Afghanistan
Le «Charles-de-Gaulle» en mission
(Photo : Anne Le Troquer/RFI)
De notre envoyée spéciale à bord du «Charles-de-Gaulle»
En quelques secondes l’avion de combat n’est plus qu’un point noir dans l’horizon de la mer d’Arabie. Direction: le Nord. Objectif : les régions de Kandahar et de Djalalabad en Afghanistan, 2 000 km plus loin. Mission : surveiller le territoire au profit de la coalition internationale « Liberté immuable » qui lutte contre les rebelles talibans dans la partie méridionale du pays, plus occasionnellement au profit de la deuxième coalition, celle de l’Otan qui stabilise le Nord et l’Ouest, et proposer un appui aérien à la demande des troupes au sol. Depuis le 5 mai les avions embarqués à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle au large du Pakistan auront exécuté environ 150 patrouilles au-dessus de l'Afghanistan. Une mission particulière car, sur le terrain, embuscades et affrontements entre rebelles et forces de sécurité afghanes, soutenues par plusieurs milliers de soldats internationaux, se sont multipliées. Cette dernière semaine, les combats ont fait près de 300 victimes.
La catapulte crache encore des nuages de vapeur, mais les « chiens jaunes », surnom des personnels sur le pont qui doivent crier fort et s’agiter pour se faire comprendre dans le vent et les rugissements des réacteurs, s’affairent déjà autour de l’avion suivant qui sera lancé dans la minute. Il est 7h du matin, deux heures après le briefing de la douzaine de pilotes. Après la météo et la brève annonce de trois missions, les journalistes sont priés de sortir. Les objectifs précis, établis en liaison avec un centre de commandement de la coalition basé au Qatar, doivent rester secrets jusqu'au retour, et encore… Cinq heures plus tard, les pilotes de Super-Etendard auront survolé : « des paysages arides, monotones, raconte l’un d’eux, l’œil malicieux, qui, comme ses collègues, a demandé à ne pas être identifié. Même avec nos radars, on ne peut pas distinguer vraiment les choses. » Pourtant à l'heure des satellites ultra perfectionnés, les avions rapportent des renseignements. « L'intérêt des photos que l'on ramène c'est qu'elles sont récentes », analyse le contre-amiral Xavier Magne, commandant du groupe aéronaval français. Car même si la coalition lutte pour un objectif commun, « toutes les informations ne sont partagées, en tout cas pas immédiatement. »
« L'état-major des armées nous a demandé... »
« Dans la radio, on entendait que ça canardait en arrière-fond et les gens demandaient des passages rapides à basse altitude pour faire fuir, désengager des talibans », explique un autre pilote. Une « démonstration de force » dissuasive qui s'est produite trois fois entre le 5 et le 21 mai. « Le centre de commandement nous a demandé de refaire un passage, mais on ne doit en faire qu’un, et dans un endroit très encaissé », ajoute-t-il lors du débriefing en fin d’après-midi. Si les Français mettent leurs avions à disposition de la coalition, ils gardent le contrôle sur la nature de la mission pour éviter les bavures. « La force n'acceptera pas de dommages collatéraux », souligne le capitaine de vaisseau Denis Béraud, le commandant du porte-avions. Le risque est réel. Le bombardement d'un village à l’ouest de Kandahar par les Américains, lundi dans des circonstances encore floues, a fait 16 victimes civiles selon le bilan officiel, le double selon des témoins et la commission indépendante afghane des droits de l’homme.
« Les talibans ont repris un certain nombre d’initiatives, explique le contre-amiral Magne, mais il y a aussi un plan de la coalition dont le but est d’arriver à les concentrer hors des zones où la vie a commencé à reprendre. Quand vous êtes en train de ramasser l’eau dans votre cuisine que vous avez inondée avec votre serpillière, ensuite elle ressort de dessous la plinthe. Là c’est la même chose, il y a un mouvement de flux et de reflux. Ils se cachent dans la montagne et quand ils se sentent suffisamment fort, ils reviennent. » Lundi après-midi, la voix du commandant résonne dans tout le bâtiment: « L'état-major des armées nous a demandé... » La mission doit se poursuivre deux jours supplémentaire car les avions de l’armée de l’air, basés à Douchambe au Tadjikistan, ne peuvent pas prendre le relais à la date prévue. « Du moment qu’on arrive le 9 juin à Toulon… », réagissent en choeur des officiers mariniers à l’écoute du message. Ils sont plus de 2 000 en mer depuis le 24 février à s’assurer que les avions fonctionnent, que le bâtiment avance, que chacun est bien nourri… Seul souci : il va falloir décaler le barbecue organisé traditionnellement sur le pont à chaque fin de mission opérationnelle. Mais ils parleront de cela plus tard car aujourd’hui tout le monde peut aller sur la piste. Le pont se recouvre de joggeurs et de marins qui font bronzette.
par Anne Le Troquer
Article publié le 24/05/2006 Dernière mise à jour le 24/05/2006 à 19:21 TU