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Union européenne

L’Europe sans constitution et sans projet

Un an après les deux « non », l'Europe reste en panne.(Photo : AFP)
Un an après les deux « non », l'Europe reste en panne.
(Photo : AFP)
Des ministres européens des Affaires étrangères en conclave en Autriche et des leaders politiques français qui n’en finissent pas de s’exprimer sur le rejet de la Constitution européenne : un an après, le débat reste entier. Les leaders politiques français en profitent pour parler d’Europe dans la perspective de la présidentielle de 2007.

La France a perdu beaucoup de son influence depuis le rejet de la Constitution européenne. C’est en tout cas le sentiment de Valéry Giscard d’Estaing, l’ancien président de la République. Comme de nombreux leaders politiques français, le « père » de la Constitution s’exprimait à l’occasion du premier anniversaire du « non » français, dont la force a été augmentée par le « non » néerlandais. Les regrets de Valéry Giscard d’Estaing s’inscrivent également dans le cadre de la prochaine échéance électorale, l’élection présidentielle du printemps 2007. Et si chacun revient sur le choc passé, la future politique européenne de la France est dans toutes les déclarations. 

« Les Français n’ont pas dit non au texte, ils ont dit non au contexte ». Valéry Giscard d’Estaing renvoie la responsabilité du rejet français au gouvernement de l’époque, celui de Jean-Pierre Raffarin. « Ils (les Français) ont dit non à la présentation d’un texte qu’ils ne pouvaient pas lire et ils ont dit non à l’entrée de la Turquie (dans l’Union européenne). « La France a beaucoup perdu. Elle a perdu en image parce qu’on s’est dit, c’est un pays qui ne peut plus réfléchir sur les avancées du monde moderne et qui se replie sur lui-même, se recroqueville. Elle a perdu en influence. J’ai été peiné de voir qu’on ne s’occupait plus de la France. En même temps, elle a mis l’Europe en panne ». L’inventeur de la Constitution européenne cherche toujours à culpabiliser les Français d’avoir dit « non » tout en reconnaissant que le traité était illisible.

VGE s’en également pris à Laurent Fabius : « Il devrait avoir la dignité de se taire. Il a trompé cyniquement les Français et j’espère que les Français s’en souviennent », a-t-il déclaré. Laurent Fabius voudrait être le candidat socialiste à la présidentielle. Il y a un an, il fut le chef de file du « non » de gauche.

Valéry Giscard d’Estaing ne désespère cependant pas de l’Europe. Il estime qu’il existe un « créneau » pour organiser « une Europe plus efficace et plus puissante ». Le père de la Constitution situe cette ouverture entre le « changement du contexte en France » (l’élection présidentielle) et les élections européennes qui se dérouleront en 2009.

« Le non français était nécessaire » mais « pas du tout suffisant ». Laurent Fabius, lui aussi, est revenu sur le choc du 29 mai 2005, tout en pensant à l’avenir. « Il faut maintenant un plan de relance européen. Le premier aspect, c’est le contenu des politiques : on a besoin d’une politique nouvelle en matière d’emploi et de croissance, en matière énergétique, d’environnement, de défense », a déclaré celui qui fut Premier ministre socialiste dans les années 90. Et pour ce qui est de la Constitution, « l’autre aspect, c’est l’aspect proprement institutionnel, où il faut reprendre le mécanisme. Tout ce qu’on a appelé la partie 3, c’est-à-dire le contenu des politiques libérales, qui n’avait rien à voir dans une Constitution, il faut complètement l’exclure, et il faut repartir sur la partie 2, c’est-à-dire les préoccupations sociales, en changeant sur la partie 1 et la partie 4 un certain nombre d’éléments », a expliqué Laurent Fabius. Pour lui, il faut « faire de l’Europe un élément important de la campagne présidentielle de 2007… Les Français sont pour l’Europe mais non pour l’Europe du laisser-faire : ils veulent une Union plus démocratique et plus sociale. Il faut respecter leur vote. Le gouvernement n’en a tenu aucun compte. La nouvelle majorité devra le faire ».

Des frustrations

Le président de l’UDF pour sa part estime « qu’un nouveau texte devra être écrit, simple, court, dense, qui énoncera les valeurs et les objectifs politiques de l’Union et fixera les règles de fonctionnement de sa démocratie ». Pour François Bayrou, qui a récemment pris ses distances avec le gouvernement et l’UMP, « on pourrait imaginer qu’il (ce texte) soit adopté par tous les citoyens européens, le même jour, lors des élections européennes du printemps 2009 ». Le chef de file des centristes a par ailleurs expliqué qu’il s’opposerait « à la manœuvre d’une ratification parlementaire minimale » proposée « par certains à droite et à gauche ».

