Environnement
Sécheresse : des eaux et des bas
Le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) a comparé la situation des nappes souterraines françaises entre mai 2003 et mai 2006. Au printemps 2003, on sortait d’une période excédentaire de trois ans. Au printemps 2006, sur une période équivalente, on sort du manque. Entre les deux périodes de trois ans, « on passe d’un extrême à l’autre, ce qui est normal dans un pays de climat tempéré comme le notre », explique Thierry Pointet, l’un des responsables de l’étude. Du même coup, l’hypothèse du réchauffement climatique, avec son changement de régime des pluies, est évacuée.
« On est dans une situation intermittente »
Pourtant pendant l’automne 2005, les nappes ne se sont pas rechargées comme elles le font d’habitude. La recharge s’est seulement produite en février-mars. Des pluies de printemps régulières et des chutes de neige tardives ont permis la reconstitution des nappes « d’usage commode, d’usage immédiat ». Il en résulte cependant un manque pour les grandes nappes alimentant les cours d’eau. Leur niveau sera donc plus bas que la normale cet été. « Chose curieuse, là où il n’y a pas eu de reconstitution (des stocks), il y a des ressources de substitution ».
Le BRGM nous apprend que sous les nappes, il y a d’autres nappes. C’est le cas notamment de la Beauce. Depuis son extrémité nord jusqu’au sud, la nappe de la plaine de la Beauce s’étire sur 400 kilomètres. L’eau de cet aquifère permet aux céréaliers d’obtenir des rendements à faire pâlir d’envie nombres d’agriculteurs. Cette nappe abreuve aussi Paris et Orléans. Située à 600 mètres de profondeur, son niveau, selon l’importance des pluies, peut varier de 16 mètres sur un total de 200. Etant donné son importance stratégique puisqu’elle alimente la capitale, cette nappe est très surveillée. Le ministère de l’Environnement voudrait savoir en combien de temps elle peut se tarir. Il a demandé au BRGM de calculer son inertie. Car ce que disent désormais clairement les géologues, c’est que d’autres nappes existent à plus grande profondeur, comme dans chaque région où le sous-sol est fait de roche sédimentaire.
Si leur rôle n’a pas été démontré cette fois, les changements climatiques pourraient tout de même avoir des conséquences sur la ressource en eau. Et les différentes pollutions, notamment agricoles, conduisent le BRGM à surveiller les nappes souterraines, aussi bien pour connaître le niveau de réserve que la qualité. Si une sécheresse persistante créait une tension, il serait donc possible d’avoir accès à de nouvelles ressources. Si un acte de terrorisme polluait la nappe de Beauce, on pourrait également aller chercher de l’eau dans des couches sédimentaires plus profondes, sous l’aquifère actuellement exploité. Il ne serait pas forcément nécessaire de procéder à des forages nouveaux. Il en existe de nombreux, en région parisienne, par exemple. Ils sont les témoins de tentatives, il y a quelques décennies, de trouver du pétrole. Ces forages n’ont pas été rebouchés.
Les pesticides
Le BRGM suit concrètement l’état des nappes puisqu’il gère presque tout le réseau d’appareils de mesures. Cette collecte de données permet donc aussi d’engranger des informations sur la qualité. Et aujourd’hui, le BRGM parle sans tabou des pesticides. D’ailleurs ce sont surtout les herbicides, produits solubles, facilement entraînés en sous-sol, qui font peser le risque d’une pollution des aquifères. Le BRGM a une « suspicion sur un stock de pesticides qui serait en train de migrer vers les nappes souterraines, au-delà de la zone (du sol) saturée en eau ». Le BRGM est « en train d’étudier cette possibilité de largage de ces herbicides ». Quant à la localisation de ce risque, le BRGM renvoie vers la base de données de l’Institut français de l’environnement (IFEN).
La stratégie du millefeuilles
Par chance, l’agriculture industrielle française est essentiellement installée sur des terrains sédimentaires, là justement où le sous-sol est un millefeuilles et où des nappes d’eau sont empilées. Fermer la nappe de Beauce, passer à un autre réservoir préservé des activités humaines : la décision pourrait poser un problème moral. En tout cas, elle est du domaine du possible.
L’Arabie Saoudite s’est engagée dans cette logique de millefeuilles. Le BRGM, qui a remporté l’appel d’offres, est en train de faire un état des lieux de la ressource en eau de ce pays désertique. La nappe souterraine s’étalant sur 370 000 kilomètres carrés dans le nord-ouest du pays est en cours d’inspection. Mais le royaume veut surtout évaluer son potentiel global.
En Arabie Saoudite, il pleut moins de 10 millimètres par an, à comparer avec l’abondance française : 500 à 1 000 millimètres chaque année. La recharge de la nappe est donc quasiment nulle. Cette nappe est très exploitée, essentiellement pour l’irrigation : 6 à 8 milliards de mètres cube par an, indique le BRGM, contre 550 millions pour les besoins des villes. Les niveaux de cette immense nappe, équivalente aux deux tiers de la surface de la France, s’affaissent. La nappe atteint pourtant, à certains endroits, plusieurs centaines de mètres d’épaisseur, voir un kilomètre.
L’objectif de l’étude réalisée par le BRGM est d’évaluer le potentiel du système aquifère dans son ensemble, de faire un modèle mathématique pour aboutir à une planification des ressources en eau. Le BRGM, sur le plan de l’histoire géologique de l’Arabie Saoudite, est remonté à plus d’un milliard d’années. Les géologues estiment à une vingtaine le nombre de couches aquifères empilées les unes sur les autres. Sur le terrain, en surface, l’équipe est en train de faire l’inventaire des forages agricoles. Plus de 6 000 points ont déjà été visités. La création de ce modèle s’appuie sur des données pétrolières. Il devrait se concrétiser d’ici la fin de l’année. Pour l’Arabie Saoudite, il s’agit d’un problème quantitatif. Jusque quand aura-t-elle de l’eau ? Pour la Beauce il s’agit d’abord d’un problème qualitatif.
par Colette Thomas
Article publié le 18/05/2006 Dernière mise à jour le 18/05/2006 à 18:11 TU