Népal
Des libérations, peut-être des négociations

(Photo : AFP)
« Nous avons déjà ordonné l’élargissement de tous les maoïstes détenus et, jusqu’à présent, nous en avons relâché 467 ». L’information a été donnée par le ministre népalais de l’Intérieur, Krishna Prasad. Arrivé dimanche dernier dans la capitale, le représentant des rebelles avait posé cette condition à l’ouverture de pourparlers officiels : que les 1 300 maoïstes incarcérés dans les prisons du royaume soient libérés. Les rebelles ont également demandé aux autorités népalaises de donner des nouvelles des 569 « disparus » depuis que Gyanendra règne (2 juin 2001).
Les rebelles ont conditionné l’ouverture de négociations avec le pouvoir à la libération de tous les leurs. Leur négociateur Krishna Bahadur a également indiqué que les maoïstes ne déposeraient pas les armes tant que le scrutin, pour élire les parlementaires de la future assemblée, n’aurait pas lieu.
Les rebelles sont désormais alliés aux partis d’opposition, contre le roi. Tous demandent l’élection d’une Assemblée constituante mais le sort de la monarchie ne fait pas l’unanimité. Certains voudraient la voir disparaître, d’autres souhaitent que le monarque garde un rôle cérémoniel.
Le gouvernement a fait un grand pas la semaine dernière en réduisant les pouvoirs du roi. Etendus, ils lui avaient permis de prendre le contrôle du pays, en février 2005. Le roi Gyanendra avait alors instauré l’état d’urgence, suspendu les droits fondamentaux de la population et limogé le gouvernement. Le monarque avait accusé son équipe de ne pas avoir éliminé la guérilla maoïste. En s’arrogeant des pouvoirs d’autocrate, le roi avait renforcé l’autre camp. Six mois plus tard, les rebelles annonçaient un cessez-le-feu. Et le 22 novembre 2005, c’est avec les partis d’opposition que les maoïstes trouvaient un accord afin de rétablir la démocratie au Népal.
Le roi perd son pouvoir divin
Nouveau sursaut du Parlement népalais la semaine dernière puisqu’il prive alors le roi des pouvoirs qui lui avaient permis de réaliser son coup de force il y a un peu plus d’un an. Le souverain perd le contrôle de l’armée et n’a plus le pouvoir de nommer le gouvernement. La puissance royale de Gyanendra est également limitée car les parlementaires enlèvent au monarque sa légitimité divine. Il était censé représenter sur terre la divinité hindoue Vishnou. Ce statut spirituel lui est retiré. Le Népal était un royaume hindou. Il devient un pays laïc. Pour le roi, dernier descendant de la dynastie Shah, ce changement n’est pas sans conséquence. Il pourra désormais être poursuivi par la justice des hommes et devra payer des impôts. Conscient de l’importance des décisions qu’il a prises, le gouvernement décide de faire de ce 19 mai un jour férié afin de « célébrer la proclamation historique qui a rendu souveraine et toute-puissante la Chambre des représentants ».
Peu de temps auparavant, le roi avait pourtant fait des concessions. Bravant l’interdiction, la population était descendue dans les rues de Katmandou afin de protester contre la personnalisation du régime. Au moins 19 personnes avaient été tuées dans des affrontements avec les forces de l’ordre. Ces événements avaient amené le roi Gyanendra à faire marche arrière. Il avait appelé les représentants des partis d’opposition pour qu’ils gouvernent avec lui. Ils en avaient profité pour limiter les pouvoirs de leur monarque. Le gouvernement n’est pas allé jusqu’à abolir la monarchie, la décision est laissée à l’appréciation de la nouvelle assemblée qui sera élue l’année prochaine. Les rebelles avaient déjà prévenu : « Nous sommes totalement contre la dévolution d’un rôle au monarque, qu’il s’agisse d’un souverain actif ou d’une monarchie cérémonielle, nous sommes très clair sur ce point », avait déclaré le négociateur des maoïstes, Krishna Bahadur Mahara.
Des conditions des deux côtés
Les maoïstes ont pris les armes en 1996 pour renverser la monarchie. En 2001 et 2003, des négociations ont déjà eu lieu entre les rebelles et les autorités népalaises pour tenter de mettre fin à la rébellion, sans succès. En une dizaine d’années, le nombre de victimes provoqué par cette guerre civile larvée est estimé à 12 000 morts. Cette fois, l’un des représentants de la guérilla, Krishna Bahadur Mahara, est plus optimiste. « Nous sommes venus avec de grands espoirs cette fois-ci », a-t-il déclaré à son arrivée, dimanche dernier, à Katmandou. « Nous espérons que nous n’aurons pas à reprendre les armes », a encore indiqué le chef rebelle. Trois leaders de la rébellion sont actuellement présents dans la capitale pour participer à une éventuelle rencontre entre leur chef Pushpa Kamal Dahal alias Prachanda et le Premier ministre, Girija Prasasd Koirala. Mais le pouvoir en place, lui aussi, a posé ses conditions, notamment que les maoïstes déposent les armes avant de décider de la date des élections.
Quelques jours après l’abolition d’une partie des pouvoirs, divins et terrestres, du roi du Népal, Amnesty International publiait son rapport annuel. Dans cet état des lieux des misères du monde, l’organisation se montrait très critique au sujet du roi Gyanendra. « Le roi a invoqué, en février, la nécessité de faire face à la violence des insurgés maoïstes pour décréter l’état d’urgence, renvoyer le gouvernement et suspendre les libertés civiles. Une vague d’arrestations a immédiatement suivi et la sécurité d’une grande partie de la population s’est encore dégradée », indique le rapport de l’organisation internationale. « Les exécutions ont été le plus souvent rapportées durant des opérations de fouilles dans des villages où des habitants ont été emprisonnés, interrogés et battus puis emmenés à l’écart et exécutés », explique encore Amnesty qui n’est pas tendre non plus pour les rebelles maoïstes. L’association dénonce les attaques sans discrimination contre des civils, les tortures et l’assassinat « d’espions » présumés.
par Colette Thomas
Article publié le 25/05/2006 Dernière mise à jour le 25/05/2006 à 18:03 TU