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Somalie

Mogadiscio transformée en champ de bataille

Des habitants de Mogadiscio, fuyant les combats, cherchent refuge dans une école primaire de la capitale.(Photo : AFP)
Des habitants de Mogadiscio, fuyant les combats, cherchent refuge dans une école primaire de la capitale.
(Photo : AFP)
Les affrontements ont repris samedi matin à Mogadiscio, après un court répit. Nouveau choc entre les milices des cours islamiques et les chefs de guerre regroupés au sein de l’Alliance contre le terrorisme. L’éclatement des premiers combats en février dernier a fait de certains quartiers de la capitale somalienne de véritables champs de bataille. 260 personnes au moins ont péri. Des milliers fuient les combats pour d’autres quartiers ou d’autres régions.

A peine le téléphone décroché, il lance sa ritournelle et répète des accusations déjà prononcées des dizaines de fois : «les partisans du Djihad, ici, à Mogadiscio abritent des terroristes étrangers. Ce sont eux qui ont lancé l’attaque sur l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme.» Hussein Gutale est porte-parole de cette alliance et il tient un discours bien rôdé, à l’attention toute particulière des occidentaux : «Ces terroristes, ils se moquent bien de l’islam. Tout ce qu’ils veulent, c’est tuer les Somaliens». S’appuyant sur les informations selon lesquelles quelques individus liés à la cellule somalienne d’al-Qaïda ont intégré les rangs des milices des tribunaux islamiques, les chefs de guerre de Mogadiscio répètent à l’envie qu’ils luttent contre le terrorisme international.

Le disque commence à être rayé. Cette coalition qui se dit «pour la restauration de la paix» est celle qui bloque les tentatives de médiation des chefs coutumiers. «Les chefs religieux sont plus flexibles, plus rationnels, et plus attachés à la paix que ceux de l’Alliance contre le terrorisme, explique l’une des figures de la société civile somalienne, Abdullahi Shirwa. Ils écoutent attentivement ce que leur dit le comité de médiation et peuvent annoncer unilatéralement un cessez-le-feu. Au sein de l’Alliance contre le terrorisme, les gens refusent de parler au comité de médiation». L’acharnement de l’alliance contre les islamistes est surprenant. Il est bien trop fort pour que ses objectifs soient ceux affichés.

Objectifs inavoués

Ces derniers mois, on avait fini par s’habituer à la toute dernière configuration du conflit somalien : quelques chefs de guerre installés à Mogadiscio, opposés à un gouvernement de transition dont ils étaient pourtant censés faire partie. Le 18 février dernier a sonné la fin de ce schéma. Mohamed Qanyare Afrah, Musa Sudi Yalahow, Omar Mohamoud Finish, Botan Issa, tous ministres, créent au côté du grand commerçant Bashir Raghe Shirar l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme. Objectif officiel : contrer la montée en puissance des tribunaux islamiques… qui selon eux couvrent l’activité de terroristes venus d’autres pays. Les combats contre les milices des tribunaux islamiques démarrent immédiatement.

C’est que les religieux qui jusqu’ici étaient restés dans l’ombre des chefs de guerre sont devenus le «troisième acteur» de la scène somalienne. Ils ont réussi à s’organiser, et ils sont prêts à se battre pour leur propre cause. Dans un rapport d’une précision exemplaire, les experts du groupe de contrôle de l’ONU sur la Somalie expliquent qu’ «en organisant la conférence intitulée conseil de l’Union somalienne et du salut national à Mogadiscio du 26 au 30 septembre 2005, les militants [religieux NdlR] se sont montrés prêts à sortir du cadre de l’opposition pour s’affirmer en tant que force indépendante, ayant un programme politique, bénéficiant d’un appui économique et disposant des capacités militaires nécessaires pour être un candidat crédible au pouvoir en Somalie.» Selon les experts, les islamistes somaliens veulent faire de la Somalie un Etat fondamentaliste régi par la charia.

