes. Beaucoup d’autres se cachent en brousse. Face au désastre et à la situation très instables qui fragilise les circuits de distribution d’aide, le Programme alimentaire mondial (Pam) a même dû procéder à des largages de vivres.
Premiers secours tardifs
Il y a quelques jours, après des mois d’attente dans les marais de Kilumbe, aux abords du lac Upemba, des milliers de rescapés des rivalités locales ont vu arriver les premiers secours de la Croix-Rouge, 130 tonnes de bâches, d’ustensiles de cuisine et de matériel agricole péniblement acheminés par train et par bateau. Reste qu’aujourd’hui encore, les villages appartiennent aux 350 hommes des FARDC et les champs aux Maï Maï. Certains habitants ont survécu des mois durant sur des radeaux de branches, avec des feuilles pour litières tant la survie sur les rivages est improbable. Une fois les humanitaires repartis, nul doute que les prédateurs du cru disputeront aux villageois l’aide fournie aux 3 700 familles de la région lacustre.
La formation de la nouvelle armée congolaise n’est pas achevée. Le ciment national ne prend pas toujours entre les troupes et surtout les cadres militaires des anciens protagonistes de la guerre. Sur les 18 brigades initialement prévues, six seulement sont plus ou moins en état de marche, dans l'est du pays où les soldats se plaignent du versement irrégulier de leurs soldes. De leur côté, les 18 000 casques bleus de l’ONU (dont 12 000 basés à Kisangani) peinent à quadriller le pays et répugnent à s’interposer. Un bataillon pakistanais est attendu au Katanga. Avec ou sans lui, rien ne garantit des scrutins libres et sécurisés dans cette région où Kinshasa et son opposition sont aux prises. Mais plus largement, pour la majorité des 25,7 millions de Congolais qui se sont fait enregistrer, la situation de catastrophe humanitaire n’est pas un environnement électoral propice à l’exercice d’un libre choix.
par Monique Mas
Article publié le 15/05/2006 Dernière mise à jour le 15/05/2006 à 17:56 TU