Henri Emmanuelli, député socialiste, estime « qu’on n’a pas compris la portée » de la victoire du « non » au référendum. « Le processus de ratification se poursuit contre toute évidence d’ailleurs, mais on évite soigneusement de faire voter les pays qui voteraient non », a critiqué celui qui est l’un des piliers du Parti socialiste.

L’actuel ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy estime pour sa part «qu’il serait malsain de faire croire que l’Europe est en panne, parce que c’est exactement tout le contraire. L’Europe continue à avancer au quotidien, c’est ça la chose la plus importante… Le sujet est de savoir si l’Europe aujourd’hui se comporte comme une union politique capable vis-à-vis des Américains, du Mercosur (Marché commun sud-américain) de l’Asean (Association des nations d’Asie du Sud-Est)».

Le Premier ministre du Luxembourg s’est lui aussi exprimé à l’occasion de la date anniversaire du référendum français. Jean-Claude Juncker souhaite que, malgré le rejet par deux pays fondateurs de l’Union européenne, « l’esprit » du projet de traité constitutionnel soit préservé. Contrairement à la France et aux Pays-Bas, le pays de Jean-Claude Juncker avait dit « oui ». Résultat, « nous sommes frustrés parce que nous avons dit oui à ce traité, ce qui a demandé des concessions luxembourgeoises ». Jean-Claude Juncker a été au cœur de l’événement car à l’époque, son pays dirigeait l’UE. Aujourd’hui, il ne mâche pas ses mots quand il parle du libéralisme. « L’idée chère à certains esprits ultra néo-libéraux, que les salariés sont les ennemis de l’emploi, qu’il faudrait que nous déréglementions et flexibilisions à outrance, est une idée qui n’est pas majoritaire en Europe », a indiqué l’ancien président de l’Union.

Des sondages ont été réalisés en France et aux Pays-Bas pour savoir si les opinions publiques ont changé d’avis, en un an, sur l’Europe et l’adoption d’un traité constitutionnel. Aux Pays-Bas, les votants interrogés confirmeraient et amplifieraient leur « non ». En France, selon un sondage CSA, 52% des électeurs rejetteraient à nouveau le traité, un chiffre toutefois en léger recul par rapport au score réel de l’année dernière (54,67).

Une Constitution qui ne dira plus son nom

Quinze pays sur 25 ont aujourd’hui ratifié la Constitution européenne. Et la Finlande devrait suivre dans les semaines à venir. Le nouveau traité n’est donc pas mort, les ministres européens des Affaires étrangères se sont réunis en conclave pendant une journée pour discuter de la suite en raison des doutes apportés par la France et les Pays-Bas. Les ministres sont tous d’accord sur le fait qu’il faut prolonger la période de réflexion au-delà des scrutins français et néerlandais de 2007. Les élections européennes de 2009 pourraient donner le signal de la relance.

L’Allemagne, lors de cette réunion en Autriche, a proposé de reprendre les principales dispositions du texte en le désignant par un autre terme que « constitution ». « En Allemagne, nous avons une loi fondamentale qui ne possède pas l’intitulé de constitution mais qui a la même valeur juridique », a déclaré Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des Affaires étrangères. L’Allemagne présidera l’Union pendant la deuxième partie de 2007. Le chef de la diplomatie allemande l’a confirmé : son pays fera à ce moment-là une proposition pour sortir de l’impasse. Des diplomates ont toutefois fait savoir que la proposition allemande n’avait pas fait l’unanimité à cette réunion en Autriche. La France en particulier s’est montrée réticente.

Alors que la capacité « d’absorption » de l’Union a été mise en avant récemment pour faire patienter la Bulgarie et la Roumanie quant à leur adhésion, le commissaire européen à l’Elargissement, Olli Rehn, a cherché à peser sur le débat concernant les institutions. Il n’y aura « pas de nouvel élargissement » avant de trouver une solution à l’impasse institutionnelle a-t-il décrété.

Jean Pisani-Ferry, directeur de Bruegel, un centre de recherche et de débat sur les politiques économiques en Europe en est convaincu car «On ne peut pas faire l’économie de la réforme institutionnelle. Songez qu’avec la pondération des voix instituée par le Traité de Nice, il devient presque aussi difficile d’atteindre la majorité qualifiée que l’unanimité. La décision est donc entravée ». Un an après les « non » français et néerlandais, la paralysie menace l’Union européenne qui n’a pas su gérer le volet institutionnel de son élargissement. La relance de projets ne semble pas pour demain. 



par Colette  Thomas

Article publié le 29/05/2006Dernière mise à jour le 29/05/2006 à 18:10 TU

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