Ils s’efforcent d’élargir leur influence sur le territoire somalien, en favorisant la dissémination des tribunaux islamiques. Ils ont mis sur pied des milices bien organisées, entraînées en grande partie par des instructeurs étrangers dans des camps d’entraînement situés au centre et au Sud du pays. «Dans de nombreux cas, explique le rapport, cet entraînement est intense et rigoureux, et peut porter sur les tactiques de la guérilla, la fabrication d’explosifs, les techniques de tir et la formation des tireurs d’élite, en plus des compétences militaires traditionnelles adaptées au contexte de la Somalie.» Lors des affrontements de février dernier, les islamistes ont fait la preuve de leur capacité de mobilisation en alignant 119 véhicules tout-terrains armés, les fameux «technicals», 8 véhicules blindés et 7 pièces d’artillerie. Les experts décrivent par le menu l’équipement qui leur a été remis par l’Erythrée courant mars : quatre cargaisons distinctes d'armes, de munitions, et de matériel militaire. Deux sont arrivées par l'aéroport de Balédoglé, deux par le port d'El Maan.

Le drame des civils

Les islamistes représentent une vraie menace pour ceux qui contrôlaient jusqu’ici la capitale. Il est donc fort probable que ces chefs de guerre aient tenté d’organiser la lutte pour leur survie. Et qu’ils aient tenté d’utiliser pour cela le filon de la lutte contre le terrorisme en allant chercher des appuis extérieurs. Ils le démentent : «Nous ne sommes aidés par personne, nous nous appuyons sur nos propres ressources», a indiqué à RFI Bashir Raghe, l’un des chefs de l’Alliance. Des sources citées par différents médias affirment au contraire que l’Alliance est soutenue par les Etats-Unis, qui lui auraient fourni une aide financière. Ce qui a valu aux Américains des critiques du gouvernement de transition somalien : «Nous préférerions que les Etats-Unis travaillent avec nous et pas avec des criminels», a ainsi déclaré le Premier ministre, Ali Mohamed Gedi au journal Washington Post. «C’est un jeu dangereux. Il est clair que nous avons un objectif commun de stabilisation de la Somalie, mais les Etats-Unis utilisent de mauvais moyens.»

Les combats ont poussé de très nombreux habitants de Mogadiscio à fuir. Fuir leur quartier pour un autre. Fuir la capitale pour une autre localité. Des dizaines de familles sont ainsi arrivées ces derniers jours à Jowhar, plus au Nord. Pour ceux qui restent dans la capitale, c’est l’errance d’un quartier à un autre, en fonction des combats. Quitter sa maison. Tenter d’y revenir pour dissuader les pillards. Ou rejoindre subitement le flot des déplacés venus depuis des années chercher une vie meilleure à Mogadiscio. Le quartier pauvre de Sisi, au Nord de la capitale, s’est vidé de la plupart de ses habitants. «Des milliers de personnes ont perdu leur maison et vivent dehors, à l’air libre, explique Abdinasir Nur, le responsable d’une association de jeunes somaliens. Il y a quelques jours, un feu a éclaté dans un de ces camps sur l’avenue Banadir, après que des tirs à l’artillerie aient touché certains abris. On continue à trouver les corps de personnes décédées.» Nur s’alarme de voir que pour tous ces déplacés, trouver de la nourriture est devenu encore plus difficile : «Vous les voyez errer dans la rue, dit-il, et demander aux gens de quoi manger. Il faut faire quelque chose, sinon il va y avoir une vraie crise humanitaire ici ».


par Laurent  Correau

Article publié le 28/05/2006 Dernière mise à jour le 28/05/2006 à 12:12 TU

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François Fall

représentant spécial de Kofi Annan pour la Somalie

«Il ne serait pas étonnant que le Conseil de sécurité se réunisse très rapidement et ordonne un cessez-le-feu.»

[12/05/2006]

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