Emigration
Quitter Dakar
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Dakar
De la plage de Thiaroye-sur-mer, on aperçoit au loin, dans la brume, le centre administratif de Dakar. Mais les beaux quartiers de la ville ne font plus guère rêver les habitants de cette banlieue pauvre. Car l’eldorado est ailleurs, en Espagne. Beaucoup ont tenté le voyage en pirogue. Certains sont arrivés. D’autres sont morts en mer. Samba Cissé, lui, a échoué : « Nous avons pris le départ mais à 200 kilomètres des Canaries nous avons rebroussé chemin à cause d’une forte tempête, raconte-t-il. Nous avons préféré rentrer plutôt que prendre le risque. On était quatre-vingt personnes à bord. C’était une grande pirogue de vingt-quatre mètres. »
De retour à Thiaroye, rien n’a changé pour Samba. Comme beaucoup d’autres, il est toujours sans emploi. Alors, il ne jette pas la pierre à ceux qui veulent partir. « Je ne vais pas leur interdire de partir. Vous avez vu leurs conditions de vie ? Comment peuvent-ils rester comme ça ? Pour parer à ça, ils tentent une aventure pour essayer de prendre en charge leur famille. Je pense que c’est sage. » Sage, mais dangereux. Des centaines d’Africains ont en effet péri en mer pendant la traversée. Mais Samba est fataliste. « Ces gens-là, si ils étaient restés, est-ce qu’ils ne seraient pas morts ici, rétorque-t-il. Nous sommes des croyants. »
« Je n’étais pas d’accord. Il a insisté. Je l’ai laissé partir. »
En marchant dans les ruelles étroites de la ville on croise des jeunes en train de tuer le temps autour d’un thé à la menthe. Rien à faire. Pas d’argent, pas de travail. Et leurs parents sont souvent dans la même situation, au point que certains d'entre eux voudraient bien qu’un de leurs enfants parte en Espagne, histoire de soutenir la famille. « J’ai trois fils et une fille. Ils ne font rien. Ils vont jusqu’à mal me considérer, parce que je ne suis pas capable de leur donner quelque chose pour partir, explique un père qui préfère garder l'anonymat. C’est aberrant. Mais si j’avais les moyens je leur financerai le voyage, car je sais qu’ils veulent faire quelque chose pour moi. »
Un risque qu’Alioune, un jeune d’ici, a pris en février dernier. Mais il a disparu en mer. Son copain, Vieux Ndiaye, étudiant à Saint-Louis avait pourtant tenté de l’en dissuader. « Il m’avait dit qu’il voulait y aller. Je lui ai dit que je n’étais pas d’accord. Il a insisté. Je l’ai laissé partir. Quinze jours après on nous raconté que leur pirogue a disparu »
Depuis plusieurs jours, les autorités sénégalaises multiplient les interceptions de pirogues et les arrestations de passeurs. Mais en présentant, lundi dernier, le plan anti-immigration du gouvernement, le chef d’état-major de la marine a reconnu qu’il en faudra plus pour décourager les candidats au départ.
par Christophe Champin
Article publié le 28/05/2006 Dernière mise à jour le 28/05/2006 à 16:34 TU